Réévaluer les gaz à effet de serre dans l'Arctique

Vue aérienne prise par drone en juin 2019 de la station de recherche Trail Valley Creek, dans les Territoires du Nord-Ouest, où des mesures automatisées et manuelles de flux de gaz sont effectuées. Le trottoir de bois permet d'accéder à chaque chambre de mesure sans nuire à la végétation ni altérer les flux de gaz à l'intérieur des chambres. La tente blanche abrite l'analyseur de gaz et le dispositif de contrôle du système de chambres automatisées. Une station micrométéorologique et une tour de covariance des turbulences sont visibles au bas de la photo.

Vue aérienne prise par drone en juin 2019 de la station de recherche Trail Valley Creek, dans les Territoires du Nord-Ouest, où des mesures automatisées et manuelles de flux de gaz sont effectuées. Le trottoir de bois permet d'accéder à chaque chambre de mesure sans nuire à la végétation ni altérer les flux de gaz à l'intérieur des chambres. La tente blanche abrite l'analyseur de gaz et le dispositif de contrôle du système de chambres automatisées. Une station micrométéorologique et une tour de covariance des turbulences sont visibles au bas de la photo.

Crédit : Gabriel Hould Gosselin

En 5 secondes

L'ampleur de l'absorption de méthane dans les «puits» des hautes terres pourrait être plus importante qu'on pensait et augmenter dans des conditions de sécheresse, selon une étude dirigée par l'UdeM.

Oliver Sonnentag

Oliver Sonnentag

Crédit : Université de Montréal

Situées dans des zones de basse altitude saturées d'eau, les zones humides, qui constituent 14 % du territoire de l'Arctique, émettent de grandes quantités de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Mais les scientifiques pensent que ces émissions peuvent être atténuées par l'absorption du méthane atmosphérique qui se produit dans les hautes terres de l'Arctique, qui sont bien drainées et qui couvrent plus de 80 % de la région polaire.

Toutefois, jusqu'à présent, les scientifiques ont eu du mal à mesurer, à comprendre et à évaluer les mécanismes sous-jacents, les contrôles environnementaux et l'ampleur de l'absorption du méthane dans ces «puits» des hautes terres. Une étude internationale vient de révéler que cette absorption pourrait être plus importante qu'on pensait et qu'elle pourrait augmenter dans des conditions plus sèches.

Dirigée par Oliver Sonnentag, professeur de géographie à l'Université de Montréal, et menée par une ancienne chercheuse postdoctorale de son laboratoire, Carolina Voigt, l'étude est publiée aujourd'hui dans la revue Nature Climate Change.

«Les scientifiques de l'Arctique ont tendance à installer tous leurs instruments de mesure des flux à des endroits où l'on peut s'attendre à de fortes émissions de méthane. Notre travail réduit ce biais en quantifiant l'absorption du méthane dans les hautes terres et en mettant en lumière les contrôles de cette absorption», indique le professeur Sonnentag, titulaire d'une chaire de recherche du Canada en biosciences de l'atmosphère.

À Trail Valley Creek, une station de recherche dans la toundra, établie sur du pergélisol à 45 kilomètres au nord d'Inuvik (Territoires du Nord-Ouest), dans l'ouest de l'Arctique canadien, l'équipe de l'UdeM a utilisé un dispositif expérimental unique composé de 18 chambres automatisées pour mesurer en continu les flux de méthane. Aucun autre système de chambres automatisées n'existe aussi loin dans le nord au Canada et il n'y en a que quelques-uns au-dessus du cercle polaire à l'échelle mondiale, la plupart étant installés là où les émissions de méthane sont importantes.

Au-delà de 40 000 mesures

Enregistrées entre juin et août en 2019 et 2021, au-delà de 40 000 mesures à haute résolution des flux de méthane ont été effectuées sur trois types de végétation communs: la toundra d'arbustes nains avec couverture de lichens (mais sans plantes vasculaires), la couverture d'arbustes nains à feuilles caduques et à feuilles persistantes et la couverture de touffes d'herbe. Des mesures supplémentaires ont été prises cette fois manuellement sur trois autres portions du territoire arctique situées dans l'ouest du Canada et en Laponie finlandaise.

Les mesures ont révélé une dynamique ininterrompue et saisonnière de l'absorption de méthane inconnue jusqu'à présent: au début et au plus fort de l'été, l'absorption était la plus importante l'après-midi, coïncidant avec la température maximale du sol, mais à la fin de l'été, elle atteignait son maximum pendant la nuit.

«L'absorption de méthane était également étroitement liée à la respiration du dioxyde de carbone de l'écosystème, l'absorption de méthane la plus grande se produisant lorsque les taux de respiration de l'écosystème étaient élevés, mentionne Carolina Voigt, aujourd'hui chercheuse associée à l'Université de Hambourg, en Allemagne. Soutenus par des études en laboratoire, nos travaux montrent un lien entre l'absorption de méthane et le carbone labile [en décomposition] et l'approvisionnement en nutriments.»

«Nos résultats impliquent que l'assèchement des sols et l'augmentation de l'apport en nutriments favoriseront l'absorption du méthane par les sols arctiques, ce qui constituera une rétroaction négative sur le changement climatique mondial, concluent les auteurs dans leur étude. Compte tenu des immenses pertes gazeuses et latérales de carbone associées au dégel du pergélisol et de leurs répercussions climatiques, nous devons en apprendre davantage sur les puits naturels, leur capacité à équilibrer les émissions et leur réponse à l'évolution de l'Arctique.»

À propos de cette étude

L'étude «Arctic soil methane sink increases with drier conditions and higher ecosystem respiration», par Carolina Voigt et ses collègues, a été publiée le 31 août 2023 dans Nature Climate Change. L'étude a été menée par l'Université de Montréal, en collaboration avec l'Université Wilfrid-Laurier et l'Université de Finlande orientale, ainsi qu'avec des scientifiques d'Allemagne, de Finlande, du Canada et des États-Unis. Le financement a été assuré par le projet MUFFIN de l'Académie de Finlande et le projet Changing Arctic Network de la Fondation canadienne pour l'innovation, ainsi que par ArcticNet et les programmes de chaires de recherche du Canada et de subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Le travail sur le terrain a été financé par Metsähallitus et l'Aurora Research Institute.

  • Fumée d'un feu de forêt observée près du site de recherche de Trail Valley Creek en août 2023.

    Fumée d'un incendie de forêt observée près de la station de recherche de Trail Valley Creek en août 2023.

    Crédit : Malcolm Brockett, Université Wilfrid Laurier

Une station de recherche importante menacée par des incendies de forêt

Les incendies de forêt sans précédent qui ont ravagé les Territoires du Nord-Ouest cet été ont également menacé l'une des plus anciennes stations de recherche en Arctique au Canada: Trail Valley Creek, près d'Inuvik, et son dispositif unique de mesure du flux de carbone exploité par l'Université de Montréal.

«Il y a quelques semaines, j'ai été informé qu'un feu de toundra menaçait le lieu», dit Oliver Sonnentag, professeur de géographie à l'UdeM et chercheur principal de l'étude en cours à Trail Valley Creek, publiée aujourd'hui dans Nature Climate Change.

«Le problème était la qualité de l'air: il y avait tellement de fumée dans notre camp que nous avons dû évacuer notre personnel vers Inuvik pendant la nuit et le ramener pendant la journée dès que les conditions s'amélioraient», poursuit le professeur.

Le chercheur et son équipe espéraient éviter le désastre qui, l'année dernière, a frappé un autre lieu de recherche dans la région du Dehcho, dans le sud des Territoires du Nord-Ouest: la station de recherche de Scotty Creek, au sud de Fort Simpson. Dotée d'équipements coûteux, l'installation dirigée par des Autochtones a pratiquement brûlé lorsque les incendies de forêt l'ont atteinte.

«Cette fois-ci, à Trail Valley Creek, nous avons pu retirer en toute sécurité certains instruments non couverts par notre police d'assurance, notamment des outils de télédétection. Tout le matériel portable a été transporté à Inuvik», raconte Oliver Sonnentag.

Les températures ont fini par chuter, les nuits sont devenues plus fraîches, il a commencé à pleuvoir et, bien que les feux continuent de brûler près du camp, ils ont cessé d'avancer. Le professeur Sonnentag a envoyé à Inuvik une petite équipe d'étudiants de troisième cycle, dirigée par son associé de recherche Gabriel Hould Gosselin, afin d'hiverner les instruments de mesure du flux de carbone.

«Le principal défi pour nous est que tous les hélicoptères d'Inuvik ne sont pas disponibles; ils sont réquisitionnés pour combattre les incendies. Mais nous avons pu en obtenir un pour une seule journée afin d'hiverner notre équipement, explique le chercheur. Là-haut, une fois l'hiver venu, la température peut descendre jusqu'à – 40 °C et nous ne pouvons pas laisser des centaines de milliers de dollars d'équipement être détruits par les éléments.»

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