Comment faire pour restituer le patrimoine archéologique mexicain?
- UdeMNouvelles
Le 7 novembre 2024
- Virginie Soffer
Une délégation mexicaine a récupéré 84 haches mésoaméricaines qui étaient en transit à l’UdeM. La cérémonie a souligné la nécessité de sensibiliser le public à la question du pillage archéologique.
Le Mexique, héritier d'une riche histoire précolombienne, est victime du pillage de ses trésors culturels. Des artéfacts olmèques, aztèques, mayas et autres sont dispersés à travers le monde, détenus par des musées et des collectionneurs privés.
Grâce à des prises de conscience récentes, le Mexique voit progressivement revenir certains de ces vestiges archéologiques perdus, restitués par des organisations et des particuliers. Ainsi, l’année passée, le Mexique a rapatrié une sépulture d’enfant mésoaméricaine qui se trouvait sur les tablettes du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal. À la suite de cette cérémonie de rapatriement, Hector Huerta, consul général adjoint du Mexique à Montréal, a contacté de nouveau les organisateurs, Carlos Jacome Hernandez, chercheur invité à l’Université de Montréal et expert en bioarchéologie mésoaméricaine, et Isabelle Ribot, professeure au Département d’anthropologie de l’UdeM, pour récupérer cette fois 84 haches mésoaméricaines qui ont été entre les mains d’un citoyen canadien. Ces artéfacts ont été rendus à la nation mexicaine au cours d’une cérémonie officielle qui a eu lieu à l’Université de Montréal le 10 octobre.
Des trésors des Aztèques aux pilleurs modernes, une très longue histoire de spoliation
Le pillage des objets archéologiques au Mexique ne date pas de l’arrivée des Européens. «Déjà, bien avant la venue des colons européens, des objets précieux étaient recherchés. Les Aztèques, par exemple, exploraient des sites anciens comme Teotihuacán non pas dans un but scientifique, mais pour s’emparer de trésors et pour légitimer certains mythes», dit Carlos Jacome Hernandez Cette quête d’objets précieux s’est intensifiée avec la colonisation européenne, notamment avec la découverte de richesses en or.
La couronne de Moctezuma en est une illustration: cette pièce unique faite de plumes de quetzal se trouve aujourd'hui au musée d’ethnologie de Vienne. «Certains disent que c'était un cadeau de Moctezuma à Cortés et la couronne reste en Autriche. Comme elle, une énorme quantité de pièces sont sorties du Mexique dès les premiers contacts avec les Européens et n’y sont jamais revenues», explique Carlos Jacome Hernandez.
Il est difficile de calculer combien de trésors culturels mexicains ont été pillés. «L’Institut national d’anthropologie et d’histoire répertorie un total de 49 347 sites archéologiques. Dès qu’on plante un arbre, et donc qu’on remue la terre, on est susceptible de trouver quelque chose!» note Carlos Jacome Hernandez. Dans ce contexte, des paysans vivant dans des conditions précaires vendent alors ce qu’ils trouvent à des personnes intéressées. Ces actes de pillage peuvent avoir une grande ampleur. L’archéologue se souvient ainsi que des pilleurs dans les années 1980 avaient engagé des locaux pendant plus de six mois qui se sont livrés à quelque 70 actes de pillage et qui ont sorti une immense quantité de pièces archéologiques.
Le problème majeur avec le pillage, comme le souligne Carlos Jacome Hernandez, c’est la destruction des contextes archéologiques, les pilleurs, motivés par la valeur esthétique des objets, effaçant alors des siècles d’histoire culturelle. «Toute la valeur archéologique importante pour nous à titre de patrimoine est perdue», déplore-t-il.
Le chemin sinueux vers la protection du patrimoine archéologique mexicain
La prise de conscience de la nécessité de protéger le patrimoine mexicain est relativement récente. Il a fallu attendre que le Mexique se constitue en tant que nation et qu’ensuite un sentiment national émerge pour que les premières lois soient votées en 1868. Elles visaient à interdire la possession privée d'objets archéologiques, mais leur portée est restée limitée.
Il était alors courant que des archéologues étrangers, soutenus par des établissements tels que le Carnegie Institute ou l’Université de Californie, rentrent chez eux avec des pièces pour les étudier sans les rapporter ensuite sur leur lieu d’origine. Et même au Mexique, des artistes et intellectuels comme Rufino Tamayo ou Diego Rivera constituaient eux aussi des collections d'artéfacts, souvent issus de pillages, obtenus «par hasard» grâce aux paysans.
Ce n’est qu’en 1972 qu’une loi plus stricte a été adoptée pour protéger les monuments et objets archéologiques. Cependant, un contrôle total n'a jamais été possible. Comme le mentionne Carlos Jacome Hernandez, «aujourd'hui, les organisations muséales et universitaires du monde se défendent en affirmant que les pièces en leur possession sont celles sorties avant 1972, puisque cette loi n’est pas rétroactive. Ainsi, certains musées possèdent des centaines de pièces et l’on ne peut pas exiger leur restitution».
Récemment, sous le gouvernement d'Andrés Manuel López Obrador, d’autres mesures plus strictes ont été demandées pour renforcer la protection du patrimoine. Grâce aux conventions signées avec l'UNESCO, qui reconnaissent le patrimoine des nations comme patrimoine de l'humanité, plus de 10 000 pièces archéologiques ont pu être restituées au Mexique ces dernières années.
La règlementation a également changé et, désormais, les chercheurs doivent d'abord enregistrer les pièces qu'ils souhaitent étudier, indiquer précisément ce qui sera exporté et s'engager à les retourner dans un délai d'un an après analyse. Pour des études scientifiques plus avancées impliquant de toucher à l’intégrité des pièces, telles que les analyses isotopiques ou la datation au radiocarbone, les chercheurs peuvent prélever un échantillon, mais ils ont toujours l'obligation de soumettre un rapport final et de restituer les pièces qu’ils ont empruntées pour leurs travaux.
La restitution de pièces archéologiques, une démarche de longue haleine
Le processus de restitution d’artéfacts est une entreprise de longue haleine. «Lorsque l’Université de Montréal a souhaité restituer l’année passée un seul carton contenant les restes d’un enfant ayant vécu il y a plus de 2000 ans, les procédures ont duré plus de deux ans», se souvient Carlos Jacome Hernandez. Il précise que cette restitution a nécessité un important travail administratif. Il a fallu notamment obtenir une étude de faisabilité par un expert mexicain pour évaluer l'authenticité et la valeur des objets et effectuer les démarches auprès de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire et du ministère des Relations extérieures du Mexique
Une demande de restitution peut être faite par une organisation ou un particulier. C’est ainsi un particulier qui a souhaité restituer les 84 haches mésoaméricaines en sa possession, qu’il avait prêtées à l’Université de Princeton. Il a communiqué avec le consulat du Mexique, qui s’est chargé des démarches administratives avec l’Institut national d’anthropologie et d’histoire. «C’est alors la directrice juridique de l’Institut qui met en marche le processus. Une opération rigoureuse qui repose sur les lois mexicaines relatives au patrimoine archéologique et aux biens culturels ainsi que sur différents traités internationaux», signale Carlos Jacome Hernandez. Ensuite, un archéologue mexicain rédige, à la lumière de photographies, une expertise de validation des pièces archéologiques pour recommander leur restitution ou non.
L’importance de la sensibilisation au pillage et le rôle de l’Université de Montréal
On avance souvent une prise de possession avant 1972 pour ne pas restituer de pièces archéologiques mexicaines, alors que la loi n’était pas encore entrée en vigueur. Carlos Jacome Hernandez insiste sur le fait que le changement doit passer par une prise de conscience collective ainsi que par des lois plus strictes afin de décourager à la fois l’achat de pièces archéologiques et le pillage au Mexique.
«Le patrimoine archéologique pillé perd sa valeur culturelle et son contexte historique, les artéfacts deviennent de simples objets précieux dont on exploite le côté esthétique», dit Carlos Jacome Hernandez.
La cérémonie organisée à l'Université de Montréal pour la restitution des 84 haches mésoaméricaines visait à rappeler leur véritable valeur culturelle et à sensibiliser le public à cette réalité. «Nous voulons inciter les gens à cesser d'acheter des objets archéologiques qu’il est malheureusement encore trop facile de se procurer aujourd’hui», observe Carlos Jacome Hernandez.
En restituant des pièces, notamment par l’intermédiaire de la professeure du Département d’anthropologie de l’UdeM Christina Halperin, l’Université redonne un sens à ces artéfacts. «En tant que spécialiste, elle ne va pas seulement parler de leur valeur esthétique, elle va les replacer dans leur contexte historique et expliquer quelle fut leur utilisation», ajoute Carlos Jacome Hernandez.
«Le Département d'anthropologie a un rôle éducatif important à jouer. Nous pouvons aider à replacer ces objets dans leur contexte culturel et ensuite ces pièces, qui appartiennent au peuple mexicain, pourront être restituées avec cet éclairage», conclut-il.
Une collection de 84 haches de pierre restituée
«Ces haches en pierre verte ont principalement été produites et utilisées durant les périodes préclassiques, entre – 2000 av. J.-C. et l’an 300 apr. J.-C.», explique Christina Halperin. Ces haches étaient souvent offertes lors de la construction de places publiques et de monuments sur des sites olmèques et d'autres régions de la Mésoamérique.
Employées pour des tâches pratiques comme la coupe du bois et l'aménagement des champs, ces haches avaient également une forte signification symbolique. Leur forme triangulaire allongée évoquait les épis de maïs et elles étaient associées aux dieux du maïs et à la fertilité. En outre, elles servaient de monnaie et d'objets d'échange sur de longues distances, témoignant de relations interrégionales importantes. Des haches en jade et en pierre verte ont ainsi été retrouvées jusqu'au Costa Rica.