Analyse du génome d’une plante cultivée perdue

Les deux plantes apparentées: le quinoa (à gauche) et le chénopode de Berlandier (à droite, cultivé à partir de graines récoltées à Montréal).

Les deux plantes apparentées: le quinoa (à gauche) et le chénopode de Berlandier (à droite, cultivé à partir de graines récoltées à Montréal).

Crédit : Mark Samuels

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Des scientifiques ont séquencé le génome d’une plante peu connue proche du quinoa d’Amérique du Sud, laissant entrevoir la possibilité d’accroître la diversité et la sécurité alimentaires.

Mark Samuels

Mark Samuels, généticien à l’Université de Montréal

Le changement climatique perturbe l’agriculture à travers le monde et, à mesure que les conditions météorologiques deviennent moins prévisibles, les agriculteurs et les décideurs politiques cherchent par tous les moyens à s’assurer que non seulement les gens ont suffisamment à manger, mais qu’ils peuvent également se procurer les aliments les plus nutritifs disponibles.

Une équipe de recherche canadienne se penche sur un moyen, fondé sur des pratiques agricoles autochtones séculaires, d’accroître la diversité des cultures au-delà des plantes traditionnellement cultivées au pays que sont le blé, le maïs, le canola et l’avoine.

Dirigée par Mark Samuels, généticien à l’Université de Montréal, l’équipe de scientifiques est parvenue à séquencer le génome d’une plante sauvage appelée Chenopodium berlandieri ou chénopode de Berlandier, qui est une cousine septentrionale de Chenopodium quinoa, le quinoa sud-américain.

De nos jours, les Canadiennes et les Canadiens soucieux de leur santé consomment de plus en plus de quinoa. Le quinoa présente plusieurs avantages par rapport aux autres plantes cultivées. En effet, il est plus riche en protéines et en acides aminés essentiels (notamment en lysine, qui se trouve en quantité nettement moindre dans le blé et le maïs), et sa teneur en sucre est plus faible.

Se pose cependant un problème, à tout le moins d’un point de vue canadien.

Couramment cultivé en Amérique du Sud, le quinoa n’est pas bien adapté à la culture au Canada, où la période de végétation est plus courte et les hivers longs. Bien que le quinoa soit cultivé commercialement dans l’ouest du Canada, sa culture a connu moins de succès dans l’est du pays. La majeure partie du quinoa qui est consommé ici est importée.

Ce qui amène des chercheurs et chercheuses à s’intéresser au cousin septentrional du quinoa, soit Chenopodium berlandieri. Cette plante est couramment désignée sous le nom de pitseed goosefoot en anglais, car ses feuilles ressemblent à des pattes d’oie et ses graines sont pourvues à leur surface de petites alvéoles. (Le quinoa et le chénopode de Berlandier ne sont que deux des membres de la vaste famille des Chenopodia.) Le chénopode de Berlandier était cultivé et consommé par les peuples autochtones en Amérique du Nord avant l’arrivée des colons européens. Cette denrée était analogue au quinoa d’Amérique du Sud. Cependant, la colonisation a mis un terme à sa culture alors que le quinoa, pour sa part, a survécu à titre de plante cultivée dans le sud du continent. Les deux espèces demeurent suffisamment similaires pour se croiser librement.

En tant que plante indigène du Canada, le chénopode de Berlandier pourrait potentiellement servir à améliorer l’adaptation du quinoa au Canada. «Pour aider les cultures à s’adapter, on peut les croiser avec des espèces similaires sauvages, ce qui crée des formes hybrides, souligne Mark Samuels. Cependant, les hybrides ne présentent pas les avantages des parents, de telle sorte que ces formes doivent être croisées et recroisées pendant de nombreuses générations, période qui s’échelonne sur des années, des décennies, voire des siècles.»

Toutefois, le recours aux nouveaux outils génomiques – ici le séquençage pour établir le génome précis de C. berlandieri – fait en sorte qu’«il est possible en principe de réduire considérablement le temps nécessaire pour assurer une meilleure adaptation d’une plante cultivée telle que le quinoa à un nouvel environnement et cela pourrait, en soi, changer la donne», dit Mark Samuels, professeur agrégé de médecine à l’UdeM.

Il décrit le succès qu’a connu son équipe avec C. berlandieri dans une étude publiée (en anglais) en janvier dans la revue scientifique Plants. Parmi les membres de son équipe figurent les professeures Sara Halwas et Anne Worley, des départements d’anthropologie et de sciences biologiques de l’Université du Manitoba. Sara Halwas a étudié les pratiques agricoles des peuples autochtones avant leur contact avec les Européens et a notamment fait, avec Anne Worley, un doctorat interdisciplinaire portant sur C. berlandieri. Ce sont elles qui ont fourni l’échantillon de C. berlandieri manitobain qui a été séquencé.

En plus de faciliter l’adaptation du quinoa à une culture plus répandue au Canada, le projet a pour objectif plus ambitieux de permettre une nouvelle domestication de C. berlandieri dans une perspective d’agriculture nord-américaine sans les très longs délais de développement qui seraient normalement nécessaires pour le rendre prêt à une application agricole.

Aujourd’hui, grâce à la génomique, cette plante qui faisait jadis partie de la culture autochtone traditionnelle pourrait de nouveau être cultivée pour répondre au besoin pressant de diversifier les sources vers lesquelles peut se tourner la population canadienne pour se nourrir sans avoir à importer, de manière peu économique, ce qui constitue dans les faits une espèce de plante identique.

«Si le chénopode de Berlandier a été plus ou moins oublié, grâce à la génomique, nous pourrions relancer la culture de cette plante autochtone», fait observer Mark Samuels, qui est en contact avec des communautés des Premières Nations qui ont manifesté de l’intérêt pour ses travaux.

Présentés pour la première fois en juin dernier au congrès annuel de l’Association botanique du Canada, à Rouyn-Noranda, ces travaux ont été réalisés en collaboration avec des chercheurs experts de l’Institut de recherche en biologie végétale, affilié à l’Université de Montréal, au Jardin botanique de Montréal.

Souhaitant rendre hommage à Étienne Léveillé-Bourret, son collègue de l’UdeM, pour les conseils qu’il lui a prodigués dans un domaine inédit pour lui, Mark Samuels a pour sa part consacré la majeure partie de sa carrière à la génétique médicale humaine. Il dispose d’un laboratoire au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, affilié à l’Université de Montréal.

Avec cette nouvelle étude, ce chercheur polyvalent se lance dans la génomique végétale.

«Il s’agit d’un prolongement tout naturel, puisque la nutrition est un aspect important de la santé et que j’ai travaillé énormément sur la génomique du cholestérol, qui présente un volet nutritionnel», souligne Mark Samuels, qui possède les nationalités américaine et canadienne et dont la conjointe vient d’une famille d’agriculteurs de Terre-Neuve.

«Je n’aurais pu prévoir que je m’intéresserais autant au quinoa, mais je me réjouis à la perspective d’en faire encore plus», conclut-il.

À propos de cette étude

L’étude intitulée «Genomic sequence of Canadian Chenopodium berlandieri: A North American wild relative of quinoa», de Mark E. Samuels et ses collègues, a été publiée (en anglais) le 19 janvier 2023 dans la revue Plants.

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