Jamais sans ma télé: le sériephile sous la loupe

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La fascination pour les séries au petit écran ne date pas d’hier. Pourquoi ce genre de divertissement captive-t-il encore autant et comment les sériephiles lui manifestent-ils leur amour?

Il aura suffi de quelques heures et ça y est. Vous voilà sous le charme… d’une télésérie. Comment, en tant que spectateur ou spectatrice, vous y consacrerez-vous: accorderez-vous seulement une heure par semaine à cette série ou plutôt plusieurs week-ends d’affilée? Chercherez-vous à partager votre nouvelle passion dans les médias sociaux ou achèterez-vous les produits dérivés?

Les habitudes des sériephiles, ces amateurs ou amatrices de séries télévisées, s’observent de plusieurs façons. Qu’il s’agisse de consommer quotidiennement du contenu télévisuel ou de le faire de manière ponctuelle, tout un pan de recherche explore l’intérêt porté aux téléséries, les raisons qui motivent cet amour et les pratiques qui suscitent un engagement de la part des spectateurs et spectatrices.

Ce sujet sera abordé par Joyce Cimper, doctorante et chargée de cours au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l’Université de Montréal, au colloque «Mieux comprendre l’amour pour/par les séries télévisées», présenté le 8 mai à l’occasion du 90e Congrès de l’Acfas.

Meilleures intrigues, plus grand engagement

Selon Joyce Cimper, deux écoles de pensée expliquent le phénomène de la sériephilie. La première soutient que c’est le gain de qualité et la complexification des fictions qui ont suscité dans les dernières décennies un intérêt grandissant pour les téléséries, tandis que pour la seconde il s’agit plutôt des liens émotionnels que le spectateur ou la spectatrice parvient à créer avec les séries. «Nous avons affaire, depuis les années 1980, à des séries qui sont plus complexes narrativement et qui présentent des personnages développés psychologiquement. Tout cela permet de garder le public engagé intellectuellement. Il y a aussi toute la notion affective, c’est-à-dire le réconfort que ces œuvres vont nous apporter, qui joue un rôle important», dit la chargée de cours.

Il y a également eu une évolution dans le rapport à l’œuvre en tant que tel. Si les séries ont longtemps été perçues comme du divertissement décérébré par les académiciens, il aura fallu attendre les années 1990 pour que les amateurs et les amatrices se décident à assumer leur amour des téléséries. «Il y a eu un anoblissement qui a commencé, entre autres, avec la série X-Files: aux frontières du réel, explique la doctorante. Cependant, encore aujourd’hui, il peut y avoir une certaine réticence à afficher publiquement son amour pour une série, puisqu’en le faisant on indique la position qu’on occupe dans l’espace social. Mais dans l’ensemble, les gens assument beaucoup plus le fait d’apprécier les œuvres par rapport aux générations passées. Cela est dû, en partie, aux réseaux sociaux, qui permettent d’interagir avec d’autres et de normaliser son amour pour les séries.»

Sortir l’écran de la maison

Si, auparavant, les séries télévisées étaient habituellement regardées dans le confort de son domicile, l’arrivée des nouvelles technologies est venue changer la donne. Non seulement il est encore possible de regarder sa série fétiche sur sa télévision, mais on peut désormais la suivre sur un ordinateur, une tablette ou un cellulaire, et ce, peu importe l’endroit où l’on se trouve. «Le fait de pouvoir regarder des séries sur n’importe quel support, de pouvoir les commencer à la maison et de poursuivre leur écoute dans le métro ou dans l’avion change la manière dont on perçoit les œuvres, mentionne Joyce Cimper. Le visionnement n’est plus limité dans le temps ni à un seul écran. C’est où l’on veut, quand on veut.»

La façon dont les gens consomment les séries a également évolué. Pour s’assurer de pouvoir regarder tous les épisodes d’une série, certains font appel à l’écoute en rafale (binge watching), alors que d’autres optent pour le visionnement en accéléré (speed watching). «Certaines personnes regardent désormais des séries en accélérant leur vitesse de lecture, venant à écouter un épisode de 50 minutes en 30 minutes, avec tous les sacrifices que cela peut représenter sur le plan de l’esthétique de l’œuvre. Leur argument est qu’elles sont pressées de terminer la série afin d’en commencer une autre ou qu’elles désirent avoir du temps pour s’adonner à d’autres activités, comme pratiquer un sport ou voir des amis. C’est pour cette raison qu’il y a une recrudescence des miniséries et des séries limitées avec très peu d’épisodes. Une partie du public semble préférer les fictions qui ne demandent pas d’engagement durable», explique la doctorante. Dans une société où tout va vite, certains vont même jusqu’à comparer ce genre d’œuvre à Tinder, c’est-à-dire des utilisateurs et des utilisatrices à la recherche de relations à court terme plutôt que des gens prêts à s’engager dans une série de 10 saisons.

Quand l’investissement devient personnel

Plusieurs amateurs et amatrices de séries télévisées ne s’arrêteront pas à regarder les épisodes. Certains investiront temps ou argent afin d’ancrer davantage l’œuvre dans leur quotidien. Il peut alors s’agir de créer soi-même du contenu en lien avec sa série favorite, telles des fanafictions et des créations audios, ou encore d’acheter des produits dérivés comme des figurines ou des bijoux analogues à ceux portés par les personnages. «Je crois que, lorsqu’on commence à s’investir de manière temporelle et à créer soi-même du contenu, on passe du statut de simple spectateur à celui d’adepte. La même chose se produit lorsqu’il y a un investissement financier. Cela prouve que la relation à la série gagne en intensité», précise Joyce Cimper.

Les auteurs et auteures de séries télévisées vont également participer à cette création de contenu hors cadre. Puisqu’ils ont conscience que les personnages occupent une place centrale dans la vie des spectateurs et spectatrices, ils tentent de les ancrer le plus possible dans notre quotidien. «Ils vont, par exemple, créer des pages personnelles pour tous les personnages où leurs anniversaires seront célébrés et où les spectateurs pourront interagir avec eux, ce qui renforce le sentiment de proximité, l’impression que le protagoniste fait partie intégrante de notre vie. Certains personnages nous accompagnent pendant de nombreuses années; nous avons l’impression de les connaître, de les avoir vus évoluer. C’est ce qui fait l’intérêt des séries», conclut-elle.

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