Vaira Vike-Freiberga, de professeure à présidente de la Lettonie

Vaira Vike-Freiberga a présidé la Lettonie après avoir enseigné à l'Université de Montréal de 1965 à 1998.

Vaira Vike-Freiberga a présidé la Lettonie après avoir enseigné à l'Université de Montréal de 1965 à 1998.

Crédit : Archives UdeM

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Retraitée de l’UdeM en 1998, Vaira Vike-Freiberga retourne en Lettonie après 50 ans d’exil. Elle devient alors présidente de son pays, première femme à diriger un État d’Europe de l’Est.

«Accepteriez-vous d’être présidente de la Lettonie?» La question est posée en 1998 par un journaliste letton à Vaira Vike-Freiberga, qui descend tout juste d’avion après un exil qui a duré plus de 50 ans – dont 33 passés au Québec comme professeure de psychologie à l’Université de Montréal. «Mais certainement. Ce serait un honneur pour moi», répond-elle, prenant son interlocuteur par surprise. Il n’est pas de bon ton chez les Lettones, en général, d’exprimer de l’ambition. Mme Vike-Freiberga en est consciente.

Moins d’un an plus tard, le 17 juin 1999, elle est élue présidente de cette république balte de 2,3 millions d’habitants, poste qu’elle occupera pendant huit ans. Durant sa présidence, la Lettonie adhérera à l’OTAN et sera admise au sein de l’Union européenne. «C’est ce dont je suis le plus fière», dit-elle au cours d’un entretien téléphonique avec Les diplômés de Riga, la capitale lettone.

La première femme présidente d’un pays d’Europe de l’Est est aussi passée à l’histoire pour avoir mis en place nombre de mesures de justice sociale et pour avoir fait du letton la langue officielle du pays, s’inspirant entre autres de la loi 101 du Québec. Et son immense popularité – elle est reportée au pouvoir par le Parlement après son premier mandat avec 88 votes sur 96 – lui permettra de présider à l’évolution d’un pays ayant nouvellement acquis son indépendance après des siècles de domination étrangère, notamment par le Troisième Reich pendant la guerre et l’Union soviétique de 1944 à 1990.

«Mme Vike-Freiberga a redonné aux Lettons la fierté de leur culture», résume Saulius Mykoliunas, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM et doctorant au Département de science politique de l’Université. Pour ce Lituanien d’origine qui a suivi de près l’accession à l’indépendance des pays baltes, le fait que cette candidate aux présidentielles de 1999 avait passé la plus grande partie de sa vie à l’extérieur du pays n’était pas un handicap. «Au contraire, elle était à l’abri des influences politiques de l’ancien régime.» À son avis, sa présidence a été marquée par plusieurs bons coups diplomatiques et a fait de la Lettonie un pays mieux respecté en Occident.

Après avoir coudoyé les Vladimir Poutine, Kofi Annan, George W. Bush et Jacques Chirac dans l’exercice de ses fonctions, la femme politique de 81 ans côtoie toujours plus de 100 anciens chefs d’État au Club de Madrid, qu’elle préside depuis 2013. Et elle demeure active dans diverses associations visant la prévention des conflits dans le monde. «Je crois que nous vivons mieux, globalement, qu’il y a 20 ou 30 ans. Mais la pauvreté, l’injustice et les guerres perdurent dans beaucoup d’endroits sur la planète», déclare-t-elle quand on l’interroge sur l’avenir.

Réfugiée en exil

Difficile de croire qu’à peine un an avant son accession à la tête du pays Mme Vike-Freiberga donnait encore des cours au pavillon Marie-Victorin de l’Université de Montréal et dirigeait des recherches à titre de professeure au Département de psychologie. «J’ai adoré ma carrière d’universitaire, particulièrement le contact avec les étudiants.»

À Montréal, elle se fait connaître par son sens du leadership et son énergie peu commune, ce qui l’amène à diriger plusieurs associations professionnelles et scientifiques comme la Société canadienne de psychologie, la Fédération des sciences humaines du Canada et une académie de la Société royale du Canada. Elle a aussi été membre puis vice-présidente du défunt Conseil des sciences du Canada. Ces expériences lui ont été utiles pour les fonctions qui l’attendaient, souligne-t-elle.

Elle a reçu de multiples honneurs durant sa carrière: prix Marcel-Vincent de l’Acfas en 1992; médaille Pierre-Chauveau de la Société royale du Canada en 1995; Grande Médaille de l’Académie des sciences de Lettonie en 1997… Au total, 19 doctorats honoris causa lui ont été décernés par des universités de tous les coins du monde, ainsi que de nombreux prix internationaux.

Mais rien ne prédisposait la jeune Vaira Vike à jouer un rôle dans l’histoire politique de son pays. D’autant plus qu’elle avait dû fuir Riga avec sa famille en 1944, emportant uniquement ce que ses mains pouvaient transporter. «Trois semaines et trois jours après avoir quitté les rivages de la Lettonie, ma petite sœur est morte; nous l’avons enterrée en Allemagne de l’Est. Nous n’avons jamais pu revenir et déposer une fleur sur sa tombe. Quand je suis retournée sur les lieux après la réunification de l’Allemagne, le cimetière n’existait plus», relate-t-elle dans sa biographie.

Après des mois d’errance dans des camps de réfugiés en Pologne et en Allemagne, sa famille s’installe au Maroc, où elle restera pendant six ans, puis immigre au Canada en 1954. Douée pour les langues, elle apprend le français en quelques mois alors qu’elle a 11 ans. En plus de sa langue maternelle, le letton, elle maîtrise l’anglais, l’allemand et l’espagnol. Elle adore les études, ce qui la conduit à faire une maîtrise à l’Université de Toronto en 1960 et un doctorat à l’Université McGill en 1965. Elle a épousé entretemps un compatriote, Imants Freibergs, qui deviendra professeur d’informatique à McGill, puis à l’UQAM. Le couple aura deux enfants, Karlis et Indra.

Durant sa carrière scientifique, elle mène des travaux de psycholinguistique, de sémiotique et de psychopharmacologie. Elle s’intéresse notamment aux chansons folkloriques de son pays, les daïnas. «On y trouve des éléments de sagesse populaire et des thèmes universels qui ne sont pas étrangers à ceux qui existent au Québec», explique-t-elle en chantonnant un extrait de Trois beaux canards.

En voiture officielle!

Trois mois après sa retraite comme professeure du Département de psychologie de l’Université de Montréal en 1998, Mme Vike-Freiberga accepte la direction de l’Institut letton, nouvellement créé dans son pays natal. Peu de gens s’attendent à la voir devenir l’année suivante présidente de la Lettonie. «Ce n’était pas dans mon plan de carrière», concède-t-elle en riant. Parmi les nouvelles exigences du rôle, plus question de franchir à pied la distance entre son domicile et le palais présidentiel; ses gardes du corps insistent pour la faire monter dans la voiture de fonction…

«Elle est toujours demeurée attachée à son pays d’origine, ce qui ne l’a pas empêchée de se consacrer entièrement à ses tâches universitaires», indique Franco Lepore, professeur au Département de psychologie, qui l’a côtoyée pendant plus de 25 ans. Il lui a rendu visite à Riga en 2004 et elle l’a reçu avec simplicité et affabilité dans son palais d’été. « Nous avons parlé de la vie du département comme si nous nous étions quittés la veille», raconte-t-il.

Sur la place des femmes aux postes de pouvoir, Mme Vike-Freiberga est consciente d’avoir été un modèle. «En Lettonie, les femmes contribuent à la société depuis des siècles; tout le monde le sait et le reconnaît. Mais l’idée qu’une femme puisse accéder aux plus hautes fonctions n’est pas pour autant acceptée à tous les niveaux de la société. Il en va de même dans d’autres domaines. Je dirais cependant que la Lettonie est plus progressiste que d’autres pays, y compris un certain nombre de démocraties traditionnelles.»

Cela dit, elle admet qu’il y a encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes.

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