Suivre les traces des victimes de la Shoah

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Virginie Wenglenski, arrière-petite-fille de déportés décédés au camp de concentration d’Auschwitz, étudie des archives administratives de l’Holocauste dans le cadre de son doctorat.

Virginie Wenglenski

Parmi les six millions de Juifs exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale, plus de 75 000 ont été déportés de la France. Au lendemain de la guerre, les survivants ou leurs ayants droit ont pu faire une demande de titre de déportés politiques auquel s’est ajoutée la mention «Morts en déportation» en 1985. Des dizaines de milliers de dossiers ont été constitués dans cet objectif.

Pourquoi faire une telle demande? C’est l’une des questions que se pose Virginie Wenglenski dans sa recherche doctorale qui a pour titre «Les temps de l’archive: étude des documents d’archives des dossiers individuels de victimes de déportation de la Division des archives des victimes des conflits contemporains en France» et qu’elle réalise sous la codirection d’Yvon Lemay, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, et de Bénédicte Grailles, maître de conférences en archivistique à la Faculté des lettres, langues et sciences humaines de l’Université d’Angers.

Une démarche généalogique

Pendant plus de 25 ans, Virginie Wenglenski a travaillé dans les administrations d’entreprises françaises puis québécoises. Lorsqu’elle a appris le meurtre de ses arrière-grands-parents, gazés à Auschwitz, elle a été confrontée, comme beaucoup, aux silences de sa famille. Son grand-père a été incapable de transmettre son histoire. Elle a alors entrepris de longues recherches généalogiques. Et pour en apprendre davantage sur les manières de fouiller et de valoriser les archives de cette période obscure, elle est retournée sur les bancs de l’université faire une maîtrise puis un doctorat en science de l’information.

À Caen, au Service historique de la Défense de la Division des archives des victimes des conflits contemporains, elle a retrouvé la demande que son grand-père a faite pour que ses parents obtiennent le titre de déportés politiques et pour qu’un acte de décès soit établi. Dans ce dossier, elle a découvert avec émotion les documents qu’il a dû fournir, dont une photo de sa mère. Pour la toute première fois, elle a pu mettre un visage sur une membre de sa famille ayant fui les pogroms et la misère de la Pologne au début du 20e siècle.

«En touchant ces documents administratifs, j’ai eu l’impression de ressentir soudainement une proximité avec ceux qui les ont produits, remplis et reçus. Je ne pense pas tant aux fonctionnaires qui sont passés par là qu’à mes ancêtres.»

Des dizaines de milliers d’autres dossiers

Comme celui des arrière-grands-parents de Virginie Wenglenski, des dizaines de milliers d’autres dossiers ont été créés pour obtenir, entre autres, le titre de déporté politique et la mention «Mort en déportation». Ces dossiers n’ont pas fait l’objet de recherches par les historiens et elle souhaite se pencher sur une partie d’entre eux. 

«Les descendants des personnes concernées peuvent en prendre connaissance. Veulent-ils les parcourir pour les mêmes raisons que moi? Je me suis longtemps demandé pourquoi mon grand-père avait fait cette demande si tard, en 1959, soit plus d’une décennie après la fin de la guerre. Est-ce le cas pour les autres dossiers? Et quand il n’y a pas de descendants, qui vient les parcourir, pourquoi et quelles en sont les conséquences?» s’interroge Virginie Wenglenski.

«J’essaie de décrire et d’analyser les documents d’archives contenus dans ces dossiers et les influences sur les parcours de vie des usagers et des archivistes qui les ont exploités par l’étude de leurs matérialités, significations, usages et temporalités. Comment ces documents ont-ils vieilli? Quels usages pourrait-on leur réserver à l’avenir?» se demande celle qui est également guide bénévole au Musée de l’Holocauste à Montréal.

«Quand on parle d’archives, on a l’impression que c’est la fin de quelque chose, mais il s’agit d’un autre début. C’est un moment transitoire qui met fin à une certaine période en permettant le début d’une autre», dit-elle.

  • Le dossier de déporté politique constitué par le grand-père de Virginie Wenglenski

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