Activités culturelles et de plein air: un écart se creuse dans la population canadienne

Le passage à la numérisation et l’augmentation des activités de plein air semblent avoir exacerbé le fossé entre les générations plus âgées et les plus jeunes, selon l'étude du professeur Stéphane Moulin.

Le passage à la numérisation et l’augmentation des activités de plein air semblent avoir exacerbé le fossé entre les générations plus âgées et les plus jeunes, selon l'étude du professeur Stéphane Moulin.

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Selon Stéphane Moulin, un écart entre générations ainsi qu’entre urbains et ruraux se dessine au sein de la population canadienne dans la consommation d’activités culturelles et de plein air.

Qu’est-ce qui distingue les Canadiennes et Canadiens dans leurs activités en matière de culture et de plein air? Quels sont les points communs et les écarts qui les caractérisent à cet égard?

C’est ce qu’a cherché à savoir le professeur Stéphane Moulin, du Département de sociologie de l’Université de Montréal, en profitant de la crise sanitaire pour scruter les réponses de 7344 personnes ayant participé à l’Enquête sociale générale réalisée par Statistique Canada en 2016.

Son analyse visait un double objectif: dégager les profils personnels intégrant les activités à la fois culturelles et de plein air et mettre en lumière les déterminants de ces profils en explorant les facteurs sociodémographiques, économiques, culturels, de santé et identitaires des gens sondés.

Pour arriver à ses fins, Stéphane Moulin a opposé deux théories de la sociologie culturelle, soit le cadre de la distinction culturelle et la thèse de l’omnivorisme.

Conceptualisé par le sociologue Pierre Bourdieu, le cadre de la distinction culturelle est centré sur l’opposition entre la culture dite légitime (ou intello-savante) et les activités populaires jugées moins légitimes (ou non intellectuelles). L’omnivorisme renvoie, pour sa part, à l’idée que les classes supérieures se caractériseraient moins par des pratiques distinctives que par l’éclectisme de leurs pratiques culturelles, contrairement aux classes populaires, dont les activités culturelles seraient plus exclusives ou univores (par comparaison à omnivores).

Cinq groupes de consommateurs de culture et de plein air

Les données ont d’abord permis de regrouper les répondantes et répondants en cinq catégories de consommateurs d’activités culturelles et de plein air. De façon résumée, ces groupes sont composés à:

  • 14 % d’univores télévisuels, c’est-à-dire qui écoutent principalement la télé ou la radio traditionnelle. Ils ont plus de 65 ans, vivent autant en ville qu’à la campagne et sont à la fois moins scolarisés et à faible revenu;
  • 28 % de connectés intérieurs, qui écoutent de la musique sur des appareils électroniques et lisent les nouvelles et regardent des films par le biais d’Internet. Ils sont généralement jeunes et urbains;
  • 11 % de classiques intérieurs, qui lisent les journaux, les magazines et des livres en version papier, écoutent la télé, la radio et la musique de manière traditionnelle et font régulièrement des sorties culturelles. Ils sont plus âgés, plus diplômés et plus souvent à haut revenu;
  • 16 % d’univores plein air: vivant surtout à la campagne et étant moins scolarisés, ils s’adonnent à la pêche, à la motoneige, aux sports nautiques motorisés et à la randonnée en nature, en plus d’écouter la radio et la télé traditionnelle et de lire les journaux papier;
  • 31 % d’omnivores – surtout urbains et diplômés –, qui ont des activités variées, du théâtre à la randonnée en montagne en passant par des visites de sites historiques ou de musées, et l’écoute en ligne ou de façon traditionnelle de la télé, de la musique ou de l’actualité.

L’influence du niveau de scolarité, du milieu de vie et de la numérisation

Stéphane Moulin

Stéphane Moulin, professeur du Département de sociologie de l’Université de Montréal

Crédit : Photo de courtoisie

Stéphane Moulin est ainsi parvenu à tirer trois grandes conclusions des données.

«D’abord, les résultats confirment la théorie de l’omnivorisme tout en montrant que le capital culturel – le diplôme – est plus important que le capital économique pour expliquer qui participe à quelles activités. En effet, il y a d’un côté des univores – qui sont peu diplômés –, dont les activités tournent essentiellement autour de la télé ou de la radio, et, de l’autre, les omnivores, qui possèdent majoritairement un diplôme et qui ressentent la pression sociale de devoir tout faire et tout voir pour être dans le coup», dit le professeur.

Deuxièmement, les personnes vivant en milieu rural (moins de 1000 habitants) tendent à être légèrement plus engagées que les urbains dans les activités de plein air, en particulier la chasse, la pêche et les activités motorisées, mais moins dans les activités culturelles.

«En troisième lieu, le passage à la numérisation et l’augmentation des activités de plein air semblent avoir exacerbé le fossé entre les générations plus âgées et les plus jeunes», ajoute le chercheur.

Il est une autre conclusion qui a suscité la surprise chez Stéphane Moulin: la conscience écologique n’est le propre d’aucun groupe!

«Il existe une nouvelle littérature qui parle de l’habitus écolo et je m’attendais à trouver une catégorie de gens qui auraient pratiqué exclusivement des activités de plein air respectueuses de l’environnement, mais ce n’est pas le cas, commente-t-il. Les omnivores urbains sont ultraconnectés et pratiquent toutes les activités, y compris les activités motorisées, la pêche et le vélo de montagne.»

Pour une plus grande diversité d’activités culturelles et de plein air

Selon le professeur de sociologie de l’UdeM, les résultats de la recherche qu'il a menée pourraient «favoriser certaines politiques visant à sensibiliser les jeunes à d’autres activités» que celles qui exigent d’être constamment connecté.

«Il y a un certain risque que l’industrie de la culture vive davantage de difficultés dans l’avenir si les jeunes continuent en vieillissant à privilégier des activités connectées plutôt que des sorties culturelles et il pourrait être politiquement important de les conscientiser à l’influence positive des sorties culturelles dans la vie sociale et démocratique, conclut Stéphane Moulin. Il faut aussi mettre de l’avant des outils pour accroître l’offre culturelle en région et ainsi éviter que les écarts se creusent entre les régions et les grandes villes.»

Les activités les plus et les moins populaires

Voici les activités culturelles et de plein air les plus et les moins populaires désignées par les répondantes et répondants au cours des 12 mois qui ont précédé l’Enquête sociale générale de 2016 de Statistique Canada.

Les cinq activités les plus populaires

  • Regarder un film en ligne ou à la télé (89 %)
  • Écouter la radio traditionnelle (87 %)
  • Regarder la télévision traditionnelle (85 %)
  • Écouter de la musique en ligne (79 %)
  • Lire les nouvelles en ligne (79 %)

Les cinq activités les moins populaires

  • La cueillette de fruits ou de champignons sauvages (19 %)
  • Le ski de fond ou la raquette (15 %)
  • Les concerts symphoniques ou de musique classique (15 %)
  • Le vélo de montagne (15 %)
  • La chasse (7 %)