Les groupes interdisciplinaires de soutien à l’aide médicale à mourir: méconnus et sous-utilisés

Le Québec est l’État dans le monde où, toute proportion gardée, on administre le plus l’aide médicale à mourir.

Le Québec est l’État dans le monde où, toute proportion gardée, on administre le plus l’aide médicale à mourir.

Crédit : Getty

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Créés pour appuyer les équipes soignantes administrant l’aide médicale à mourir, les groupes interdisciplinaires de soutien et les services offerts sont peu connus de ceux qui pourraient en profiter.

Les groupes interdisciplinaires de soutien (GIS) ont été mis sur pied pour épauler les équipes de soins administrant l’aide médicale à mourir. Bien qu’ils soient implantés au Québec depuis 2016, leurs rôles, leurs mandats et leur offre de services demeurent méconnus et la variabilité de leurs pratiques est un enjeu dans la province.  

Ce sont quelques-unes des réalités relevées par l’éthicienne Catherine Perron dans ses travaux de doctorat en éthique clinique au programme de sciences biomédicales de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

Son projet de recherche, réalisé sous la direction des professeurs Marie-Ève Bouthillier et Éric Racine, s’inscrit dans le cadre d’un processus d'évaluation mis en place par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Plus de cinq ans après l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie, le ministère cherchait à objectiver l’implantation des GIS et de leurs pratiques à travers le Québec.

En plus d’avoir publié ses premiers résultats dans la revue Healthcare Management Forum, Catherine Perron a déposé un rapport au ministère dont les recommandations seront étudiées lors du symposium sur la communauté de praticiens des GIS, en juin prochain.

L’objectif de Catherine Perron était de désigner puis d’analyser les pratiques prometteuses afin de soumettre des propositions sur leur implantation dans les quelque 30 GIS répartis sur le territoire québécois. Pour ce faire, elle a procédé à une recherche mixte et multiphasée en trois temps.

Un sondage révélateur

Catherine Perron

Catherine Perron

Crédit : Photo de courtoisie

Dans un premier temps, elle a sondé 245 personnes engagées dans l’administration de l’aide médicale à mourir issues de différentes disciplines: la médecine, les sciences infirmières, la pharmacie, le travail social, l’éthique clinique, le droit, la psychologie, les soins spirituels et le partenariat de soins.

«Le sondage a fait ressortir que, en général, les groupes interdisciplinaires de soutien sont peu connus de ces professionnels et qu’aucune structure n’existe pour informer le public de leur existence», indique Catherine Perron.

Et plusieurs parmi ceux et celles qui travaillent dans un GIS ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir l’information juste et validée par les instances régulatrices comme le MSSS, le Collège des médecins du Québec et la Commission sur les soins de fin de vie: «Les indications de ce “triumvirat”, tel qu’il est qualifié par quelques répondants et répondantes, ne sont souvent pas les mêmes et il arrive parfois qu’elles se contredisent», ajoute la chercheuse.  

Par ailleurs, au sein même de la communauté de praticiens des GIS, des membres du personnel soignant hésitent à partager leurs connaissances et leurs façons de faire par crainte d’être pris en défaut.

Le sondage fait également ressortir que des médecins, particulièrement favorables à l’aide médicale à mourir, doutent de la valeur ajoutée des GIS et se sont affiliés à une communauté de praticiens parallèle, réservée aux médecins administrateurs de l’aide médicale à mourir, indépendante et non soutenue par le ministère.

Des pratiques à améliorer et à implanter partout

Dans un deuxième temps, Catherine Perron a mené des entretiens semi-dirigés avec 59 responsables d’un GIS.

Et, en troisième lieu, elle a animé sept groupes de discussion avec 35 coordonnateurs d’un GIS et représentantes de maisons de soins palliatifs. Les objectifs étaient d’analyser plus en profondeur les problématiques vécues dans les différents GIS et de valider avec les personnes participantes les pratiques à promouvoir à plus grande échelle.

«L’une de leurs préoccupations était la difficulté de véhiculer certaines informations relatives aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir: des soignants et soignantes croient à tort que le critère de fin de vie est toujours exigé, ce qui n’est plus le cas», illustre-t-elle.

Plus largement, les recommandations à formuler à la suite de ces entretiens concernaient, entre autres, la composition des GIS, la collaboration et la proximité au sein de ces groupes, les activités de soutien, ainsi que le positionnement et le fonctionnement des GIS. Voici quelques-unes des recommandations:

  • Composition des GIS: associer la direction des services professionnels; assurer une représentativité par discipline et par mission dans chaque GIS; et veiller à la stabilité des gens qui les coordonnent.
  • Collaboration et proximité: améliorer la collaboration entre les instances régulatrices en instaurant une structure provinciale de référence pour les GIS; créer des partenariats avec les maisons de soins palliatifs; et améliorer la communication à la population.
  • Activités de soutien: promouvoir le mentorat des médecins dans l’administration de l’aide médicale à mourir; jumeler les GIS des régions où il y a moins de demandes d’aide médicale à mourir avec celles où il y en a plus; améliorer et partager la formation du personnel soignant; encourager l’interdisciplinarité; et structurer une offre de soutien aux proches.
  • Positionnement et fonctionnement: il y avait unanimité quant à l’importance de ne pas transformer les GIS en une structure unique de soutien afin de conserver une certaine autonomie ainsi qu’une proximité avec les patients et leurs proches.

Demande accrue de l’aide médicale à mourir

Les discussions qui auront lieu en juin lors du symposium seront d’une grande importance, puisqu’elles doivent mener à une amélioration de l’accessibilité des services et de l’information fournis par les GIS aux équipes soignantes et aux patients qui bénéficient des soins palliatifs et de fin de vie, potentiellement de l’aide médicale à mourir.

C’est d’autant plus vrai que le Québec est l’État dans le monde où, toute proportion gardée, on administre le plus l’aide médicale à mourir.

Au moment de la collecte de données, en 2021, les personnes qui avaient reçu l’aide médicale à mourir au Québec représentaient 4,7 % des décès enregistrés, comparativement à 3,3 % pour l’ensemble du Canada. Or, cette proportion atteint maintenant 7 % au Québec.

Selon Catherine Perron, ce taux est d’autant plus étonnant qu’au Québec une seule forme d’aide médicale à mourir est légale, soit l’euthanasie. Dans les autres provinces canadiennes et d’autres pays dont les Pays-Bas, le suicide assisté est également permis.

«L’euthanasie consiste à administrer à une personne, à la demande de celle-ci et selon les critères établis par la loi, un médicament provoquant le décès, alors que dans le cas du suicide assisté, il s’agit plutôt de fournir au patient de l’information et les moyens médicaux pour qu'il mette fin lui-même à sa vie, conclut Catherine Perron. Au Québec, on tient à ce que l’aide médicale à mourir prenne la forme d’un soin et que la personne qui en fait la demande soit accompagnée jusqu’à ses derniers moments.»

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