La photonique quantique pour tous

Carlos Silva

Carlos Silva

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

En 5 secondes

Nouveau directeur de l’Institut Courtois et titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada, le physicien Carlos Silva veut mettre son domaine obscur sous la lumière dont il a tant besoin.

Il arrive fréquemment à Carlos Silva de devoir expliquer ce qu’il fait.

Physicien, il se spécialise dans les matériaux utilisés en photonique quantique. De quels matériaux s’agit-il? Invité à répondre à cette question, il doit commencer par définir la photonique en termes simples: c’est l’étude de la lumière utilisée pour une fonction en particulier, comme dans le cas des lasers à l’intérieur des imprimantes ou celui des cellules solaires présentes dans les lampes de jardin. Avez-vous bien compris? Cela étant dit, la photonique quantique est une tout autre affaire. Pour saisir de quoi il retourne, il faut déjà avoir quelques notions fondamentales de mécanique quantique. Pour dire vrai, tout ce qui fait intervenir cette notion de quantique dépasse quelque peu le domaine des connaissances générales du grand public.

Carlos Silva espère changer cette réalité en faisant connaître à la population la nature des travaux de recherche fondamentale qu’il mène à l’Université de Montréal. Venant d’être nommé titulaire d’une chaire d’excellence en recherche du Canada (CERC) en photonique quantique, dotée d’un budget d’un million de dollars par année sur huit ans, il disposera ainsi d’une tribune pour démontrer à quel point il est important pour la société que des scientifiques comme lui puissent produire de nouvelles connaissances.

«Dans ma profession, toute communication significative auprès du grand public relève toujours du défi», reconnaît Carlos Silva, qui assume depuis juillet la direction de l’Institut Courtois de l’UdeM, créé en 2021, où se fait de la recherche fondamentale «au croisement des nouveaux matériaux, de la physique quantique et de l’intelligence artificielle» et où travaillent des chercheurs-vedettes comme Yoshua Bengio et Gilles Brassard.

«Une partie du défi consiste à essayer d’expliquer le financement de la recherche universitaire, tandis que l’autre partie consiste à démontrer dans quelle mesure un produit comme le nôtre s’avère à la fois valable et utile, souligne Carlos Silva. Ma mission n’est pas de concevoir une application ou un dispositif en particulier, c’est-à-dire quelque chose que les gens pourront acheter dans huit ans et utiliser dans leur vie quotidienne. Ma mission est simplement de produire de nouvelles connaissances qui permettront de faire progresser la science et, nous l’espérons, de mener à des révolutions conceptuelles susceptibles, à terme, de donner lieu à de nouvelles technologies.»

«Les révolutions sont bénéfiques»

Après tout, comme le dit Carlos Silva, dans le domaine de la science, «les révolutions sont plus bénéfiques que les simples améliorations progressives». Prenons la naissance de la mécanique quantique et de la relativité générale il y a un siècle. «À l’époque, personne ne songeait aux ordinateurs, aux télécommunications et à la navigation GPS, indique-t-il. Cependant, du point de vue fondamental, toutes ces inventions sont issues de la physique. On voit donc que les nouvelles connaissances peuvent revêtir un caractère transformateur et s’avérer extrêmement bénéfiques pour tous. C’est à cela que s’emploie toute société créative.»

Dans son double rôle de titulaire d’une CERC et de directeur de l’Institut Courtois, Carlos Silva envisage de réaliser des travaux de recherche qui sont dans l’intérêt public, en plus de développer son organisation de recherche de telle sorte qu’elle devienne un pôle d’attraction de calibre mondial pour les futurs talents.

«Ma chaire de recherche est financée par le gouvernement canadien et donc par les contribuables, et je dois dès lors produire quelque chose qui profite au Canada», mentionne Carlos Silva.

Il poursuit: «Par ailleurs, l’Institut est financé par un important don privé [159 M$ de la Fondation Courtois, présidée par l’homme d’affaires québécois Jacques Courtois] avec l’objectif bien précis d’instaurer à Montréal une culture de la créativité comme celle qu’on trouve dans les hauts lieux des nouvelles technologies que sont la Silicon Valley et la région de Boston.»

Carlos Silva précise que la mission de l’Institut «n’est pas de devenir un incubateur d’entreprises. Son rôle est plutôt de mettre sur pied des activités de pointe reconnues à l’échelle internationale dans le domaine des sciences fondamentales qui suscitent la créativité et qui permettront éventuellement à une chercheuse ou un chercheur d’ici de recevoir un prix Nobel. Cela ressemble un peu à ce que les Laboratoires Bell ont réalisé dans les années 1960 et 1970: développer de la science fondamentale qui mène à des percées majeures».

Des matériaux «fabriqués par les humains»

Les travaux de recherche devant être menés dans les laboratoires de l’Institut Courtois, situés au Complexe des sciences du campus MIL de l’UdeM, la CERC de Carlos Silva a pour objet d’étude les «interactions lumière-matière dans les matériaux photoniques», dont il explique qu’«ils sont fabriqués par des humains, alors qu’il s’agit de matériaux synthétiques allant de la forme organique à la forme hybride organique-inorganique, voire à la forme inorganique, conçus par des chimistes et des ingénieurs».

D’origine mexicaine et ayant grandi au Venezuela, Carlos Silva s’est intéressé tout naturellement à la science, intérêt nourri dès son plus jeune âge par sa famille, ses professeurs et ses mentors. Dans les années 1990, il s’est installé aux États-Unis après avoir reçu une bourse de l’Institute of International Education, ce qui lui a permis d’obtenir un double baccalauréat en chimie et en physique du Luther College de l’Iowa, puis de faire un doctorat en chimie physique à l’Université du Minnesota.

En 2001, il a gagné l’Angleterre à titre de chercheur postdoctoral du laboratoire Cavendish de l’Université de Cambridge, où il a étudié sous la direction du professeur Richard Friend. Il a été nommé advanced research fellow de l’Engineering and Physical Sciences Research Council du Royaume-Uni la même année. En 2005, le Canada lui a fait signe: Carlos Silva a accepté un poste à l’UdeM en tant que titulaire d’une chaire de recherche du Canada et professeur adjoint de physique. Au cours de la décennie suivante, il a «gravi les échelons», devenant professeur titulaire en 2015. Cependant, les États-Unis lui ont de nouveau fait une offre intéressante et, comme il le rappelle, «je suis parti en 2017 pour le Georgia Institute of Technology».

Aujourd’hui, il est de retour à l’UdeM, qui lui offre l'occasion, grâce à la CERC et à sa nomination à l’Institut Courtois, de «progresser comme jamais auparavant», tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. «Montréal est en fait l’endroit où j’ai vécu le plus longtemps de manière ininterrompue», observe Carlos Silva, qui possède la double citoyenneté mexicaine et canadienne.

Recrutement en vue de l’attribution de chaires

À l’Institut Courtois, il entend désormais «s’employer à recruter des gens qui vont changer la donne pour nous», soit de jeunes scientifiques déjà reconnus dans leur domaine. «Nous avons la capacité d’engager des personnes au talent prometteur et de créer un environnement de recherche qui constituera une plateforme propice à une créativité accrue, à un niveau d’excellence encore meilleur, et ainsi de suite», dit-il. L’Institut attribuera six chaires. Il en occupe une à titre de directeur. Deux ont été annoncées à la fin du mois de septembre (accordée à William Witczak-Krempa en physique et à Mickaël Dollé en chimie), tandis que trois le seront «au cours des prochaines années».

Dans ses temps libres, Carlos Silva se rend fréquemment au Mexique, fait de l’équitation (quand il était jeune, il a concouru à l’échelle nationale), nourrit la passion de son fils pour les lasers et celle de sa fille pour la littérature et le théâtre, en plus de bricoler à la maison – «je suis manuel et j’aime beaucoup expérimenter» – tout en s’adonnant à son plus grand passe-temps, soit la cuisine, chinoise et mexicaine.

Comme Carlos Silva le souligne, «il est parfois bon de mettre de côté son travail, les lasers, les problèmes de personnel à l’Institut et les demandes de subvention pour consacrer son énergie aux choses du quotidien, et cuisiner est un bon moyen d’y parvenir».

«Pour autant qu’on s’y exerce suffisamment, il est possible de devenir bon et créatif. La question est toujours la même: comment puis-je transformer cela en quelque chose de nouveau?» conclut-il.

À propos de cette CERC

Chaire d'excellence en recherche du Canada sur les interactions lumière-matière dans les matériaux

La photonique quantique tire parti des propriétés uniques que présente la lumière dans un état quantique précis au profit de technologies de pointe comme l’informatique quantique, la cryptographie et la téléportation. Ces applications impliquent la production, la manipulation et la détection de photons. Il est essentiel de comprendre comment les particules interagissent avec leur environnement pour mettre au point des matériaux photoniques quantiques évolutifs et déterminer l’état quantique de la lumière émise.

Les travaux menés à la chaire d’excellence en recherche du Canada (CERC) obtenue par Carlos Silva viseront à comprendre et à contrôler la dynamique quantique des états excités provoqués par la lumière dans la matière condensée, déterminant ainsi si l’émission lumineuse se produit sous un régime quantique ou classique.

Plus spécifiquement, ils feront intervenir des impulsions laser de l’ordre du millionième de milliardième de seconde pour sonder de quelle manière l’information quantique se dissipe du fait des interactions entre les états créés par la lumière et leur environnement. En deuxième lieu, les recherches feront appel à la lumière dans un état quantique «intriqué» et bien défini, en plus de mesurer le changement de l’état quantique de la lumière résultant des interactions entre la lumière et la matière. Ces deux approches parallèles permettront d’acquérir une pleine compréhension de la dynamique quantique nécessaire à l’élaboration de technologies de photonique quantique.