Les enfants inattentifs gagnent moins d’argent à 35 ans

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  • Le 19 juin 2019

  • Mathieu-Robert Sauvé
L'étude publiée cette semaine retrace le parcours de plus de 3000 personnes sur près de trois décennies.

L'étude publiée cette semaine retrace le parcours de plus de 3000 personnes sur près de trois décennies.

Crédit : Getty

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Une équipe internationale dirigée par des chercheurs de l’UdeM révèle que les garçons et les filles ayant fait preuve d’inattention à la maternelle mènent une carrière moins payante 30 ans plus tard.

Les garçons et les filles de cinq et six ans inattentifs à la maternelle sont plus nombreux à déclarer des revenus moindres que ceux des autres membres de leur cohorte lorsqu’ils atteignent l’âge de 33 à 35 ans. Par contre, les garçons les plus «prosociaux» (ils aident les autres, sont prévenants et participent volontiers aux projets pédagogiques) s’orientent en plus grand nombre vers une carrière plus payante que la moyenne.

«À l’échelle d’une carrière de 25 ans, les différences peuvent atteindre 77 000 $», commente Sylvana Côté, chercheuse à l’Université de Montréal et responsable de l’étude qui paraît cette semaine dans le Journal of American Medical Association [JAMA] Psychiatry. Et tout ça ne peut pas être expliqué par l’intelligence ou par le quotient intellectuel puisqu’on a tenu compte de ces variables.

«Les différences sont significatives entre les groupes étudiés mais les raisons précises qui expliquent ces disparités sont encore difficiles à déterminer», reprend Mme Côté, qui est aussi chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. La spécialiste du développement des enfants mentionne que les problèmes d’inattention mènent plus souvent que les autres problèmes identifiés au décrochage scolaire et à des difficultés d’adaptation entre le préscolaire et l’entrée sur le marché du travail. Par contre, les enfants «prosociaux» semblent avoir une trajectoire qui les mène vers une carrière plus lucrative.

Le postdoctorant Francis Vergunst est l’auteur principal de l’article cosigné par les professeurs Richard E. Tremblay et Frank Vitaro, de l’Université de Montréal, ainsi que par des universitaires des États-Unis (Daniel Nagin) et de France (Yann Algan, Elizabeth Beasley et Cedric Galera). Jungwee Park, de Statistique Canada, complète l’équipe.

Les comportements «prosociaux» déterminants

Sylvana Côté

Crédit : Amélie Philibert

C’est la première fois que la «prosocialité» est étudiée dans une enquête de ce genre et son effet positif a causé une certaine surprise au sein de l’équipe. «Nous nous attendions à constater des différences entre les garçons et les filles et nous en avons trouvé d’importantes», commente la professeure Côté (voir l’encadré). «Mais au chapitre des prédicteurs, nous nous attendions à ce que l’hyperactivité et les comportements perturbateurs tels que l’agression et l’opposition ressortent comme les variables les plus significatives. En réalité, les problèmes de comportement se sont moins distingués que l’inattention.»

Ces conclusions ont été obtenues grâce à une étude qui s’est étendue sur plus de trois décennies, fondée sur les données recueillies par le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant auprès de plus de 3000 enfants qui fréquentaient la maternelle en 1985. Les comportements ont été précisés par leurs enseignants au moyen de questionnaires distribués à divers moments.

On a retrouvé ces enfants en 2015 au mitan de leur vie professionnelle et on a calculé les écarts salariaux d’un individu à l’autre. «Notre étude, écrivent les auteurs, démontre que l’inattention pendant l’enfance est associée à un des résultats défavorables à long terme, notamment des revenus plus faibles au cours d’une carrière.»

Ils ajoutent qu’un suivi précoce et une prise en charge des enfants très inattentifs et des garçons qui affichent rarement des comportements prosociaux «pourraient résulter en des avantages socioéconomiques à long terme pour les individus et pour la société».

Des données à la fois précises et anonymes

Cette recherche a été effectuée au Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales, qui offre aux chercheurs l’accès aux données détaillées des enquêtes de Statistique Canada et de l’Institut de la statistique du Québec. Même si les données sont très précises (elles se basent sur les déclarations de revenus), elles ont été codées afin d’empêcher l’identification des sujets. Pendant trois ans, Sylvana Côté et ses collaborateurs se sont rendus sur place pour recueillir les précieuses données et pour établir des corrélations avec leurs observations psychosociales.

«Toutes ces recherches, ultimement, visent à améliorer les interventions auprès des jeunes de façon à les rendre le plus optimales possible», rappelle Mme Côté. D’autres résultats sont d’ailleurs à paraître dans des revues majeures.

Important écart salarial homme-femme

Toutes catégories confondues, les femmes gagnent 70% du salaire des hommes quand on les retrouve trois décennies après la maternelle. C’est un des constats des auteurs de l’étude publiée cette semaine dans JAMA Psychiatry, menée auprès de 3040 enfants de cinq et six ans ayant fait leur entrée dans le système scolaire québécois en 1985. «Ce résultat vient souligner que les origines des disparités sexuelles dans l’enfance sont mal connues et méritent d’être étudiées», explique Sylvana Côté.

Avec la collaboration d’économistes et de statisticiens, la chercheuse tentera de trouver des réponses aux questions que soulève ce résultat collatéral de la recherche longitudinale sur les effets des comportements préscolaires. «Ces anciennes fillettes ont aujourd’hui près de 40 ans. Elles sont aussi éduquées que les garçons et ont connu des situations similaires. Y a-t-il des facteurs individuels, familiaux ou scolaires au cours de l’enfance ou de l’adolescence qui permettraient d’expliquer un tel écart? C’est ce que nous chercherons à découvrir.»

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