Les potentielles zoonoses dans la mire des chercheurs

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En pleine pandémie de COVID-19, Timothée Poisot et ses collègues travaillaient déjà sur un algorithme pour prédire les interactions entre mammifères et virus.

Timothée Poisot

Timothée Poisot, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal

Pendant que la pandémie de COVID-19 mettait au jour l’importance de surveiller les virus qui pourraient infecter les humains, Timothée Poisot et ses collègues élaboraient un algorithme afin de prédire les interactions entre mammifères et virus. «Nous travaillions sur ce projet depuis début 2020, avant que la pandémie prenne de l’ampleur», raconte le professeur du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et membre du Viral Emergence Research Initiative (VERENA), un institut de recherche international basé à Washington DC. Un peu plus de trois ans plus tard, les résultats de ces milliers d’heures de calculs et de validation viennent tout juste d’être publiés dans la revue Patterns.

Faire de meilleures prédictions

Au carrefour de plusieurs disciplines, l’équipe dont fait partie Timothée Poisot souhaite faire de meilleures prédictions des interactions entre les mammifères et les virus. En effet, ce passage des virus d’une espèce à l’autre peut ultimement provoquer l’émergence d’une zoonose lorsque certaines conditions sont réunies. «Le problème de base, c’est qu’on ne connaît qu’entre un et deux pour cent des interactions entre les virus et les mammifères, confie M. Poisot. Les réseaux sont très épars et il y a peu d’interactions, qui sont concentrées sur quelques espèces.» Tenter d’échantillonner le tout à la main représenterait un travail titanesque, d’autant plus qu’il existe des milliers d’espèces de mammifères et encore plus de virus, ce qui mènerait à des combinaisons infinies entre les deux.

Le chercheur et ses collègues ont donc voulu élaborer un nouvel algorithme à l’aide de l’apprentissage automatique pour formuler des hypothèses d’interactions hôtes-virus à explorer. «Ce qu’on veut savoir, c’est quelle espèce de virus est susceptible d’infecter quelle espèce de mammifère pour établir quelles interactions sont plus probables», explique le chercheur.

Concevoir un outil fiable

Plusieurs milliers d’heures de travail ont été nécessaires pour créer l’algorithme et le raffiner. «Certains jeux de données étaient plus vieux, contenaient les anciens noms des espèces ou des erreurs parce que les données avaient été entrées à la main», soulève Timothée Poisot. Elles ont d’abord dû être nettoyées et uniformisées, un travail chronophage.

Une fois conçu, l’algorithme a été raffiné. «Un des avantages de l’algorithme, c’est qu’il a besoin de très peu d’information», remarque toutefois le professeur. Les modèles existants nécessitent beaucoup d’informations pour faire des prédictions: taxinomie, structure phylogénétique, données prises par échantillonnage, etc. L’algorithme de Timothée Poisot et de l’équipe multidisciplinaire du VERENA représente plutôt le système comme un réseau d’interactions entre virus et mammifères qu’il doit compléter. «L’algorithme prend le réseau que nous connaissons et le projette dans un nouvel espace, un peu comme du théâtre d’ombres, pour l’éclairer d’une manière différente, ce qui nous permet de faire des prédictions», ajoute-t-il. Malgré tout, établir ces prédictions aura demandé 10 000 heures de calcul sur les ordinateurs de Calcul Québec. En se basant sur les interactions connues, le modèle a trouvé 80 000 nouvelles interactions potentielles entre virus et hôtes.

«Après, l’essentiel du travail a été de déterminer à quel point nous avions confiance dans la prédiction du modèle», décrit Timothée Poisot. Le modèle a dû être validé statistiquement, un travail qui à lui seul a nécessité la publication d’un article sur la méthodologie de validation pour les données très incomplètes.

Reconstituer la connaissance oubliée

L’équipe de recherche a ensuite ciblé les 20 virus à surveiller ayant le potentiel de sauter la barrière des espèces pour infecter l’humain, mais également répertorié des régions «chaudes» où concentrer les ressources. «Nous avons beaucoup discuté parce qu’à première vue certains résultats nous paraissaient étranges», raconte Timothée Poisot.

Un des virus mis en lumière est celui de l’ectromélie murine, de la famille de la variole chez les souris. «Nous étions sceptiques, mais en cherchant dans la littérature, nous avons constaté qu’il y avait eu des cas chez les humains», relate le chercheur. Un des résultats importants de ce projet de recherche est ainsi la redécouverte de virus zoonotiques, qui avaient fait l’objet de publications éparses, mais qui n’avaient jamais été intégrés dans les bases de données.

Définir des zones «chaudes»

Un autre aspect novateur de la recherche est la cartographie des résultats pour mieux comprendre les interactions virus-mammifères à l’échelle globale. «Notre modèle fait des prédictions spatiales, mais plus précisément, indique spécifiquement dans quel groupe de mammifères et à quel endroit on risque de trouver certains types de virus», résume Timothée Poisot.

L’équipe a désigné deux zones à explorer. Le bassin amazonien, en Amérique du Sud, d’abord, où les interactions entre les hôtes et les virus sont plus originales qu’ailleurs et où il est plus probable d’observer de nouvelles interactions, mais également l’Afrique centrale, où l’on a trouvé de nouveaux hôtes potentiellement porteurs de virus zoonotiques. «On décale vraiment les endroits où il faut aller étudier les mammifères pour faire la découverte de nouveaux virus», explique-t-il. Les deux régions devraient donc intéresser les virologues s’ils veulent comprendre la diversification des systèmes hôtes-virus et le risque zoonotique qu’ils représentent.

C’est d’ailleurs la prochaine étape: restituer l’information pour qu’elle soit facile à utiliser par les partenaires sur le terrain. «On veut faciliter l’adoption du modèle par les parties prenantes. Maintenant, on sait quelle espèce surveiller, à quel endroit et pour quel type de virus», conclut Timothée Poisot. Une brique essentielle dans la prévention d’une prochaine pandémie.

À propos de cette étude

L’article «Network embedding unveils the hidden interactions in the mammalian virome», par Timothée Poisot et ses collègues, a été publié le 24 avril 2023 dans Patterns.

Un communiqué en anglais a été émis par le Viral Emergence Research Initiative.

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