De jeunes enfants autistes savent lire avant de parler…

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  • Le 12 novembre 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
Des enfants qui se dirigent systématiquement vers le tableau magnétique de la salle de jeu pour manipuler les lettres aimantées, ce peut être un indice de leur fascination pour l’écriture.

Des enfants qui se dirigent systématiquement vers le tableau magnétique de la salle de jeu pour manipuler les lettres aimantées, ce peut être un indice de leur fascination pour l’écriture.

Crédit : Getty

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Alexia Ostrolenk veut mieux comprendre le phénomène de la lecture précoce chez les enfants autistes.

Alexia Ostrolenk

Crédit : Amélie Philibert

«Couche-Tard». Quand les parents d’un jeune autiste ont entendu leur enfant prononcer tout haut le nom de cette chaîne commerciale alors qu’ils roulaient en voiture, ils n’en ont pas cru leurs oreilles. Comment pouvaient-ils imaginer que leur bambin de quatre ans pouvait lire cette enseigne? Il n’avait jamais prononcé un seul mot.

Ce cas d’hyperlexie, soit la capacité précoce de déchiffrer des lettres et des groupes de lettres, a inspiré les travaux d’Alexia Ostrolenk. «Ce n’est pas un phénomène inconnu en science, mais on commence tout juste à l’explorer», explique la doctorante en sciences biomédicales de l’Université de Montréal.

Selon les rares études sérieuses sur la question, la prévalence de l’hyperlexie ‒ qu’on peut définir comme la capacité de décodage précoce des mots écrits ‒ varierait de 6 à 20 % chez les autistes. Par «précoce», on entend avant l’âge de cinq ans. Mais la proportion pourrait être plus importante encore. «Nous avons noté que cette particularité n’est pas toujours observée en clinique, car les parents et le personnel médical n’y portent pas suffisamment attention.»

Attiré par les lettres

Des enfants qui se dirigent systématiquement vers le tableau magnétique de la salle de jeu pour manipuler les lettres aimantées, ce peut être un indice de leur fascination pour l’écriture. On a même vu des jeunes apprendre une langue écrite étrangère en consultant une tablette. «On rapporte des cas d’enfants autistes capables d’écrire les sous-titres des clips de YouTube», commente Alexia Ostrolenk.

Dans le cadre de sa thèse sous la direction du professeur Laurent Mottron, elle a pour objectif, notamment, de mieux comprendre la fréquence de l’hyperlexie dans l'autisme. Quand apparaît-elle? Comment et pourquoi? Avec les découvertes que ses analyses auront permis de faire, elle aimerait améliorer les interventions auprès des enfants autistes.

«On a longtemps cru que c’était une espèce d’obsession et certains cliniciens ont eu le réflexe de la réprimer. Je crois que, au contraire, c’est une faculté qui peut être mise à profit dans le traitement de l’autisme compte tenu de la difficulté très fréquente de ces enfants d’établir une communication cohérente avec leur entourage.»

Mais peut-on vraiment dire que ces enfants savent lire? Comprennent-ils le sens des mots? «C’est une question difficile, admet la doctorante. Nous croyons qu’ils sont fascinés par les dessins que forment les lettres en association avec les sons. Ils cherchent les patterns. C’est pour eux comme une sorte de casse-tête sonore et visuel.»

Complexité du cerveau

Pour mener à bien ses études doctorales, la chercheuse compte effectuer des observations cliniques de 200 enfants. Une soixantaine de sujets ont déjà été recrutés, mais la pandémie a retardé légèrement le processus. Elle a mis au point avec son directeur un questionnaire détaillé dans lequel les parents sont appelés à préciser l’intérêt de leur enfant pour les lettres et les mots. Ce questionnaire pourrait être appliqué à large échelle («ce serait mon souhait», mentionne-t-elle), ce qui permettrait de mieux détecter l’hyperlexie dans les évaluations cliniques.

Dans une seconde partie, elle suit depuis quatre ans une paire de jumeaux hyperlexiques. Ils ont aujourd’hui huit ans. Ces travaux sont parmi les premiers à être réalisés sur une large échelle.

Originaire de France, où elle a obtenu sa licence en science du vivant à l’Université Pierre et Marie Curie‒Paris 6, Alexia Ostrolenk a terminé en 2012 une maîtrise en sciences du cerveau et de l’esprit à Londres. De retour à Paris, elle a entrepris une seconde maîtrise, cette fois en neurosciences cognitives. «Le cerveau, dit-elle, me fascine depuis toujours. Sa complexité, ses mystères…»

C’est un stage chez Leka, une jeune entreprise française qui fabrique un robot pour enfants autistes, qui l’a conduite à faire des tests dans un établissement spécialisé. Elle a eu envie de plonger dans ce monde étrange des «intelligences différentes». En 2017, elle entamait son doctorat.

En plus de ses travaux en psychiatrie, Alexia Ostrolenk se plaît à communiquer sa science à des publics non spécialisés. Le mois dernier, elle a obtenu la seconde place au concours institutionnel de Ma thèse en 180 secondes.

On peut voir sa présentation ici.

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