Le pouvoir de la musique
- UdeMNouvelles
Le 27 mai 2025
- Virginie Soffer
La 11e Conférence de la montagne avec la pianiste Alexandra Stréliski et la spécialiste du «cerveau musical» Isabelle Peretz a permis de mieux comprendre pourquoi la musique nous bouleverse.
Le 7 mai, la 11e Conférence de la montagne a réuni à la salle Bourgie un public curieux autour des questions «À quoi sert la musique?» et «Pourquoi nous fait-elle vibrer?» Pour y répondre, Alexandra Stréliski, pianiste au succès retentissant et ambassadrice de la campagne L’heure est brave, et Isabelle Peretz, professeure de psychologie à l’Université de Montréal et cotitulaire de la Chaire Casavant en neuropsychologie et cognition musicale, ont présenté leurs perspectives.
Animée par Catherine Perrin, la conversation a navigué entre expériences artistiques et découvertes scientifiques, éclairant les multiples facettes du pouvoir de la musique. À l’entracte, Yegor Dyachkov, professeur de violoncelle à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, a interprété des extraits de la Troisième suite pour violoncelle seul, de Bach.
Parcours croisés
Alexandra Stréliski, dont la musique cumule 600 millions d’écoutes en ligne et lui a valu plusieurs albums certifiés or et platine, a raconté les origines de sa passion, qui remonte à la petite enfance. À peine savait-elle parler qu’elle réclamait déjà un piano à ses parents – une demande répétée jusqu’à ce qu’elle obtienne enfin l’instrument à 6 ans. Elle ne l’a plus quitté depuis et a commencé a improvisé très jeune, dès ses 12 ans. Son cursus de musique classique l’amène à la Faculté de musique de l’UdeM, où elle parfait sa formation. Juste après ses études, elle s’oriente vers un travail musical en studio.
Face à elle, Isabelle Peretz, spécialiste du «cerveau musical» et auteure de plus de 470 publications scientifiques à ce sujet, a confié être, comme d’autres pionniers de son domaine, une «musicienne manquée» – aussi passionnée par la musique que par la science. Son intérêt pour le lien entre cerveau et musique s’est manifesté dès la maîtrise, lorsqu’un professeur lui a demandé de tester cette hypothèse. Ce qu’elle pensait être un simple projet s’est transformé en vocation. Parmi ses premières questions: «Si la musique est si importante pour nous, comment se fait-il que certaines personnes chantent faux?» Pour trouver une réponse, elle a envoyé un stagiaire extraverti dans un parc faire chanter 100 personnes. Leurs interprétations de Gens du pays ou de Frère Jacques ont ensuite été analysées en laboratoire: un champ de recherche quasi inexploré à l’époque. Un travail précurseur qui a été mené au BRAMS, le Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son, qu’elle a cofondé et qui contribue à faire de Montréal la capitale du «cerveau musical».
Les révélations du cerveau musical
Les découvertes d’Isabelle Peretz et de son équipe sont fascinantes. Le cerveau musical se développe très tôt – dès la vie in utéro. Des études par imagerie ont démontré que le cerveau des nouveau-nés réagit aux erreurs harmoniques, preuve que nous naissons tous avec une forme de compétence musicale.
Deux découvertes majeures des 15 dernières années ont particulièrement marqué ses recherches. D’abord, le lien entre la musique et la dopamine, qui confère à l’écoute musicale un rôle biologique essentiel. Ensuite, l’aspect profondément social de la musique: elle favorise la cohésion, voire l’altruisme. Des expériences ont montré que chanter ou bouger en rythme ensemble rend les participants plus enclins à s’entraider.
Alexandra Stréliski a abondé dans ce sens, soulignant l’importance du lien humain dans son métier et le rôle central du partage. Après une période de remise en question, où elle ne se reconnaissait plus dans les conventions classiques, elle a choisi de replacer la musique «au cœur de sa vie», en se mettant «au service de sa création». Pour elle, jouer en public est devenu une manière d’apprivoiser sa peur. Même devant 80 000 personnes, elle s’efforce de s’adresser à une seule, créant ainsi une forme d’intimité avec chaque spectateur ou spectatrice.
Des témoignages poignants
Le pouvoir de la musique s’est illustré à travers les témoignages de lectrices et lecteurs de La Presse, invités à exprimer leurs émotions à l’écoute de la musique d’Alexandra Stréliski.
Marianne a ainsi témoigné: «Matin du 30 novembre 2020. La nuit est encore noire. Première contraction. En pleine pandémie, sans cours prénataux, sans péridurale. Après plus de 18 heures de travail, je donne la vie. Trois choses me permettent de tenir: le jus de pomme offert par l’infirmière, les points de pression dans le bas de mon dos et la musique d’Alexandra. Son morceau Burnout Fugue est désormais à jamais lié à la naissance de ma fille.» Pour Isabelle Peretz, ce récit illustre la manière dont la musique peut répondre spontanément à une détresse. En effet, 85 % des gens écoutent de la musique pour se détendre. Une étude internationale menée durant la pandémie a d’ailleurs révélé que la musique était la première stratégie émotionnelle utilisée pour faire face à l’angoisse. Scientifiquement, elle permet d’apaiser le stress et de réduire le taux de cortisol. Cela a été prouvé facilement grâce à des échantillons salivaires.
D’autres témoignages évoquent l’effet calmant de la musique sur les enfants. Catherine Grégoire, directrice d’école, a ainsi déclaré utiliser les compositions d’Alexandra Stréliski pour aider les élèves en difficulté émotionnelle à se recentrer et à nommer ce qu’ils ressentent. Isabelle Peretz explique cet apaisement par une forme de synchronisation physiologique avec la pulsation musicale, plus proche du rythme cardiaque.
Pour Alexandra Stréliski, la musique a longtemps été une échappatoire, un moyen d’apprivoiser ses émotions. Elle estime qu’elle aurait pu devenir dysfonctionnelle sans elle tant elle lui a permis de se structurer. Sa pièce Burnout Fugue, elle l’a écrite en pleine dépression, pour traduire le «tourbillon de voix» qu’elle avait dans la tête. Savoir que d’autres ressentent la même chose en l’écoutant est pour elle «extraordinaire».
Cette soirée a montré que la musique était bien plus qu’un divertissement. Elle nous touche, nous organise, nous rassemble et, parfois, nous sauve. Un message porté par deux femmes qui en font leur vocation, chacune à leur manière.