Les jeunes et les sciences: prendre leur pouls et réfléchir à l’avenir

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Le doyen et professeur de philosophie Frédéric Bouchard partage ses réflexions sur l’avenir des sciences tel que porté par les jeunes générations.

Frédéric Bouchard

Frédéric Bouchard

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Le 8 juin se tenait virtuellement une conversation nationale portant sur les jeunes et la science organisée par la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et l’Acfas. C’était l’occasion de partager les résultats d’un sondage Ipsos visant à connaître les perceptions des jeunes Canadiennes et Canadiens à l’égard des sciences.

Le sondage a révélé que la plupart des jeunes adultes expriment des opinions positives quant aux sciences. Par exemple, ils croient majoritairement que les vaccins contre la COVID-19 approuvés au Canada sont sécuritaires, que l’utilisation de plastiques à usage unique devrait être interdite et qu’il est essentiel que les personnalités politiques canadiennes intègrent l’aspect scientifique aux prises de décisions.

Aussi, 70 % des personnes sondées considèrent que l’on peut se fier aux sciences puisqu’elles sont basées sur des faits et non sur des opinions, et 77 % d’entre elles jugent que les sciences représentent un bon choix de carrière pour les personnes de leur âge.

Toutefois, certaines personnes sondées ont tendance à suivre leurs proches et les influenceuses et influenceurs sur les médias sociaux pour se forger une opinion, même si elle va à l’encontre de la science.

En réaction à ces résultats, nous avons posé quelques questions à Frédéric Bouchard, doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal et ancien président de l’Acfas, qui était modérateur lors de la conversation nationale sur les jeunes et la science.

Qu’avez-vous pensé et appris des résultats du sondage?

C’est un outil précieux qui, selon moi, donne un indice sur l’opinion des jeunes à l’égard de la science, oui, mais surtout à l’égard de leur confiance envers les experts. La science est communiquée par des êtres humains, et le sondage fait la lumière sur la façon dont les jeunes perçoivent ces êtres humains, prennent leurs informations, ce qui les influence ou non. L’enquête révèle que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les complotistes forment un groupe marginal, bien que beaucoup plus vocal qu’avant. L’étude souligne ainsi qu’il faut être vigilant et proactif, mais que nous ne sommes pas dans une situation de crise. Les scientifiques restent les experts les plus dignes de confiance dans la société.

Toutefois, à la lumière des résultats, je me suis demandé comment la pandémie va changer le rapport aux experts. Durant la crise sanitaire, les associations visibles entre les scientifiques et les élus dans les prises de décisions ont été accrues. Dans les années à venir, il faudra être attentif aux conséquences d’avoir mis sur une même scène des experts et des élus. Aux yeux du public, les scientifiques sont-ils devenus plus partisans? J’ai une petite inquiétude qu’il puisse y avoir eu une fragilisation de la confiance envers les experts et la science.

Aussi, quand on regarde les médias sociaux, que les jeunes consomment abondamment, force est de constater que les universités ne sont pas assez actives sur certaines plateformes très prisées par les jeunes: les plateformes privilégiées par les quarantenaires ne sont pas les plateformes privilégiées par les adolescents et les jeunes adultes. C’est une prise de conscience collective que nous devons faire, à l’Université de Montréal comme ailleurs. Je pense que nous n’avons pas le choix d’être présents sur ces nouvelles plateformes pour les alimenter en contenus crédibles et ne pas laisser les gens de mauvaise foi prendre trop d’espace dans ces nouveaux imaginaires collectifs.

Êtes-vous optimiste quant à l’avenir des sciences?

Je suis surtout optimiste envers les jeunes, qui sont beaucoup plus sophistiqués qu’on l’imagine. On peut dire qu’ils ne lisent pas le journal ou ne regardent pas les nouvelles à la télévision, mais tout d’abord était-ce vraiment le cas avant? Et ensuite, il existe une panoplie de contenus de qualité sur les médias sociaux.

Je suis optimiste à l’égard de la relève, et la science reste la science. Nos jeunes ont toujours été exposés aux médias sociaux et sont capables de voir quand un influenceur essaie de leur vendre quelque chose, bien mieux que quelqu’un de plus âgé qui ne comprend peut-être pas toujours aussi bien la dynamique des influenceurs. Il faut surtout se préoccuper de ceux qui essaient de manière malveillante de désinformer, mais en général les jeunes ne sont pas aussi naïfs que certains pourraient le croire.

Ma seule inquiétude réside dans le fait que la plupart des groupes d’âge sondés semblent avoir une désaffection et un désintéressement pour les institutions en général, pas seulement scientifiques, mais aussi politiques et universitaires. Avons-nous, par exemple, assez de jeunes brillants qui veulent aller dans la fonction publique?

À vos yeux, à titre de doyen d’une grande faculté d’arts et de sciences, pourquoi la culture scientifique est-elle essentielle pour les jeunes adultes, mais aussi pour la société en général?

Pour moi, ça va au-delà de la culture scientifique, c’est la culture en général qui est importante, qu’elle soit scientifique ou artistique. La culture amène plaisir et beauté. On se concentre souvent sur les retombées utilitaires de la culture scientifique, ce qui m’apparaît très réducteur. Ce dont nos jeunes et nos concitoyens ont besoin, ce sont d’outils qui procurent espoir, bonheur et sens. Et la culture scientifique est une source d’émerveillement incroyable, il en va de même de la culture artistique.

Dans un monde froid et incertain, on veut donner aux gens des repères, de la beauté, de la curiosité. Est-ce vraiment utile pour moi de connaître la date du Big Bang? Dans la vie de tous les jours, non, mais ça m’enrichit de comprendre les origines de l’univers. Quand on parle à la plupart des chercheuses et des chercheurs, on comprend que c’est une curiosité démesurée qui les a menés en recherche. Au-delà des retombées, c’est le «wow» de comprendre comment fonctionne un petit bout d’univers qui nous permet de nous sentir moins seuls et petits dans cette immensité. Toutes les formes de culture contribuent à donner un sens à l’humanité et participent au projet humaniste du savoir.

Quel est le rôle des enseignants, mais aussi des universités, dans la promotion des sciences?

Transmettre la passion et communiquer que plus on investit d’efforts pour comprendre, plus l’émerveillement sera grand. L’objectif est d’avoir ou d’être un professeur capable de montrer qu’apprendre et découvrir est une voie vers le bonheur et l’épanouissement. La passion dépasse le contenu, la matière, comme source d’émerveillement.

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