Henry Morgentaler, le médecin féministe

Libération du Dr Henry Morgentaler au palais de justice de Montréal en 1976

Libération du Dr Henry Morgentaler au palais de justice de Montréal en 1976

Crédit : Michel Gravel, BANq

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Héros pour les uns, meurtrier pour d’autres, le Dr Henry Morgentaler a incontestablement fait évoluer le droit canadien en matière d’avortement.

Henry Morgentaler

Crédit : Alamy Stock Photo

Après avoir survécu aux camps d’Auschwitz et de Dachau, où il avait été interné pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de ses origines juives, le médecin polonais Henry Morgentaler (1923-2013) ouvre une clinique de médecine générale sur la rue Honoré-Beaugrand, à Montréal. Après avoir obtenu des mains du cardinal Paul-Émile Léger son diplôme de médecine à l’Université de Montréal (1953), il était impatient de se rendre utile à la société québécoise.

Seulement voilà: aux traitements habituels qu’un généraliste prescrit contre la rougeole et la varicelle s’ajoutent de plus en plus de demandes d’interruption de grossesse. Or, l’avortement est alors l’équivalent d’un meurtre et celui qui le commet risque la prison à perpétuité. Les avortements sont alors l’apanage de charlatans, comme Henri Gauthier, un livreur d’épicerie qui a procédé dans son arrière-boutique à 800 avortements sans souci d’hygiène, comme le rapporte un article du Devoir en 1975.

Henry Morgentaler résiste pendant 15 ans avant d’acquiescer aux demandes des jeunes femmes subissant les conséquences de l’amour libre ou ayant été victimes de viol. «Dès l’instant où je me suis lancé, j’ai su que cela allait être terriblement difficile, que ma vie serait tout entière happée par ce combat», confie-t-il, 40 ans plus tard, à la journaliste Florence Meney, aujourd’hui relationniste pour le CHU Sainte-Justine, à Montréal.

Les actes médicaux de la clinique Morgentaler sont des interventions médicales éprouvées qui ne mettent pas en danger la vie de la mère. Ce médecin est le premier au pays à effectuer des interruptions de grossesse mises au point en Europe; il a été formé en Allemagne et en Belgique francophone avant de faire le saut en Amérique.

Au plus fort de sa pratique, il fait jusqu’à 15 avortements par jour, dans une perspective de désobéissance civile qu’il assume parfaitement et qui le mènera à être accusé, mais acquitté par un jury en 1973. En 1974, la Cour d’appel renverse l’acquittement et le condamne à 18 mois de détention. Après que l’appel eut été rejeté par la Cour suprême du Canada en mars 1975, il passe 10 mois en prison avant de finalement voir sa condamnation annulée.

Sur les murs de sa cellule, à la prison de Bordeaux, il inscrit «L’amour est plus fort que la haine».

Accélérateur d’histoire

Manifestation des étudiants en médecine en faveur d’Henry Morgentaler devant le palais de justice de Montréal en 1975.

Crédit : Réal St-jean, BANq

«Le Dr Morgentaler a accéléré l’histoire en affrontant l’État sur la question de l’avortement», commente l’historienne Denyse Baillargeon, qui a publié en 2012 Brève histoire des femmes au Québec (Boréal). On peut y lire que l’accès à des services d’avortement libres et gratuits a été le «grand combat» du mouvement féministe des années 70 et 80. «Maintes fois poursuivi, Morgentaler subit plusieurs procès dont il sort chaque fois victorieux jusqu’à ce que, en 1988, la Cour suprême du Canada déclare inconstitutionnel l’article 251 du Code criminel faisant jusqu'alors de l’avortement un crime.»

Le rôle du Dr Morgentaler a été «fondamental dans l’histoire de la lutte des femmes au pays», poursuit l’historienne Micheline Dumont (études françaises 1957 et 1960), coauteure de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles (Clio, 1982). Elle souligne que de nombreuses féministes ont rendu hommage à ce médecin infatigable qui n’a jamais plié devant les menaces. «Je crois qu’il a gagné la bataille juridique de l’avortement libre et gratuit pendant que les femmes gagnaient la bataille politique», résume-t-elle.

C’est un homme «de petite taille, fatigué mais digne, à la mémoire intacte et toujours d’attaque, que j’ai rencontré», relate Florence Meney, qui a tenu à l’interviewer dans le cadre d’un livre sur la résilience humaine (Se réinventer, Québec Amérique, 2010).

En plus d’avoir surmonté les épreuves inqualifiables de la Shoah, lors de laquelle ses deux parents et sa sœur ont péri, et d’avoir été emprisonné au Canada pour avoir pratiqué des interventions médicales, il a été la cible de menaces et d’insultes. Une bombe incendiaire a ravagé sa clinique de Toronto en 1982 et les militants pro-vie, qui s’opposent à toute forme d’avortement, même en cas de viol, l’ont comparé à Josef Mengele, l’ange de la mort nazi.

En 2003, Henry Morgentaler a dit au Globe and Mail: «Si j'aide les femmes à avoir des enfants au moment de leur vie où elles peuvent donner de l'amour et de l'affection, ils ne deviendront pas des violeurs ou des assassins. Et ils ne construiront pas des camps de concentration.»

Encore polarisé

Aujourd’hui, la question de l’avortement continue de provoquer les passions. Par exemple, dans plusieurs États américains et en Pologne, on adopte des lois pour restreindre ce droit. Quand Henry Morgentaler reçoit l’Ordre du Canada en 2008, le premier ministre conservateur, Stephen Harper, exprime des réserves.

Toutefois, le vent de hargne s’est calmé au Québec. À la clinique Morgentaler, située rue Crémazie à Montréal, on annonce sans détour que l’équipe «entièrement féminine» offre «un environnement empreint de calme et de respect à toutes les femmes ayant besoin de nos services». On y parle français et anglais, mais aussi espagnol, italien et hindi.

L’équipe précise que le fondateur «n’a cessé de se battre pour que les Canadiennes aient accès à l’avortement sans condition, et c’est en 1988 que la Cour suprême du Canada a finalement invalidé la loi sur l’avortement, donnant ainsi aux femmes le libre choix».

L’avortement, précise-t-on, y est libre et gratuit.

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