Partage en terre autochtone pour élargir les horizons

Bienvenue dans la communauté de Pikogan, aux portes d’Amos.

Bienvenue dans la communauté de Pikogan, aux portes d’Amos.

Crédit : Catherine Lord

En 5 secondes

Quatre futurs médecins ont participé à une journée d’accueil dans la communauté algonquine de Pikogan. Pour comprendre la réalité de ses membres et mieux les soigner. Nous les avons accompagnés.

L’infirmière Jessica Poirier-Petiquay fait visiter le Centre de santé Pikogan aux nouvelles recrues.

Crédit : Catherine Lord

Le rendez-vous avait été donné au centre de santé Pikogan, qui signifie «tipi», comme ceux qu’on voit à l’arrière du bâtiment. Chaque bureau est désigné en langue anichinabée – médecine générale, infirmerie, hygiène dentaire, psychologie… Au total, une quarantaine de services et programmes sont offerts aux quelque 600 personnes établies sur le territoire de la communauté de Pikogan. Pour les chirurgies et autres soins, les patients sont transportés à l’hôpital Hôtel-Dieu d’Amos.

En ce matin du 29 août, les quatre étudiants de l’externat longitudinal intégré à Amos (voir l'autre texte) discutent entre eux et échangent avec les résidents qui participent aussi à cette journée spécialement conçue pour eux. Une semaine plus tôt, les nouvelles recrues avaient franchi les centaines de kilomètres qui les séparent de leur lieu d’origine – Laval, Sorel-Tracy, Saint-Séverin et Lorrainville.

Sophie-Anne Savard, Kimberlie Paul-Boulanger, William Francœur et Charlie Dupras passeront la prochaine année à exercer la médecine à Amos et à vivre au rythme des gens de la région. Dans le cadre de leur stage, ils seront appelés à prodiguer des soins aux côtés des médecins de famille qui se rendent environ une fois par semaine dans la réserve de Pikogan, située aux portes de la ville.

En guise d’introduction, la responsable des soins infirmiers, Jessica Poirier-Petiquay, leur lance une injonction amicale: «Il faut faire des activités de plein air et profiter de la nature, sinon, en Abitibi, vous risquez de trouver le temps long.»

Ça tombe bien, nos quatre externes ont l’esprit aventurier!

La «vraie histoire» de la communauté

André Mowatt

André Mowatt, aîné de la communauté de Pikogan, raconte l’histoire de son peuple.

Crédit : Catherine Lord

La nouvelle cohorte se déplace ensuite vers le centre communautaire Minawasi, où l'attend André Mowatt. L’homme au visage buriné a connu la liberté de la forêt, l’horreur des pensionnats et la sédentarisation forcée. De sa voix basse, il raconte «l’autre côté de l’histoire, la version Abitibiwinni», avec lenteur et humanité.

«La réconciliation commence quand on apprend à se connaître. C’est important pour nous de dire qui nous sommes, ce que nous avons vécu. Les missionnaires disaient n’importe quoi à notre sujet. Quand je suis sorti du pensionnat, des élèves d’Amos sont venus me voir: “Hé, c’est vrai que vous avez brûlé des gens?” Moi, je n’avais jamais eu connaissance de ça. C’était écrit dans les livres d’histoire!» dit l’aîné.

De l’âge de 7 à 10 ans, André Mowatt a fréquenté le pensionnat de Saint-Marc (en activité de 1955 à 1973), tristement réputé pour ses sévices sexuels et ses mauvais traitements. Après trois ans de ce régime forcé, il avait oublié les noms des arbres, des oiseaux, des animaux. 

«Les pensionnats ont tout changé. Ils voulaient nous “civiliser”. C’était ça, le but. La langue s’est perdue, le respect de la nature et nos croyances aussi. Nous n’entendions plus le rire des enfants. Le mode de vie sédentaire nous a rendus malades. Avant, le diabète et le cancer qui rongent notre peuple n’existaient pas», poursuit l’homme.

Il montre aux futurs médecins une photo sur laquelle on le voit petit, entouré d’autres pensionnaires. «Nous apprenions le français à coups de règle et de claques. On nous levait par les oreilles. L’un de nous s’est fait casser le bras. En trois ans, j’en ai vu des choses…», relate André Mowatt.

Aujourd’hui, le retraité parvient à parler de ces années de terreur grâce à la thérapie. Une soixantaine de personnes de la communauté, âgées de 60 à 80 ans, peuvent aussi en témoigner. «Moi, j’ai été chanceux, j’ai survécu. Les aînés m’ont tout réappris. À mon tour, je veux transmettre mon savoir pour garder la culture bien vivante», indique-t-il.

Intervenir avec doigté en milieu autochtone

Le vieil homme a terminé son récit et s’assoit un peu en retrait. On entendrait une mouche voler, si ce n’était de la pluie qui tambourine sur le toit. Marie-Claude Bérubé-Leblanc prend le relais. La jeune coordonnatrice du volet psychosocial au Centre de santé Pikogan est originaire de la communauté de Lac-Simon, près de Val-d’Or. «Nos gens ont été arrachés à leur famille. Ils n’ont pas appris le rôle parental et leurs enfants ont manqué de tout. Ça se répercute de génération en génération, avec les problèmes psychosociaux que l’on connaît», résume-t-elle.

Dany Ouellet, psychologue, explique comment intervenir en milieu autochtone.

Crédit : Catherine Lord

Son intervention met la table pour la miniformation donnée par la psychologue Dany Ouellet sur l’intervention en milieu autochtone, dont on retiendra ceci: «Les abus psychologiques, physiques et sexuels vécus par les Autochtones teintent la relation qu’ils entretiennent avec les intervenants. La méfiance, le refus de l’autorité, la rigidité de pensée, la difficulté à demander, à recevoir ou à remercier de même qu’un sentiment d’injustice, d’humiliation, de rejet et de trahison font partie de leurs mécanismes de défense.» 

Pour éviter les faux pas, l’intervenante propose quelques pistes de solution: respecter les silences, laisser le temps à l’autre de répondre et de s’exprimer; poser des questions et parler un peu de soi; utiliser l’humour ainsi qu’un langage simple et imagé qui fait référence à la nature; favoriser l’adhésion au traitement – ne pas prendre un «Han, han» pour un oui, adopter une approche collaborative et souligner les forces.

Des activités artisanales et un repas à l’orignal

Confection d’un «medicine bag», symbole de purification et de guérison.

Crédit : Catherine Lord

Après cet enseignement, place à la détente et aux ateliers ludiques. À l’heure du lunch, les participants ont eu le bonheur de savourer un Indian tacos concocté avec du pain banique frit et de la viande d’orignal. Ils ont appris à fabriquer un medicine bag, sorte de pochette en peau qu’on remplit de sauge, de tabac et d’écorce, et à emmailloter un bébé dans un mesapesum pour sécuriser l’enfant.

L’expérience a eu l’heur de plaire.

«Apprendre sur l’histoire et le vécu des Autochtones nous aide à mieux comprendre leurs réactions et leurs émotions face à nous.» – William Francœur, externe, 28 ans, originaire de Saint-Séverin, en Mauricie

«Le récit des pensionnats m’a beaucoup touchée, de même que la formation sur les façons d’interagir avec les patients. Nous avons vu comment nous, soignants, pouvons devenir des alliés.» – Sophie-Anne Savard, externe, 22 ans, originaire de Laval

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