Reconnaître les émotions pour prédire le risque de dépression
- UdeMNouvelles
Le 26 juillet 2023
- Catherine Couturier
Le professeur de l’École de psychoéducation de l’UdeM Pierrich Plusquellec et son équipe publient les résultats d’une étude qui mesure la contagion des émotions et le risque de dépression.
Exposés à des émotions négatives au quotidien, les professionnels des relations d’aide (travailleurs sociaux, psychologues, psychoéducateurs, etc.) sont fortement à risque de contagion émotionnelle, ce qui peut entraîner stress et détresse. «Les enjeux émotionnels sont parmi les principaux facteurs d’épuisement professionnel, voire de dépression», dit Pierrich Plusquellec. C’est le constat que le professeur de l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal avait fait dans une étude précédente auprès de 700 intervenants et intervenantes de centres jeunesse. Parce que si l’empathie est essentielle dans la relation d’aide (soit la capacité de reconnaître les émotions et d’agir en conséquence), la sympathie, c’est-à-dire le fait de ressentir ce que l’autre ressent, ne permet pas toujours de garder la distance qui est nécessaire pour le soutenir adéquatement.
«L’enjeu de la contagion émotionnelle passe souvent sous le radar», poursuit Pierrich Plusquellec. La contagion émotionnelle, c’est la transmission inconsciente et de manière automatique de l’émotion d’un individu à un autre; certaines personnes absorbent par ailleurs davantage les émotions des autres. «Plus on est proche d’une personne, plus on est à risque de contagion émotionnelle», indique-t-il. Or, le travail des psychoéducateurs est d’établir un lien avec leurs clients. «Ils sont donc plus à risque d’épuisement émotionnel», selon le professeur.
Reconnaître pour prévenir
Le chercheur souhaitait ainsi aider les futurs travailleurs des services sociaux à mieux maîtriser leurs émotions. Mais encore fallait-il mesurer avec précision la contagion émotionnelle. Entre en scène l’intelligence artificielle, un des champs d’intérêt de Pierrich Plusquellec, qui travaille entre autres sur l’informatique affective et la communication non verbale. Avec une étudiante de maîtrise et le chercheur et diplômé de l’Université de Montréal Vincent Denault, il a utilisé un logiciel qui mesure automatiquement les expressions faciales et il a proposé à des étudiantes et étudiants de se prêter au jeu en visionnant des extraits de films connus pour susciter des émotions.
Les résultats de cette recherche ont été publiés début juillet dans la revue Psychological Reports. «Nous y décrivons de quelle manière la mesure automatique des expressions faciales du visage d’étudiantes et d’étudiants pendant qu’ils regardent des extraits de film peut prédire leur risque de dépression», résume Pierrich Plusquellec.
Des émotions contagieuses
L’étudiante de maîtrise Kaylee Smart a recruté 56 étudiants et étudiantes en psychoéducation de l’Université de Montréal. En laboratoire, ils ont visionné une vidéo de 30 minutes d’extraits de films reconnus pour susciter une variété d’émotions positives et négatives (joie, colère, peur, tristesse, dégoût, surprise, neutre). Leurs visages étaient filmés pour être analysés par le logiciel FACET (Facial Action Coding System), qui fait appel à l’intelligence artificielle.
Il existait bien un instrument de mesure, soit l’Échelle de contagion émotionnelle (ECC), mais cet outil se base sur un questionnaire autorapporté. «Le problème, c’est que si la personne n’est pas consciente de ses propres émotions ou qu’elle n’a pas une bonne capacité d’introspection, elle va répondre à côté», souligne Pierrich Plusquellec, qui a voulu comparer cet instrument avec le logiciel FACET. Un questionnaire psychométrique classique a aussi été utilisé pour prédire le risque de dépression.
Aider à aider les autres
Le professeur Plusquellec et son équipe concluent que le questionnaire ECC «prédit assez peu de choses», contrairement à l’outil automatique, qui lui prédit le risque de dépression et le souci empathique (soit le fait de vouloir aider l’autre sans tomber dans la détresse). Ainsi, plus les participants et participantes réagissaient avec leur visage aux émotions montrées dans le film, plus ils étaient à risque de dépression et moins ils étaient capables de faire preuve de compassion. Ceux qui étaient plus susceptibles d’être «contaminés» par les émotions des autres présentaient donc un plus grand risque de dépression. La variable la plus prédictive était la réactivité globale face aux extraits de films, peu importe l’émotion véhiculée.
Pierrich Plusquellec aimerait rendre accessible son outil gratuitement en ligne pour aider ceux et celles qui aident les autres. «Comme votre réactivité faciale prédit votre risque de dépression, l’outil pourrait être employé pour exercer une veille émotionnelle et permettre une prise en charge précoce», croit-il. Étant donné que la contagion émotionnelle augmente le risque d’épuisement, le chercheur souhaiterait également créer une forme d’intervention pour limiter la contagion et aider les étudiantes et les étudiants à mieux gérer leurs réactions aux émotions des autres. Parce que pour aider les autres, il faut d’abord s’aider soi-même.