Pour des solutions biomédicales plus humanistes et moins anthropocentristes

  • Forum
  • Le 8 février 2021

  • Martin LaSalle
En considérant qu’il existe au moins 8,7 millions d’espèces animales, il y a de fortes probabilités que plusieurs maladies humaines aient des origines communes avec celles qui touchent les animaux ‒ et que les solutions à ces maladies résident dans une approche multidisciplinaire et non seulement médicale.

En considérant qu’il existe au moins 8,7 millions d’espèces animales, il y a de fortes probabilités que plusieurs maladies humaines aient des origines communes avec celles qui touchent les animaux ‒ et que les solutions à ces maladies résident dans une approche multidisciplinaire et non seulement médicale.

Crédit : Laboratoire d’innovation de l’Université de Montréal

En 5 secondes

L’être humain n’est pas exceptionnel du point de vue de la biologie évolutionniste, et les solutions à ses problèmes de santé pourraient résider dans l’étude des maladies dont souffrent les animaux.

Tout comme les humains, les lémurs mâles souffrent de problèmes érectiles; les jaguars, les rhinocéros, les chameaux, les chiens, les chats – et même certains insectes – peuvent avoir le cancer. Et si des troubles cardiovasculaires sont observés chez le gorille, on constate aussi que différents animaux sont affectés par certaines psychopathologies telles que la dépression ou des comportements compulsifs…

En considérant qu’il existe au moins 8,7 millions d’espèces animales, il y a de fortes probabilités que plusieurs maladies humaines aient des origines communes avec celles qui touchent les animaux – et que les solutions à ces maladies résident dans une approche multidisciplinaire et non seulement médicale.

C’est l’essence du message livré le 3 février par la professeure Barbara Natterson Horowitz, cardiologue et biologiste de l’évolution à l’Université Harvard ainsi qu’à l’Université de Californie à Los Angeles, à l’occasion d’une conférence virtuelle intitulée «The Blindfold of Human Exceptionalism in Medicine» (traduction libre: les œillères de l'exceptionnalisme humain en médecine).

Cette conférence*, qui avait pour objectif de présenter la «vision transdisciplinaire des liens entre milieux naturels et santé humaine comme leviers pour la mise sur pied d’initiatives de santé durable», était organisée par les membres du programme Construire l’avenir durablement du Laboratoire d’innovation de l’Université de Montréal, en collaboration avec la Faculté de médecine vétérinaire et la Faculté des arts et des sciences.

Haro sur l’anthropocentrisme médical

Barbara Natterson Horowitz

Crédit : Courtoisie Barbara N. Horowitz

Pour Barbara Natterson Horowitz, des siècles de médecine centrée sur l’humain – ou médecine anthropocentriste – ont limité l’émergence de perspectives nouvelles pour les santés animale et humaine.

Invitant les participants et participantes à laisser au vestiaire «l’exceptionnalisme humain», elle a raconté avoir fait des découvertes surprenantes en collaborant, à plusieurs reprises, avec des vétérinaires du zoo de Los Angeles qui lui avaient demandé de les assister lors de divers examens.

«J’ai connu des moments d’épiphanie en analysant différentes pathologies, dont cette fois où, à l’examen du cœur d’un chimpanzé par échographie, j’ai remarqué que le blocage d’une artère était identique à celui qu’on voit chez les humains», a-t-elle dit. Elle a aussi noté de grandes similitudes pathologiques en étudiant d’autres mammifères du zoo.

«Ces coopérations m'ont amenée à penser que la médecine humaine se privait, en raison du caractère exceptionnel qu’on prête à l’humain, de connaissances beaucoup plus larges et fondées sur la biologie de l’évolution – ou phylogénie – qui nous permettraient de transformer notre compréhension, mais aussi les diagnostics, les traitements et la prévention des principales maladies dont souffrent tant les humains que les animaux», a poursuivi la professeure.

Pour une approche médicale ancrée dans l’évolution des espèces

La cardiologue Barbara Natterson Horowitz lors d'une intervention effectuée sur un gorille.

Crédit : Courtoisie Barbara N. Horowitz

Ayant étudié la biologie évolutive avec le fondateur de l’éthologie et Prix Nobel de médecine de 1973 Nikolaas Tinbergen, Mme Natterson Horowitz est l’auteure de Zoobiquity, un livre publié en 2012 et traduit en huit langues qui a connu un vif succès.

Elle y présente un argumentaire en faveur de la collaboration entre chercheurs et professionnels de plusieurs champs d’expertise pour trouver les causes des maladies qui sont communes aux animaux et aux humains et, ultimement, découvrir des traitements qui bénéficieraient aux uns et aux autres.

Ce livre est aussi à l’origine des conférences du même nom qui ont eu lieu dans la dernière décennie et qui visaient à accélérer l'innovation biomédicale et à élargir la compréhension des éléments à la source d’une bonne santé et des maladies en créant des occasions de collaborations de recherche, cliniques et éducatives.

«Les liens entre les médecins et les vétérinaires étaient d’ailleurs plus étroits autrefois, se désole la cardiologue. Les découvertes importantes en médecine impliquaient alors les animaux, tandis qu’aujourd’hui le cloisonnement atténue la créativité et ralentit le progrès à certains égards.»

Selon elle, il est impératif de «changer l’enseignement de la médecine en s’inspirant davantage de l’évolution des espèces et en réduisant la stigmatisation qui entoure certaines maladies qui ont des origines neurobiologiques anciennes et communes avec des troubles dont sont atteints les animaux».

Une seule santé

Appelée à commenter la présentation de Mme Natterson Horowitz, la professeure Marion Desmarchelier, du Département de sciences cliniques de la Faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM, a souligné que «passer de l’évolution des espèces à une médecine évolutionniste» fait partie de l’approche Une seule santé, qui cherche à évaluer l’influence des déterminants sociodémographiques, comportementaux, environnementaux, agricoles, économiques et politiques sur les santés humaine, animale et de l’environnement.

«D’un point de vue de l’évolution, il n’y a rien dans la nature qui n’ait pas une fonction, a insisté la spécialiste en médecine zoologique et en médecine du comportement animal. Les vétérinaires traitent tous les animaux aux prises avec des maladies communes qui pourraient contribuer à la santé humaine.» Elle en veut pour preuve le perroquet qui, comme certains humains, peut souffrir d’athérosclérose et de diabète. «Les perroquets sont de bons modèles pour mener des recherches et tester différentes hypothèses et molécules liées à l’alimentation, au stress et à la sédentarité par exemple.»

Philosophe des sciences, Frédéric Bouchard a quant à lui indiqué que la conférence montrait la complexité des interrelations entre le monde animal et le genre humain. «Il est surprenant que la médecine évolutionniste n’ait pas été abordée de façon plus approfondie, en considérant que l’être humain n’est pas écologiquement isolé des autres espèces», a mentionné M. Bouchard, qui est aussi doyen de la Faculté des arts et des sciences.

La propagation du SRAS-CoV-2, responsable de la COVID-19, est d’ailleurs la preuve la plus éloquente que ces barrières ont rétréci comme peau de chagrin.

«La nature sans influence humaine n’existe pratiquement plus, a tranché Marion Desmarchelier. Les animaux vivant à l’état sauvage subissent aussi les répercussions environnementales causées par le réchauffement climatique, la coupe intensive des forêts, la fonte des glaces aux pôles, l’augmentation du pH dans les océans et l’abondance du plastique qui s’y trouve…»

Pour Barbara Natterson Horowitz, il ne fait pas de doute que, «dans la prochaine décennie, la science nous fera découvrir que les humains et les animaux sont plus semblables qu’on le pense et qu’il y a plusieurs moyens de revoir nos façons de faire dans un contexte plus large». Et tout cela au bénéfice des deux parties.

 

* La conférence est accessible sur YouTube.