Plus d’IA en santé pour accroître l’efficacité des soins

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L’IA pourrait permettre d’améliorer la prévention, les diagnostics et les soins dans les différentes disciplines de la santé, y compris en psychiatrie et en santé mentale.

L’intelligence artificielle (IA) est déjà présente à différents degrés dans nos réseaux de la santé. Le problème, c’est que son utilisation se fait surtout en silo dans certaines unités de soins ou de recherche. Selon l’entrepreneur diplômé de l’Université de Montréal Alexandre Le Bouthillier, l’IA devrait plutôt être implantée de façon globale afin d’accroître la rapidité et l’efficacité des soins.

L’entrepreneuriat fait partie intégrante du parcours d’Alexandre Le Bouthillier. Tout au long de ses études – du baccalauréat au doctorat en sciences informatiques au Département d’informatique et de recherche opérationnelle (DIRO) de l’UdeM –, il a dirigé Planora. L’entreprise, qu’il a cofondée avec Louis-Martin Rousseau, alliait optimisation de la main-d’œuvre et intelligence artificielle. Jean-François Gagné, fondateur d’Element AI, s’était aussi joint à la compagnie.

En 2012, à 37 ans, Alexandre Le Bouthillier vend Planora et prend une pause de trois ans. L’homme est alors à la croisée des chemins: son père reçoit un diagnostic de cancer terminal. Cela pousse l’entrepreneur à s’intéresser à l’IA en santé pour essayer de rendre notre système de santé plus efficace.

Guidé par Yoshua Bengio, dont les travaux en intelligence artificielle étaient en plein essor, Alexandre Le Bouthillier s’associe à Nicolas Chapados – un autre doctorant du DIRO – pour fonder Imagia en 2015, une entreprise qui offre des solutions en oncologie de précision.

«En lisant sur l’oncologie, j’ai constaté que plusieurs interventions humaines ralentissent le processus qui sépare l’examen du patient de son traitement, indique-t-il. L'IA permet d'accélérer ce processus par l’analyse des images de divers types de cancer et par leur association avec des profils génétiques spécifiques en vue de trouver le meilleur traitement pour chaque patient.»

Pour l’heure, les véritables percées de l’intelligence artificielle en oncologie s’appliquent surtout aux cancers pour lesquels il existe un système de dépistage, tels le cancer du sein, le cancer colorectal et le cancer du poumon, qui rend accessible une grande quantité de données. Toutefois, malgré des programmes de dépistage de plus en plus performants, les traitements ne fonctionnent que dans 30 % des cas.

Vers une démocratisation de l’IA en santé

Aujourd’hui cofondateur et partenaire de Linearis, un fonds d’investissement responsable en IA appliquée à la santé, Alexandre Le Bouthillier s’affaire à accentuer la présence de l’intelligence artificielle dans le domaine.

Par exemple, la métabolomique – la science qui analyse les métabolites, dont le cholestérol – sera de plus en plus utilisée et couplée aux autres sciences dites «-omiques», telle la génomique.

Avec des appareils de collecte à faible coût, une personne pourra effectuer un prélèvement elle-même à la pharmacie. Les données seront transmises à un laboratoire doté d’un système d’IA capable d’analyser, en quelques secondes, l’état de santé de la personne ou sa réponse à un traitement et de proposer un ajustement au besoin. Selon lui, le recours à l’intelligence artificielle en santé ne pourra toutefois pas s’étendre tant que le télécopieur prévaudra dans le réseau…

«C’est en permettant qu’un premier dépistage non invasif puisse être fait par le patient, à faible coût et à proximité de son lieu de résidence, qu’on parviendra à démocratiser l’accès à un meilleur système de santé grâce à l’IA, conclut Alexandre Le Bouthillier. C’est aussi en utilisant des modèles de lignées cellulaires et organoïdes humains – plutôt que des souris – que la recherche permettra d’accélérer la découverte de nouveaux traitements.»

Des travaux prometteurs en psychiatrie et en santé mentale

L’intelligence artificielle pourrait également permettre aux psychiatres et aux intervenants en santé mentale de personnaliser les soins et les thérapies. Il y a un an, la revue Proceedings of the National Academy of Sciences publiait un article faisant état d’un nouveau modèle informatique du cerveau humain qui vise à mieux comprendre la façon dont les capacités cognitives complexes, notamment la conscience, se développent.

Ce modèle a été mis au point par Guillaume Dumas, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. Possédant une formation transdisciplinaire qui combine la physique fondamentale, l’ingénierie des systèmes et les sciences cognitives, Guillaume Dumas oriente depuis plus d’une décennie ses travaux de recherche sur la dimension sociale du cerveau humain.

Grâce à l’hyperscanning – un outil qu’il a créé et qui permet d’enregistrer simultanément l’activité cérébrale de plusieurs personnes –, il démontre en 2010 que, dans les interactions sociales, les cerveaux se mettent littéralement sur la même longueur d’onde, se synchronisant en quelque sorte!

À partir de cette découverte, il réalise en 2012 les premières simulations neuro-informatiques de deux cerveaux en interaction, prouvant que la similarité anatomique explique en partie ces synchronisations intercérébrales. À l’inverse, une trop grande dissemblance pourrait donc conduire à des difficultés à se synchroniser avec les autres.

Puis, en s’appuyant sur la théorie des systèmes dynamiques, il introduit en 2014 un nouveau paradigme d’interaction humain-machine où l’utilisateur humain interagit avec un avatar bio-inspiré en temps réel.

«Ce paradigme m’a permis de découvrir comment un réseau neuronal, qui intègre les informations de son propre comportement et de celui des autres, relie aussi les dimensions sensorimotrice et représentationnelle de la cognition sociale au cours d’une interaction en temps réel», ajoute celui qui dirige le laboratoire de psychiatrie de précision et de physiologie sociale au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

Dans ses travaux alliant la psychiatrie informatique, la médecine de précision et l’intelligence artificielle neuro-inspirée (Neuro-AI), Guillaume Dumas travaille à mettre au point une approche plus personnalisée et prédictive en psychiatrie et en santé mentale.

«Par exemple en psychiatrie, l’adaptation aux patients se fait, pour l’instant, au cas par cas par le médecin traitant. Avec une psychiatrie de précision, on s’appuiera sur des marqueurs objectifs qui guideront la prise de décision clinique des psychiatres et autres intervenants en santé mentale», mentionne-t-il.

Vers une «conscience artificielle»?

Le modèle neuro-informatique du cerveau humain élaboré par Guillaume Dumas s’inscrit dans cette volonté de mieux intégrer les données en vue de la prise de décision clinique en proposant un «jumeau numérique» du cerveau des patients. Mais son modèle s’inscrit également dans la convergence de la neuroscience et de l’intelligence artificielle en mettant en évidence les mécanismes biologiques et les architectures cognitives qui peuvent alimenter le développement de la prochaine intelligence artificielle, voire conduire à une «conscience artificielle».

«Pour atteindre cette étape, il faudrait intégrer la dimension sociale de la cognition humaine et nos prochains travaux viseront cette intégration, précise le chercheur. À cet égard, nous avons réalisé la première simulation biophysique de deux cerveaux en interaction et cet arrimage permet déjà d’approfondir notre compréhension des mécanismes fondamentaux qui sous-tendent la cognition humaine et ses troubles, notamment l’autisme.»