Même en hiver, le dégel du pergélisol en Arctique accroît la libération de CO2 dans l'air

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  • Le 12 décembre 2019

  • Martin LaSalle
En 2100, les émissions hivernales de CO2 découlant du dégel du pergélisol pourraient augmenter de 17 % dans l'hypothèse où nous serions parvenus à atténuer le réchauffement climatique, mais
elles pourraient augmenter de 41 % si les émissions de GES associées aux activités humaines persistent à leur niveau actuel.

En 2100, les émissions hivernales de CO2 découlant du dégel du pergélisol pourraient augmenter de 17 % dans l'hypothèse où nous serions parvenus à atténuer le réchauffement climatique, mais elles pourraient augmenter de 41 % si les émissions de GES associées aux activités humaines persistent à leur niveau actuel.

Crédit : Norbert Pirk, Université d'Oslo (Norvège)

En 5 secondes

Le dégel du pergélisol participe à la hausse des quantités libérées de CO2 en hiver, selon une étude à laquelle ont pris part le professeur Oliver Sonnentag, de l’UdeM, et Gabriel Hould Gosselin.

On sait depuis quelques années que le réchauffement climatique entraîne la libération, en été, d’une partie du carbone emmagasiné depuis des dizaines de millénaires dans le pergélisol par une augmentation de la matière organique oxydable. Ce carbone contribue aux émissions de gaz à effet de serre (GES) en se transformant en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4).

Or, même en hiver, d’importantes émissions de CO2 sont observables dans les régions où il y a du pergélisol, selon une nouvelle étude menée par plus de 70 scientifiques, dont le professeur Oliver Sonnentag, du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Ils ont pu relever ces émissions grâce à des outils de mesure disséminés au nord du 45e parallèle, de l’Alaska à la Sibérie en passant par le Canada, le Groenland et la Scandinavie.

Les résultats de l’étude, publiés dans la revue Nature Climate Change, indiquent que, en additionnant le CO2 libéré par le dégel du pergélisol l’hiver et celui qui s’échappe du sol l’été, les émissions totales pourraient s’élever à 1,7 million de tonnes métriques par an, soit près du double de la capacité d’absorption du CO2 de ces régions en période estivale, qui est de 1 million de tonnes.

«Bien qu’il n’y ait plus de photosynthèse dans ces régions, caractérisées par une courte période de croissance de la végétation, leurs écosystèmes continuent de respirer: étant isolés du froid par la neige, les microbes du sol sont encore actifs et produisent du dioxyde de carbone par un processus appelé respiration microbienne», précise Oliver Sonnentag, qui a pris part à l’étude accompagné de ses étudiants et du professionnel de recherche Gabriel Hould Gosselin.

Toutefois, le CO2 libéré du sol en hiver par ces bactéries se répand dans l’atmosphère, contrairement à celui qui est émis en été et qui est partiellement recapté par la photosynthèse des plantes, dont le pergélisol est alors recouvert.

Des émissions de CO2 en hausse de 41 % d’ici 2100

L'image montre les différentes zones de pergélisol situées de part et d'autre du cercle polaire arctique. Les petits cercles bleus et jaunes indiquent les endroits où sont situées les installations de mesure d’émissions de CO2 dans les différents pays participant à l’étude. Les jaunes représentent les tours de covariance des turbulences et les bleus les chambres de flux.

Crédit : Revue Nature Climate Change

Le pergélisol occupe une surface équivalant à 24 % des terres de l’hémisphère Nord. Et les émissions de CO2 varient grandement autour du cercle polaire arctique, selon le lieu et les saisons.

Deux principaux outils technologiques permettent de mesurer le CO2 dégagé par le dégel du pergélisol:

• des chambres de flux de CO2, qui enregistrent la variation des émissions au sol à l’échelle de communautés de plantes spécifiques;

• des tours de covariance des turbulences, qui captent les échanges nets de CO2 sur une surface de quelques kilomètres carrés, permettant une observation intégrée à l’échelle d’un écosystème.

Les données recueillies jusqu’ici permettent aussi aux chercheurs d’estimer les changements d’émissions de CO2 provenant des zones couvertes par le pergélisol sur un horizon de 80 ans.

En tenant compte des modèles qui prédisent des conditions climatiques plus chaudes en 2100, les émissions hivernales de CO2 pourraient augmenter de 17 % dans l’hypothèse où nous serions parvenus à atténuer le réchauffement climatique, considèrent les auteurs de l’étude.

Or, elles pourraient s’accroître de 41 % si les émissions de GES associées aux activités humaines persistent à leur niveau actuel.

«En ce moment, le pergélisol retient le carbone en toute sécurité, mais à mesure que les températures mondiales se réchauffent, les régions nordiques formées de pergélisol libéreront plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère», avertit Oliver Sonnentag. Et il faut savoir que le carbone libéré par le dégel du pergélisol n’a pas été pris en compte dans la majorité des modèles et rapports qui éclairent la politique internationale en matière de climat.

L’importance de mesurer les émissions de CO2 dans le Grand Nord

Le professeur Oliver Sonnentag et le professionnel de recherche Gabriel Hould Gosselin perchés dans l’une des tours de covariance des turbulences dans les Territoires du Nord-Ouest.

Crédit : Oliver Sonnentag

Les observations de cette étude relatives aux émissions de CO2 des régions où il y a du pergélisol ont été synthétisées dans le cadre de la NASA Arctic-Boreal Vulnerability Experiment et du Permafrost Carbon Network, un réseau dont font partie le professeur Sonnentag et son équipe.

«Il s’agit d’une nouvelle initiative de synthèse par laquelle nous cherchons à mieux comprendre l’effet des changements climatiques en haute latitude sur les échanges nets de CO2 de régions circumpolaires du pergélisol», explique Oliver Sonnentag.

On peut imaginer que les travaux de recherche effectués dans ces régions comportent d’énormes défis liés à l’accès aux zones où se trouvent les appareils de mesure et à l’apport en énergie nécessaire à leur bonne marche.

«En été, des panneaux solaires suffisent à les alimenter mais, puisqu’il n’y a pas de soleil en hiver, il faut les munir de transformateurs d’énergie éolienne ainsi que de génératrices au diésel et leur fonctionnement est assuré par mes étudiants et, surtout, par Gabriel Hould Gosselin, qui assure une présence sur les quatre sites de recherche dans le Grand Nord depuis plusieurs années», conclut-il avec gratitude.

  • Une des tours de covariance des turbulences utilisées pour l'étude et qui est située à Scotty Creek, près de Fort Simpson, dans les Territoires du Nord-Ouest. Ces tours mesurent les flux de carbone, d’eau et de chaleur sur un terrain tourbeux boréal, dans la zone à pergélisol sporadique des plaines de la taïga.

    Crédit : Oliver Sonnentag