Comment la vie est apparue: l'avènement des nanomachines

L’équipe de recherche a découvert que de nombreux assemblages biologiques ont été formés par l’attachement aléatoire de molécules interagissantes, des lieurs faisant le pont entre chaque molécule.

L’équipe de recherche a découvert que de nombreux assemblages biologiques ont été formés par l’attachement aléatoire de molécules interagissantes, des lieurs faisant le pont entre chaque molécule.

Crédit : Getty

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Des chimistes de l'UdeM expliquent comment les systèmes moléculaires à l'origine de la vie ont pu évoluer, ce qui pourrait permettre la conception de nanosystèmes améliorés.

Dominic Lauzon and Alexis Vallée-Bélisle

Dominic Lauzon et Alexis Vallée-Bélisle

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

En attachant des molécules ensemble, des scientifiques de l'Université de Montréal pensent avoir trouvé comment les systèmes moléculaires à l'origine de la vie ont évolué pour créer des nanosystèmes dynamiques et autorégulés.

Publiés dans la revue européenne Angewandte Chemie, leurs résultats dévoilent une stratégie simple pour créer et optimiser la prochaine génération de nanosystèmes dynamiques.

La vie sur Terre est soutenue par des millions de minuscules nanostructures ou nanomachines différentes qui ont évolué pendant des millions d'années, explique Alexis Vallée-Bélisle, professeur au Département de chimie de l'UdeM et chercheur principal de l'étude.

Ces structures, dont la taille est souvent 10 000 fois moindre que le diamètre d'un cheveu humain, sont généralement composées de protéines ou d'acides nucléiques. Si certaines sont constituées d'un seul composant ou d'une seule pièce (la plupart du temps des polymères linéaires qui se replient dans une structure spécifique), la plupart d'entre elles sont faites de plusieurs éléments qui s'assemblent spontanément en de grandes structures dynamiques.

Être sensible à son environnement

«Ces assemblages moléculaires sont très dynamiques et s'activent ou se désactivent précisément en réponse à divers stimulus, ou signaux moléculaires, tels qu'une variation de température, d'oxygène ou de nutriments», dit Alexis Vallée-Bélisle.

Il poursuit: «À l'instar des voitures qui nécessitent une séquence d'allumage, de desserrage des freins, d'injection d'essence et de changement de vitesse pour avancer, les systèmes moléculaires requièrent l'activation ou la désactivation séquentielle de diverses nanomachines pour effectuer toute tâche particulière, qu'il s'agisse de se déplacer, de respirer ou de penser.»

L’équipe de recherche a soulevé une question fondamentale: comment les assemblages moléculaires dynamiques ont-ils été créés, programmés et réglés avec précision pour permettre la vie?

Elle a découvert que de nombreux assemblages biologiques ont été formés par l’attachement aléatoire de molécules interagissantes (par exemple des protéines ou des acides nucléiques tel l'ADN ou l'ARN), des lieurs faisant le pont entre chaque molécule.

«Comme ces assemblages biomoléculaires jouent un rôle crucial en permettant aux organismes vivants de réagir à leur environnement, nous avons émis l'hypothèse que la nature de la connectivité entre les composants attachés peut également contribuer à l'évolution de leurs réponses dynamiques», indique Alexis Vallée-Bélisle, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bio-ingénierie et en bionanotechnologie.

Explorer l'effet de la connectivité

Pour explorer cette question, Dominic Lauzon, étudiant de doctorat au laboratoire du professeur Vallée-Bélisle au moment de l'étude, a décidé de synthétiser et d'attacher ensemble des dizaines de molécules d’ADN afin d'examiner l'effet de cette connectivité sur la dynamique de leur assemblage.

«La chimie programmable et facile à utiliser des acides nucléiques tels que l'ADN en fait une molécule pratique pour étudier les questions fondamentales liées à l'évolution des biomolécules, mentionne Dominic Lauzon, premier auteur de l'étude. De plus, les acides nucléiques sont communément considérés comme la molécule à l'origine de la vie sur Terre.»

Les chercheurs ont découvert qu'une simple variation de la longueur du lieur entre les molécules en interaction entraîne des variations significatives dans la dynamique de leur assemblage. Ainsi, certains assemblages présentent une grande sensibilité à la variation des stimulus, tandis que d'autres n'ont pas cette sensibilité ou nécessitent même des changements de stimulus beaucoup plus importants pour qu'ils se constituent.

Plus surprenant encore, certains lieurs ont créé de nouvelles fonctions régulatrices complexes telles des propriétés d'auto-inhibition, où l'ajout d'un stimulus facilite à la fois l'assemblage et le désassemblage du système moléculaire. Tous ces différents comportements régulateurs sont aussi souvent observés dans les nanomachines «vivantes» naturelles.

À l'aide d'expériences et d'équations mathématiques, les chercheurs ont pu expliquer pourquoi une variation aussi simple que la longueur des lieurs était si efficace pour modifier la dynamique de l'assemblage moléculaire.

«Les lieurs créant les assemblages les plus stables sont aussi à l’origine des mécanismes d'activation les plus sensibles, tandis que les lieurs créant les assemblages les moins stables produisent les mécanismes d'activation les moins sensibles, jusqu'à même introduire de l'auto-inhibition», observe Dominic Lauzon.

L’importance d’une détection précise

La capacité d’être sensible ou de détecter avec précision des signaux moléculaires est cruciale pour les assemblages biologiques, mais aussi pour la conception de nanotechnologies qui dépendent de la détection et de l'intégration d’informations moléculaires.

Les chercheurs pensent donc que leur découverte peut fournir le cadre fondamental pour mettre au point des nanomachines ou des nanosystèmes plus programmables dont les activités sont régulées de manière optimale – par exemple en attachant simplement des molécules à l'aide de lieurs à longueur variable. De tels assemblages moléculaires trouvent déjà des applications dans la biodétection ou l'administration de médicaments.  

En plus de fournir une stratégie de conception simple pour élaborer la prochaine génération de nanosystèmes autorégulés, cette découverte éclaire la manière dont les assemblages biomoléculaires naturels ont pu acquérir leur dynamique optimale.

«Une stratégie d'évolution moléculaire bien connue des organismes vivants est la fusion de gènes, où les séquences d’ADN codant pour deux domaines protéiques sont fusionnées de manière aléatoire, souligne Alexis Vallée-Bélisle. Nos résultats apportent donc les éléments nécessaires pour comprendre comment une simple variation de la longueur du lieur entre deux protéines fusionnées a pu créer efficacement des assemblages biologiques affichant une variété de dynamiques, certaines mieux adaptées que d'autres pour donner un avantage aux organismes vivants.»

À propos de cette étude

L’article «Design and thermodynamic principles to program the cooperativity of molecular assemblies», par Dominic Lauzon et Alexis Vallée-Bélisle, a été publié le 17 novembre 2023 dans Angewandte Chemie. Le financement de l’étude a été assuré par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies.

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