Aimés des uns, les condos sont un symbole négatif de changement urbain pour d’autres

Yan Kestens et Julie Karmann

Yan Kestens et Julie Karmann

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

En 5 secondes

La prolifération de condos dans la région de Montréal provoque, chez certaines personnes, des émotions négatives qui devraient être prises en compte, selon une doctorante en santé publique de l’UdeM.

Qu’on y vive ou pas, le condominium a un statut de symbole associé à l’embourgeoisement et pour certaines personnes, ce symbole se cristallise dans des émotions telles que la déception, l’irritation, l’anxiété et le pessimisme quant à la dynamique de pouvoir qui prévaut dans leur quartier.

C’est ce qu’indiquent les résultats d’une étude qualitative effectuée par la doctorante Julie Karmann, sous la direction du professeur Yan Kestens, du Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Le projet de recherche de Julie Karmann fait partie d’une étude de cohorte plus large de 1050 personnes portant sur les conséquences des changements urbains dans quatre grandes villes canadiennes, dont Montréal (étude INTERACT). Les travaux de la doctorante explorent plus particulièrement la réponse émotionnelle à ces changements et reposent sur des entrevues semi-dirigées menées d’octobre 2019 à janvier 2020 auprès de 32 personnes âgées de 25 à 73 ans vivant à Montréal ou dans sa banlieue.

Une prolifération de condos à Montréal

Des condos en construction dans le quartier Griffintown, à Montréal

Crédit : Getty

Dans son article à paraître dans l’édition de février de la revue scientifique Emotion, Space and Society, Julie Karmann cite des auteurs qui rappellent que, comme Toronto et Vancouver, «Montréal est à l'avant-garde du marché de la copropriété au Canada, les [condominiums] représentant près de 30 % de toutes les constructions de logements neufs depuis 1981».

Selon ces auteurs, la prolifération de ces habitations est «motivée à la fois par un changement des tendances sociodémographiques de la population et par les tendances du marché, soutenues par des politiques favorables à l’implantation et à la densification des condos» pour contrebalancer l'étalement urbain.

Or, les nombreux chantiers de condominiums entraînent des changements qui influent sur la perception des résidants à l'égard de leurs quartiers visés par ce type de construction.

Des émotions mitigées

Les émotions exprimées par les personnes interrogées étaient tantôt positives, tantôt négatives vis-à-vis de l’arrivée de condominiums dans leur quartier – allant de l’enthousiasme à la peur.

«Les émotions positives étaient liées à l’enthousiasme de voir de nouvelles familles s’y établir, à l’accroissement de la sécurité et du dynamisme économique ainsi qu’à une plus grande mobilité», mentionne Julie Karmann.

En revanche, plusieurs disent avoir ressenti des émotions négatives – déception, irritation, peur et pessimisme – devant les changements urbains survenant dans leur quartier.

Le sentiment de déception était surtout associé à la perspective que de nouvelles constructions empiètent sur des espaces verts ou naturels – «des milieux publics qui deviennent privés» – et qu’il y ait des problèmes de mobilité causés par l’augmentation du nombre de véhicules appartenant aux nouveaux résidants.

«Les entrevues ont aussi permis de constater que le condominium, comme mode de propriété, a un statut de symbole, souligne Yan Kestens. Il est rattaché à l’embourgeoisement du quartier, qui provoque de l’anxiété vis-à-vis de la hausse du coût des logements, en plus de donner le sentiment d’une perte de pouvoir sur les changements qu’imposent des entrepreneurs considérés comme des prédateurs.»

«Ce sentiment de perte de pouvoir est bien présent chez certains, qui se demandent s’il est encore possible de se battre contre le développement néolibéral de la ville, ajoute Julie Karmann. C’est un combat qui s’apparente à celui entre David et Goliath.»

Les émotions au cœur du bien-être… et de l’attractivité des villes

Selon les deux chercheurs, cette étude permet de mettre l’accent sur une dimension peu étudiée, soit celle du rôle des émotions dans la perception du bien-être ressenti lorsqu’on vit dans un quartier urbain.

«Au-delà même des parcs, des bâtiments et des services qui la composent, la ville est associée à des émotions chez les personnes qui l’habitent, soumet Julie Karmann. La ville est faite pour les humains et les émotions des citadines et citadins ont des conséquences sur leur santé psychologique et physique.»

«Il existe peu d’études sur le bien-être, la santé mentale et la vie urbaine, et s’intéresser à la dimension émotionnelle des changements urbains est tout à fait novateur», poursuit le professeur Kestens.

Selon lui, le bien-être de la population devient prioritaire pour les municipalités, qui ont un rôle accru à jouer en matière de développement durable et de lutte contre les inégalités sociales.

«Alors que le condo est souvent bien vu pour sa capacité à densifier la ville et à la rendre plus durable, nous constatons qu'il peut également ébranler le pilier social de la durabilité et du bien-être», observent Julie Karmann et Yan Kestens.

À leurs yeux, tant la société que les décideurs et chercheurs doivent être sensibles aux dynamiques sociales que le condominium instaure, au-delà de ses bienfaits économiques et architecturaux. Autrement, «aussi belle et rentable qu'une ville puisse être, sa durabilité pourrait rester hors de portée», concluent-ils.

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