Décoder les langages moléculaires de la vie pour concevoir de nouvelles nanotechnologies



L'illustration représente deux langages chimiques à la base de la communication moléculaire. La molécule blanche, représentée par une serrure, est activée soit par allostérie (en haut), soit par multivalence (en bas). L'activateur allostérique (cyan) active la serrure par un changement de sa structure tandis que l'activateur multivalent fournit la pièce manquante de cette serrure. Ces deux activateurs permettent ainsi à une clé moléculaire (rose) d’actionner le mécanisme de communication de la serrure blanche.

L'illustration représente deux langages chimiques à la base de la communication moléculaire. La molécule blanche, représentée par une serrure, est activée soit par allostérie (en haut), soit par multivalence (en bas). L'activateur allostérique (cyan) active la serrure par un changement de sa structure tandis que l'activateur multivalent fournit la pièce manquante de cette serrure. Ces deux activateurs permettent ainsi à une clé moléculaire (rose) d’actionner le mécanisme de communication de la serrure blanche.

Crédit : Monney Medical Media / Caitlin Monney

En 5 secondes

Des scientifiques de l'Université de Montréal recréent et comparent les langages moléculaires à l'origine de la vie, ouvrant ainsi la voie à la mise au point de nanotechnologies novatrices.

Deux langages moléculaires à l'origine de la vie, l’allostérie et la multivalence, ont été recréés avec succès et validés mathématiquement grâce aux travaux originaux de deux chercheurs en chimie de l'Université de Montréal.

Publiée cette semaine dans le Journal of the American Chemical Society, cette avancée ouvrira de nouvelles possibilités dans la création de nanotechnologies en matière de biodétection, d’administration de médicaments ou d'imagerie moléculaire.

Les organismes vivants sont constitués de milliards de nanomachines et de nanostructures qui communiquent entre elles pour accomplir de nombreuses tâches essentielles telles que se déplacer, penser, survivre et se reproduire.

«La clé de l'émergence de la vie réside dans l’apparition de langages moléculaires – également appelés “mécanismes de signalisation” – qui garantissent que toutes les molécules d’un organisme vivant travaillent ensemble pour réaliser des tâches spécifiques», explique le chercheur principal de l'étude, Alexis Vallée-Bélisle, professeur au Département de chimie de l'UdeM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bio-ingénierie et bionanotechnologie.

«Chez les levures, par exemple, après avoir détecté et fixé une phéromone d'accouplement, des milliards de molécules communiqueront et coordonneront leurs activités pour que l'union s’opère, poursuit-il. Alors que nous entrons dans l'ère des nanotechnologies, de nombreux scientifiques pensent que la clé de la conception et de la programmation de nanosystèmes artificiels plus complexes et plus utiles se situe dans notre capacité à comprendre et à mieux utiliser les langages moléculaires créés par la nature et inhérents à tous les organismes vivants.»

Deux types de langages

Alexis Vallée-Bélisle, professeur agrégé au Département de chimie et professeur accrédité au département de biochimie et médecine moléculaire, ainsi que Dominic Lauzon, conseiller principal en recherche

Les chercheurs Alexis Vallée-Bélisle (à gauche) et Dominic Lauzon en train de programmer des langages moléculaires à l’aide d’un synthétiseur d’ADN.

Crédit : Amélie Philibert

Un langage moléculaire bien connu est l'allostérie. Le mécanisme de ce langage est celui du verrou et de la clé: une molécule se lie à une autre et en modifie la structure, lui ordonnant d'enclencher ou d’inhiber une activité.

Un langage moléculaire moins connu est la multivalence, également appelée «effet chélate». Il fonctionne comme un puzzle: lorsqu'une molécule se lie à une autre, elle facilite (ou non) la liaison (communication) à une troisième molécule en augmentant simplement son interface de liaison.

Bien que ces deux langages soient observés dans tous les systèmes moléculaires de tous les organismes vivants, ce n'est que récemment que les scientifiques ont commencé à en comprendre les règles et les principes et à les utiliser pour concevoir et programmer de nouvelles nanotechnologies artificielles.

«Étant donné la complexité des nanosystèmes naturels, personne n'était jusqu'à présent en mesure de comparer les règles de base, les avantages ou les limites de ces deux langages sur un même système», soutient le professeur Vallée-Bélisle.

Ainsi, afin de pouvoir comparer l’allostérie et la multivalence, le doctorant et premier auteur de l’étude, Dominic Lauzon, a eu l'idée de créer un système moléculaire basé sur l'ADN qui pourrait fonctionner avec ces deux langages: «L'ADN, c’est comme des briques Lego pour les nano-ingénieurs, illustre-t-il. C'est une molécule remarquable qui offre une chimie simple, programmable et facile à utiliser.»

Des équations mathématiques simples pour détecter les anticorps

Les deux scientifiques ont constaté que de simples équations mathématiques pouvaient décrire les deux langages, ce qui a permis de dégager les paramètres et les règles de conception permettant de programmer la communication entre les molécules au sein d'un nanosystème.

Par exemple, alors que le langage multivalent permet de contrôler à la fois la sensibilité et la coopérativité de l'activation ou de la désactivation des molécules, la transposition allostérique correspondante ne permet de contrôler que la sensibilité de la réponse.

Forts de cette nouvelle compréhension, les chercheurs ont utilisé le langage de la multivalence pour concevoir et fabriquer un capteur d'anticorps programmable qui permet de détecter des anticorps dans différentes gammes de concentration.

«Comme l'a montré la récente pandémie, notre capacité à surveiller avec précision la concentration d'anticorps dans la population générale est un outil puissant pour déterminer l'immunité individuelle et l’immunité collective de la population», estime Alexis Vallée-Bélisle.

En plus d'élargir la boîte à outils synthétiques pour créer la prochaine génération de nanotechnologies, cette découverte permet de comprendre pourquoi certains nanosystèmes naturels ont pu choisir un langage plutôt qu'un autre pour communiquer des informations chimiques.

À propos de cette étude

L’article «Programming chemical communication: allostery vs multivalent mechanism», par Dominic Lauzon et Alexis Vallée-Bélisle, a été publié le 15 août 2023 dans le Journal of the American Chemical Society.

L’étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Programme des chaires de recherche du Canada et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies.

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