Faut-il simplifier l’accord du participe passé?

Karine Pouliot, Marie-Claude Boivin, Sophie Piron, Mario Désilets et Joël Thibeault

Karine Pouliot, Marie-Claude Boivin, Sophie Piron, Mario Désilets et Joël Thibeault

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

En 5 secondes

Devant une salle remplie, une table ronde s’est tenue à la Faculté des sciences de l’éducation sur la réforme du participe passé. Un sujet qui ne fait pas entièrement consensus.

Écririez-vous «Elles se sont rendues compte de leurs erreurs» ou bien «Elles se sont rendu compte de leurs erreurs»? Ou encore «Les incendies qu’il y a eu cet été» ou «Les incendies qu’il y a eus cet été»? Pour simplifier l’accord du participe passé, le Conseil international de la langue française a proposé une réforme en 2014 qui a été appuyée en 2016 par la Fédération internationale des professeurs de français. Une réforme qui fait débat aujourd’hui au sein de la francophonie et qui déchaîne les passions. Ainsi, c’est devant une salle comble qu’une table ronde sur la portée de cette réforme s’est tenue le 27 septembre à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.  

Organisée par Continuum, le service de formation continue de la faculté, elle réunissait Marie-Claude Boivin, professeure en didactique du français, directrice du Centre de formation initiale des maîtres (CFIM) et vice-doyenne associée à la langue française à la Faculté des sciences de l’éducation; Mario Désilets, chargé de cours à la faculté; Joël Thibeault, professeur agrégé à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa; et Sophie Piron, professeure au Département de linguistique de l’Université du Québec à Montréal.  

La discussion a été animée par Karine Pouliot, coordonnatrice des mesures de soutien en français au CFIM, et présentée par Pascale Lefrançois, professeure au Département de didactique de l’UdeM et vice-rectrice aux affaires étudiantes et aux études, et Annie Desnoyers, gestionnaire de projet en francisation à la Faculté des sciences de l’éducation.  

Pourquoi simplifier cette règle

À l’école primaire, on apprend que le participe passé s’accorde lorsqu’il est employé avec l’auxiliaire être et qu’il ne s’accorde pas avec l’auxiliaire avoir. C’est ensuite que les choses se compliquent! «Après, il y a une quarantaine d’exceptions qu’on pourrait regrouper sous 12 règles plus générales», a dit Mario Désilets. Des règles peu connues ou vite oubliées des élèves, mais également de la grande majorité de la population, voire des journalistes… «Il n’y a que deux catégories de professionnels qui les maîtrisent parce qu’ils les utilisent: les professeurs de français et les réviseurs linguistiques!» a-t-il poursuivi.  

Des règles complexes qui, dans les textes, ne représentent que huit pour cent des cas… et qui nécessitent de très nombreuses heures d’enseignement. Dans la salle, plusieurs professeurs et professeures de français s’accordaient pour trouver que le temps d’enseignement pourrait être consacré à d’autres aspects du français plus essentiels comme la reconnaissance du sujet dans une phrase. 

La réforme ne propose que deux cas de figure très simples. Avec l’auxiliaire avoir, le participe passé ne s’accorderait jamais. Avec l’auxiliaire être, le participe passé s’accorderait toujours avec le sujet, même dans les formes pronominales. Avec cette réforme, on pourrait ainsi écrire «Les pommes que j’ai mangé» et «Elle s’était imaginée vivre un conte de fées». 

Une règle qui n’est jamais allée de soi

«Clément Marot a ramené deux choses d'Italie: la vérole et l'accord du participe passé… Je pense que c'est le deuxième qui a fait le plus de ravages!» aurait dit un jour Voltaire. C’est au poète officiel de la cour de François Ier qu’on doit cette règle complexe. Une règle qui n’a par conséquent rien de naturel et qui est aujourd’hui simplifiée en Italie. Car oui, le propre d’une langue vivante est son évolution! Sophie Piron a ainsi rappelé que le mot berbis d’hier est devenu brebis, «les fautes d’hier se transforment et passent dans l’usage jusqu’à être communément acceptées». 

Avant que la règle de l’accord du participe passé soit fixée par Vaugelas en 1647 au sein de l’Académie française, elle était loin de faire l’unanimité chez les grammairiens. Plusieurs l’auraient codifiée différemment. En effet, le français n’est pas une langue où les accords se font en fonction de la place des mots dans la phrase. Les adjectifs s’accordent en genre et en nombre peu importe la place qu’ils occupent. On écrira pareillement «Cette intéressante réforme» ou «Cette réforme intéressante».

Il n’est donc pas surprenant de constater que les auteurs eux-mêmes ne suivaient pas toujours cette règle. On pense par exemple à Ronsard, qui accordait le participe passé avec avoir en écrivant «Mignonne, allons voir si la rose / Qui ce matin avait déclose». On peut aussi songer à Molière, Racine, Corneille…  

En outre, la prononciation évolue au fil du temps et, autrefois, la dernière syllabe était plus appuyée lorsqu’on prononçait un mot. Ainsi, l’accord du participe passé pouvait s’entendre à l’oral. Mais cette prononciation s’est effacée dans les classes populaires à Paris, puis dans le reste de la France. Le lien entre la prononciation du participe passé et la façon dont il était écrit s’est alors perdu. Le décalage pour le retrouver s’est avéré criant. 

Réformer le participe passé est une question de longue date, qui s’est reposée au début des années 1900 en France. Plusieurs arrêtés ministériels ont proposé des changements en vain. 

Des propositions qui heurteraient nos oreilles?

Certaines règles grammaticales sont intériorisées. Marie-Claude Boivin craint qu’une réforme de l’accord du participe passé heurte nos oreilles, notamment pour les verbes pronominaux. Ne serait-il pas étrange d’entendre «Elle s’est permise un deuxième dessert»? 

Si la réforme passe, les deux options seraient envisageables: une forme simplifiée qui serait utilisée par le plus grand nombre et une forme avec des accords plus complexes qui serait employée dans le registre soutenu.  

Et dernier point soulevé par la doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM, Ahlem Ammar, pour qui le français n’est pas la langue maternelle: «En apprenant une langue, on acquiert des capacités analytiques. Posséder ces capacités métalinguistiques n’est-il pas nécessaire? Les aura-t-on si l’on réforme l’accord du participe passé dès le primaire? Je sors de cette très riche rencontre avec encore plus de questions que de réponses!» Un débat qui fera couler beaucoup d’encre encore.

  • Karine Pouliot, coordonnatrice des mesures de soutien en français au Centre de formation initiale des maitres (CIFM) de l’Université de Montréal et Marie-Claude Boivin, professeure en didactique du français, directrice du CIFM et vice-doyenne associée à la langue française à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal

    Karine Pouliot, coordonnatrice des mesures de soutien en français au Centre de formation initiale des maîtres (CFIM) de l’Université de Montréal, et Marie-Claude Boivin, professeure en didactique du français, directrice du CFIM et vice-doyenne associée à la langue française à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • La doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation, Alhem Ammar

    La doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation, Ahlem Ammar

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

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