«Un écrivain, c’est celui qui a un sens de plus que les autres: le pif!» ‒ Antonine Maillet

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  • Le 17 mai 2019

  • Martin LaSalle
Antonine Maillet était l'invitée d'honneur de l’École d'été en création littéraire du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, à l'occasion d'un entretien organisé par la Faculté des arts et des sciences en collaboration avec le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises.

Antonine Maillet était l'invitée d'honneur de l’École d'été en création littéraire du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, à l'occasion d'un entretien organisé par la Faculté des arts et des sciences en collaboration avec le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises.

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

L’écrivaine Antonine Maillet a parlé de l’importance du territoire ‒ son Acadie natale! ‒ dans son œuvre au cours d’un entretien tenu à l’occasion de l’École d’été en création littéraire de l’UdeM.

«Un écrivain, c’est celui qui a un sens de plus que les autres: le pif! Il ressent les choses et il ne peut tout absorber… C’est celui qui n’est pas satisfait de la vie, qui est trop petite pour lui: il n’est pas satisfait du temps qu’il a…»

En prononçant ces mots à l’issue de l’entretien qui a eu lieu le 14 mai à l’occasion de l’École d'été en création littéraire du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, où elle était l’invitée d’honneur, Antonine Maillet venait de résumer sa motivation à publier ‒ pour ses 90 ans! ‒ son 50e roman, intitulé… Clin d'œil au temps qui passe.

La femme de lettres et lauréate du prix Goncourt en 1979 pour son roman Pélagie-la-Charrette a renoué avec l’UdeM, l’une de ses alma mater: titulaire d’une licence ès lettres de l’Université de Montréal depuis 1962, elle y a aussi enseigné en 1974 au Département d’études françaises. Et, en 2001, l’Université lui décernait un doctorat honorifique.

L’Acadie grande comme le monde

Antonine Maillet

Crédit : Amélie Philibert

Devant un auditoire de près de 200 personnes, le professeur Francis Gingras a invité Mme Maillet à livrer ses pensées sur le thème de l’école d’été, soit «Habiter le territoire».

«Mon territoire, peu l’ont fait valoir; l’Acadie a pourtant tant de choses à offrir au monde, dont des milliers de mots qu’elle a gardés de Rabelais», a expliqué celle dont la thèse de doctorat, rédigée à l’Université Laval sous la direction de Luc Lacourcière, avait pour titre «Rabelais et les traditions populaires en Acadie».

Mais quelle est l’étendue du territoire de l’Acadie, qui transcende l’œuvre de la romancière?

«Le territoire acadien va bien au-delà du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, a souligné Antonine Maillet. Les Acadiens sont partout: aux Îles-de-la-Madeleine, à Saint-Pierre et Miquelon, à Montréal, à Québec… Il y a plus d’Acadiens au Canada qu’il y en a en Acadie; il y en a aussi aux États-Unis, en Martinique, aux îles Malouines et même en Australie… Le territoire acadien est vaste comme le monde: là où il y a des Acadiens, c’est l’Acadie!»

Une identité façonnée par la déportation

Affichant un brin d’espièglerie, Antonine Maillet s’est fait un plaisir de rappeler deux fois plutôt qu’une que les Acadiens ont des origines aussi lointaines que les Québécois et que la première colonie établie en Acadie ‒ à l’île Sainte-Croix ‒ «a été fondée par le Champlain que vous connaissez, mais quatre ans avant Québec!»

«À l’origine, ceux qui ont migré de la France vers l’Acadie venaient principalement du pays de la Loire ‒ Anjou, Poitou, Berry, Touraine, jusqu’à la Charente ‒ et certains étaient également originaires de Bretagne et de Normandie», a-t-elle énuméré.

Puis il y a eu la déportation… Sur une population totale évaluée de 12 000 à 18 000 Acadiens en 1755, les historiens estiment que jusqu’à 9000 d’entre eux sont morts entre 1755 et 1763, soit des effets de la déportation, soit en tentant d'y échapper. Si plusieurs ont fini par revenir en Acadie après des années d’errance, cet épisode sombre de l’histoire des Acadiens allait les caractériser à jamais.

«Les bonheurs que vivent aujourd’hui les Acadiens sont nés des malheurs d’hier: lors de la déportation, ils ont eu le choix d’apporter un petit bagage, celui du cerveau! a-t-elle évoqué. Ils ont gardé la mémoire et l’ont inscrite dans l’histoire en la faisant fructifier à travers les mots, les mythes, les contes, l’art, la musique et les vieilles chansons: parce qu’ils ont eu une histoire tragique, ils avaient le choix de mourir ou de durer avec la culture.»

Une écrivaine incontournable des littératures francophones

Cette culture, Antonine Maillet s’est fait un devoir de la faire fructifier à son tour, à travers son œuvre magistrale, dont la pièce La sagouine, qui s’est imposée dans l'imaginaire populaire.

«Mon inspiration provient de mes racines, a-t-elle dit fièrement. Quand j’écris, c’est cette Acadie qui me parle et je lui parle aussi. Je parle cette langue-là, héritée de Montaigne. La force de la culture française et de l’imaginaire des Acadiens, c’est qu’on a une connaissance du Moyen Âge.»

Pour le professeur Francis Gingras, l’inspiration d’Antonine Maillet lui vient également des gens ordinaires, qu’elle a notamment décrits dans son livre Les crasseux.

«Tous les peuples sont formés des gens du haut et des gens du bas [de l’échelle sociale]. C’est l’argent et la pauvreté qui nous divisent», a déploré Mme Maillet.

«Antonine Maillet a joué un rôle central dans la définition de l’identité acadienne, a conclu M. Gingras. Elle a donné à l’Acadie les mots pour se dire et elle s’est imposée comme une auteure incontournable des littératures francophones!»

  • Antonine Maillet et le professeur Francis Gingras, du Département des littératures de langue française de l'UdeM.

    Crédit : Amélie Philibert
  • Antonine Maillet entourée des professeurs Marie-Pascale Huglo et Francis Gingras, de Frédéric Bouchard, doyen de la Faculté des arts et des sciences, des étudiants Myriam Bouroche, Luc Gélinas, Julien Faille-Lefrançois et Catherine Dépelteau, du Département des littératures de langue française, et de Martine Freedman.

    Crédit : Benjamin Seropian

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