Les aveugles n’ont pas un meilleur odorat que les voyants pour catégoriser les vins

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  • Le 8 novembre 2018

  • Martin LaSalle
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Les aveugles ne parviennent pas mieux que les voyants à reconnaître les catégories de vin par l’odorat: la vue serait essentielle à la construction de la mémoire olfactive, selon une étude de l’UdeM.

Bien que différentes études aient démontré que les personnes aveugles possèdent certains sens plus développés – dont le toucher – pour compenser l’absence de vision, ce ne serait pas le cas pour l’odorat, du moins lorsqu’il s’agit de catégoriser des vins.

C’est ce que révèlent les résultats d’une étude menée par la doctorante Simona Manescu, sous la codirection de Johannes Frasnelli, professeur en anatomie à l'Université du Québec à Trois-Rivières et professeur associé au Département de psychologie de l’Université de Montréal, et de Franco Lepore, professeur titulaire au même département de l’UdeM.

De fait, non seulement leur odorat ne serait pas meilleur que celui des personnes voyantes pour classer les vins, mais il serait moins «performant» pour déterminer si deux vins sont d'une même couleur.

Catégoriser les vins: un test complexe

Simona Manescu et Johannes Frasnelli.

Crédit : Martin LaSalle

Les études antérieures sur l’odorat des personnes aveugles sont parvenues à des conclusions mitigées en ce qui a trait à la supériorité de ce sens comparativement aux personnes voyantes.

«Dans la majorité des cas, les tests portaient sur la discrimination d’odeurs en contexte artificiel, comme détecter une concentration plus ou moins élevée d’un arôme, mentionne le professeur Frasnelli. Nous avons plutôt opté pour un test scientifiquement réputé difficile et qui peut être reproduit dans la vie de tous les jours: établir s’il s’agit d’un vin rouge, blanc ou rosé – ce dernier étant ardu à catégoriser même par les œnologues!»

L’équipe de chercheurs de Mme Manescu a ainsi recruté 12 personnes nées aveugles – ou l’étant devenues en très bas âge –, ainsi que 12 personnes voyantes formant le groupe témoin. Après s’être fait bander les yeux, les participants ont humé 15 vins (cinq rouges et autant de blancs et de rosés) qu’on leur a présentés deux verres à la fois.

Dans un premier temps, ils devaient déterminer si les vins étaient ou non de la même couleur. À ce test, les personnes aveugles ont moins bien réussi que les personnes voyantes.

Ensuite, on soumettait deux vins de la même couleur aux participants, qui devaient dire si les deux verres contenaient le même type de vin ou pas. Cette fois, les sujets ont tous obtenu des résultats similaires.

Les participants ont aussi dû classer, toujours par leur odorat, chacun des 15 vins en fonction de leur couleur. Pour l’ensemble des volontaires, il a été plus facile de catégoriser les vins rouges, puis les vins blancs et les rosés. Toutefois, les personnes aveugles ont mis plus de temps à réaliser cette catégorisation.

«Nos résultats indiquent que, en plus de ne pas avoir un odorat supérieur aux personnes voyantes pour désigner une catégorie de vin, les personnes aveugles ont éprouvé plus de difficulté à discriminer deux sortes de vin», signale Simona Manescu.

Importance de l’aspect visuel pour l’odorat

Pour le professeur Johannes Frasnelli, ces résultats alimentent l’hypothèse selon laquelle le sens de l’odorat est influencé par le sens de la vue.

«Dans une étude précédente, on a fait sentir un vin blanc contenant du colorant rouge sans saveur à des participants et ceux-ci l’ont rangé parmi les vins rouges, ce qui laisse penser que la couleur influence la perception olfactive», explique-t-il.

Cette hypothèse a aussi été testée dans une étude menée par Simona Manescu et Johannes Frasnelli en 2014, au cours de laquelle les participants devaient donner leur appréciation d’une odeur de fromage qui était associée à deux étiquettes différentes: l’une d’elle annonçait une composition de «vomi séché» et cette odeur avait été négativement perçue… alors qu’il s’agissait de la même odeur de fromage dans les deux cas!

«La présente étude tend à démontrer que l’absence d’une imagerie olfactive chez les personnes aveugles de naissance ou depuis un très jeune âge réduit leur sens de l’odorat dans certaines situations de tous les jours, comme sentir un vin», ajoute M. Frasnelli.

Simona Manescu et le professeur nuancent toutefois la portée de leurs résultats: «Si l’on considère que l’aspect visuel semble central dans la construction du sens de l’odorat, les personnes qui ont perdu la vue à un âge plus avancé pourraient avoir une capacité olfactive tout aussi développée que les personnes voyantes», concluent-ils.

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