Michelle Carr: manipuler les rêves pour améliorer la santé mentale

Michelle Carr

Michelle Carr

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

En 5 secondes

Chercheuse intéressée par l’ingénierie des rêves et son application pour traiter les troubles psychiatriques, Michelle Carr rejoint les rangs de la Faculté de médecine de l’UdeM.

Et si l’on pouvait diriger ses rêves? Orienter positivement ses cauchemars et parvenir à se départir de la détresse qui y est associée? Non, il ne s’agit pas du synopsis d’un film de science-fiction, mais plutôt d’un sujet d’étude bien réel.

Et c’est celui qui passionne Michelle Carr, nouvellement professeure adjointe au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal. La chercheuse s’intéresse à ce qu’elle appelle «l’ingénierie des rêves», soit le recours à des techniques et des technologies pour influencer les rêves dans une visée thérapeutique.

Un intérêt né d’une expérience personnelle

Originaire de l’État de New York, Michelle Carr s’est intéressée tôt au pouvoir des rêves et à leur emprise parfois néfaste sur l’esprit humain, ayant elle-même vécu des épisodes oniriques particuliers.

Jeune, elle faisait souvent des rêves lucides – lorsqu’on a conscience qu’on rêve – et des cauchemars, en plus d’être atteinte occasionnellement de paralysie du sommeil, soit un état à la lisière entre le sommeil et l’éveil qui se caractérise par une incapacité à bouger et des hallucinations majoritairement effrayantes.

Une nuit, alors étudiante à l’université, elle fait un rêve lucide tout de suite après un épisode de paralysie du sommeil. Cet évènement changera sa manière d’appréhender ses cauchemars. «J’étais plongée dans une paralysie très terrifiante, puis je suis retombée dans un sommeil plus profond et je me suis rendu compte que je dormais, que je rêvais. C’était une sensation incroyable que de me sentir à l’intérieur de mon esprit. Et à partir de ce moment-là, j’ai été capable de surmonter presque tous mes cauchemars de paralysie du sommeil en utilisant les rêves lucides», confie Michelle Carr.

Forte d’une nouvelle capacité d’agir et d’une peur amoindrie, elle poursuit ses études en psychologie et en neurosciences. Ensuite, elle décide d’entreprendre un doctorat dans le laboratoire des rêves et cauchemars de Tore André Nielsen, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’UdeM, ainsi que deux postdoctorats dans des laboratoires sur le sommeil au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Jouer avec l’intangible

Au fil de ses études postdoctorales, Michelle Carr constate qu’il est possible d’interférer avec le contenu des rêves. Pour y arriver, indique-t-elle, on peut travailler sur l’imagination pendant l’éveil, c’est-à-dire s’entraîner à visualiser de façon répétée l’issue souhaitée du rêve jugé problématique.

La chercheuse ajoute que presque tous les stimulus sensoriels – sons, lumières et odeurs – sont susceptibles de moduler l’expérience du sommeil. Il serait aussi possible de jumeler les deux approches: pendant l’entraînement cognitif un signal sonore est présenté afin que la personne l’associe à un rêve positif et, quand ce son retentit alors qu’elle dort, il lui sert de repère ou de rappel pour modifier l’issue de son rêve.

«Les rêves sont influencés par ce qu’on ressent. Si un rêve nous effraie, il deviendra encore plus terrifiant, mais si l’on arrive à rester calme, à avoir une attitude curieuse, le rêve prendra une tournure positive. Les études montrent de plus en plus qu’il est possible de relier le corps endormi à l’esprit rêveur», affirme la professeure.

Le rêve comme outil thérapeutique

Cette ingénierie des rêves, émergente, Michelle Carr souhaite l’appliquer dans un contexte psychiatrique. Puisque les personnes aux prises avec certains troubles de santé mentale font des rêves qui nuisent à leur bien-être ou à leur rétablissement, dit-elle.

Par exemple, les individus qui tentent de se défaire d’une toxicomanie vont fréquemment rêver qu’ils consomment. Et ces rêves leur causent une détresse et augmentent le risque de rechute. La situation est similaire chez les personnes atteintes de troubles psychotiques pour qui certains rêves accroissent les symptômes hallucinatoires à l’éveil. On peut aussi penser à ceux et celles qui souffrent d’un trouble de stress post-traumatique et qui font souvent des cauchemars envahissants.

«Pour ces populations psychiatriques, nous pensons que, en traitant directement les rêves et les cauchemars, on peut amoindrir l’intensité des symptômes et ainsi améliorer leur qualité de vie. Mais c’est une science encore jeune, il faut d’abord faire des essais cliniques et travailler de façon rapprochée avec les psychiatres pour espérer implanter ce type d’intervention», souligne Michelle Carr.

Et c’est justement ce qu’elle compte faire dans ses nouvelles fonctions à l’Université de Montréal, un lieu qu’elle décrit comme «assez unique pour les expertises en science des rêves».