Gentrification à Montréal: une nouvelle dynamique est à l’œuvre depuis l’an 2000

Dans le Sud-Ouest, l’industrie de la promotion immobilière a donné lieu à un changement majeur du paysage urbain en favorisant la construction de bâtiments verticaux à forte densité, remplaçant le traditionnel immeuble de type «plex».

Dans le Sud-Ouest, l’industrie de la promotion immobilière a donné lieu à un changement majeur du paysage urbain en favorisant la construction de bâtiments verticaux à forte densité, remplaçant le traditionnel immeuble de type «plex».

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Une étude menée dans l’arrondissement du Sud-Ouest révèle qu’à l’inverse des années 80, ce sont les promoteurs immobiliers qui règlent la danse en imposant un nouveau mode d’occupation de la ville.

Dans un contexte de surchauffe immobilière sans précédent au Québec est parue récemment une étude réalisée sur la gentrification à Montréal dans la revue Recherches sociographiques, qui vient de la mettre en ligne en accès libre sur le site erudit.org. Cette étude, qui a comme théâtre l’arrondissement montréalais du Sud-Ouest, met en lumière l’accélération du processus de gentrification entraînée par l’évolution du profil et des pratiques professionnelles des promoteurs immobiliers. Ces derniers généralisent de nouvelles logiques de développement urbain, édictées de manière croissante par la rentabilité qu’exigent les fonds d’investissement privés qui participent de plus en plus activement au développement immobilier.

L’étude a été menée en collaboration par les professeurs Gabriel Fauveaud, du Département de géographie de l’Université de Montréal, Louis Gaudreau, de l’École de travail social de l’UQAM, et Marc-André Houle, professeur de sociologie au Collège de Maisonneuve. Les trois chercheurs sont aussi membres du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH).

«Nos recherches nous ont permis de cerner l’émergence de promoteurs immobiliers dits de troisième génération, qui se concentrent surtout sur la promotion d’un nouveau mode de vie, sa conceptualisation et son financement, mais qui sous-traitent l’étape de la construction, considérée comme trop prenante, résument d’entrée de jeu les auteurs. Le recours aux fonds d’investissement pour financer les projets est aussi une caractéristique de ces promoteurs. En exigeant des rendements élevés, les fonds d’investissement favorisent de fait la construction de condominiums, puisque c’est le type d’habitation engendrant le plus de profits.»

Le Sud-Ouest de Montréal: un laboratoire idéal

Dans l'arrondissement du Sud-Ouest, l’immeuble multirésidentiel de faible densité de type «plex» a longtemps régné en maître.

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Cette étude braque les projecteurs sur l’arrondissement du Sud-Ouest, où la gentrification a été particulièrement vigoureuse depuis 20 ans, et plus précisément sur les cinq quartiers qui le composent, soit Pointe-Saint-Charles, La Petite-Bourgogne, Saint-Henri, Côte-Saint-Paul et Ville-Émard. À forte composition ouvrière, ces quartiers ont connu une lente décroissance de leur population dès les années 50. Aujourd’hui, l’arrondissement est de plus en plus habité par des gens aisés ayant adopté le mode de vie en condominium.

Pour mener à bien cette étude, les trois chercheurs ont rencontré, dans le cadre d’entretiens semi-directifs, six promoteurs immobiliers, quatre investisseurs (notamment des banques et des fonds d’investissement), un analyste du marché de l’immobilier ainsi qu’un représentant d’une association regroupant différents intervenants du monde de la promotion immobilière au Québec.

Gentrification intensive

C’est la sociologue américaine Ruth Glass qui est à l’origine, dans les années 60, du concept de gentrification, un processus dont les formes et les acteurs ont considérablement évolué depuis. Au cours des dernières décennies, elle s’est non seulement mondialisée, mais aussi intensifiée sous l’effet, notamment, d’une montée en puissance des promoteurs immobiliers, qui sont devenus les «principaux ordonnateurs» du développement urbain.

L’analyse des permis de construction accordés entre 2000 et 2015 dans le Sud-Ouest a permis au trio de chercheurs de constater que le développement résidentiel qui contribue à l’intensification de la gentrification est dans l’ensemble porté par un groupe restreint de promoteurs: cinq promoteurs seulement sont à l’origine de 50 % des nouveaux logements construits au cours de cette période.

Après avoir connu une phase plus classique de gentrification, soutenue par l’arrivée de «gentrifieurs» issus de la classe moyenne se réappropriant les logements et bâtiments anciens, le secteur est désormais le théâtre d’une intensification de la gentrification, d’où l’expression de «super gentrification».

Le promoteur immobilier: celui qui façonne le devenir de la ville

Aujourd’hui, ce processus est dominé par un acteur, le promoteur immobilier, qui est plus souvent une entreprise qu’un simple individu. Le promoteur se distingue des autres intervenants du développement résidentiel que sont les architectes, les entreprises de construction, les courtiers immobiliers, les investisseurs et prêteurs, par son rôle de maître d’ouvrage et par la fonction de coordination qu’il exerce.

«Cette position de contrôle lui confère le pouvoir important d’influencer, si ce n’est de déterminer, la forme et les conditions du logement urbain et de façonner de manière durable le devenir de la ville», soulignent les auteurs.

Jusqu’au début des années 50, la promotion immobilière était une activité relativement marginale au Canada. Le développement résidentiel y a longtemps été dominé par la pratique non marchande de l’autoconstruction ainsi que par la construction sur commande.

À la fin des années 90 se produisent une mutation dans les pratiques de l’entreprise de promotion immobilière, qui tend à se spécialiser dans d’autres fonctions que la seule construction, et une évolution dans le mode de financement des projets qui repose davantage sur la participation de fonds d’investissement.

On passe ainsi du promoteur de première génération qui s’occupait de la construction à celui de deuxième génération qui la délaisse progressivement jusqu’à celui de troisième génération qui le plus souvent l’externalise en la sous-traitant. Il se concentre alors sur des activités en amont et en aval de celle-ci, devenues plus stratégiques dans le marché compétitif du condominium: la recherche de terrains, la conception du projet, le montage financier, la négociation avec les pouvoirs publics et la mise en marché.

Quant aux sources de financement, celles qui ont longtemps dominé le marché étaient le prêt bancaire et le financement privé par un ou des particuliers. Un troisième acteur, le fonds d’investissement immobilier, a fait son apparition dans le marché résidentiel montréalais et prend de l’importance, ce qui privilégie les projets les plus rentables, soit à grand volume et de forte densité.

La communauté verticale: un style de vie nouveau pour une clientèle très ciblée

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Dans ce secteur de la ville où a longtemps régné en maître l’immeuble multirésidentiel de faible densité de type «plex», l’industrie de la promotion immobilière a donné lieu à un changement majeur du paysage urbain. Elle a favorisé la construction de bâtiments verticaux (les tours) de plus forte densité dans lesquels sont aménagés des logements offrant un espace habitable de 500 pi2 et moins que les promoteurs rencontrés désignent par l’expression «microcondo».

Dans ces tours de microcondos, des aires communes sont mises à la disposition des acheteurs – salles d’entraînement, salles de cotravail, spaces lounge – et les logements sont intégrés dans un environnement multifonctionnel. Le discours de mise en marché de ces projets décrit un nouveau style de vie et un nouveau milieu de vie urbain (le lifestyle) où l’essentiel se situerait en dehors du logement.

La «condoïsation» des modes de vie

Les consommateurs ciblés par ce lifestyle moteur de ce que la littérature consultée par les auteurs nomme la «gentrification par la construction» (new-build gentrification) sont les jeunes adultes sans enfants, les immigrants nouvellement arrivés au Québec, les nouveaux retraités et les personnes âgées. Ces consommateurs aisés d’âges différents, dont un des points communs est souvent de ne pas avoir d’enfants à charge, sont visés par des stratégies publicitaires raffinées dont le but est de vendre non seulement des logements, mais aussi un mode de vie et une manière d’habiter la ville.

«L’avènement du microcondo est la conséquence de la logique économique capitaliste et ce modèle de développement urbain s’avère une fabrique à exclusion», déplore les auteurs.

Mais le succès des promoteurs immobiliers de troisième génération dans le Sud-Ouest a été tel qu’ils ont étendu leur zone d’influence à d’autres secteurs pour réaliser des projets d’envergure, notamment au centre-ville et en banlieue. Comme l’indiquent les auteurs dans une lettre ouverte publiée le 6 novembre dernier, l’influence graduelle de ce modèle a certainement joué un rôle dans la crise du logement qui sévit actuellement à Montréal.

Un nouveau mode d’occupation… avec la COVID-19?

Pour ne pas étouffer dans leur microcondo, les occupants doivent pouvoir jouir des aires communes de leur nouveau lifestyle. «Or, dans le contexte actuel de pandémie, alors que les gouvernements exigent la fermeture de ces aires communes pour un temps indéterminé et appellent leurs citoyens à vivre et à travailler dans leur logement, que peut-on présager pour l’avenir de ces microcondos? La prochaine pandémie mettra-t-elle fin au modèle?» se questionnent les auteurs. Les paris sont lancés!

 

 

À propos de cette étude

L’article «L’action des promoteurs immobiliers dans le processus de gentrification du Sud-Ouest de Montréal» a été publié à l’hiver 2021 dans la revue Recherches sociographiques et diffusé en accès libre sur erudit.org le 19 octobre 2021.

Cet article scientifique a été produit à partir d’un rapport plus étoffé intitulé L’immobilier, moteur de la ville néolibérale. Promotion résidentielle et production urbaine à Montréal.

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