Comment les vers marins s’adaptent-ils aux conditions extrêmes des profondeurs?

Maéva Perez a élucidé de quelle façon les vers marins parviennent génétiquement à s'adapter aux conditions extrêmes des profondeurs.

Maéva Perez a élucidé de quelle façon les vers marins parviennent génétiquement à s'adapter aux conditions extrêmes des profondeurs.

Crédit : Courtoisie

En 5 secondes

Le séquençage de l’ADN de vers marins permet d’expliquer comment ils s’adaptent pour vivre à quelque 2500 m sous l’eau, subissant des pressions et des changements de température extrêmes.

Maéva Perez est scientifiquement amoureuse des vers marins. Sa première «rencontre» avec ces invertébrés à sang froid remonte à ses études de maîtrise en sciences biologiques à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique. Son mémoire portait sur la symbiose entre une espèce de ver marin et les bactéries environnantes au fond de l’océan Pacifique, laquelle contribue à l’adaptation du ver dans un écosystème peu hospitalier à première vue. 

Cette histoire d’amour s’est poursuivie à l’Université de Montréal, où Maéva Perez vient de terminer son doctorat dans le laboratoire du professeur Bernard Angers, avec qui elle avait déjà effectué un stage au Département de sciences biologiques. Avant de sceller son union avec cette famille de vers annélides (ou à anneaux – en vue du mariage!), elle a voulu en savoir davantage sur leur génétique…

Une capacité d’adaptation hors du commun

Maeva Perez

Maéva Perez

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

C’est que les vers annélides des profondeurs s’avèrent irrésistibles d’un point de vue scientifique: vivant dans la noirceur absolue aux abords de cheminées hydrothermales situées à quelque 2500 m sous l’eau, ils subissent une pression 300 fois supérieure à celle qui prévaut à la surface, en plus d’être soumis à des variations de température oscillant entre 60 et 2 °C.  

Leur présence a été découverte au début du 20e siècle, au cours d’une expédition de grattage des profondeurs, mais ce n’est qu’en 1977 qu’on les a vus pour la première fois dans la chaîne de montagnes sous-marine de l’est du Pacifique, où l’eau – chauffée dans le sous-sol par le magma – jaillit des cheminées thermales à une température de 300 °C.  

«Ces vers ont un rôle écologique très important dans les écosystèmes qu’ils occupent, car ils créent de nouveaux habitats et permettent à plein d’autres espèces de s’installer, souligne Maéva Perez. Les écosystèmes marins des profondeurs sont aujourd’hui menacés par les intérêts miniers et il devient donc urgent de mieux comprendre leur écologie, leur évolution et leur capacité de résilience face aux activités humaines.»

Le rôle de l’épigénétique dans l’adaptabilité des espèces

Outre l’adaptation des vers par symbiose avec des bactéries qu’elle a beaucoup étudiée, Maéva Perez explore désormais le rôle de l’épigénétique dans la capacité d’adaptation des vers marins. 

«Le rôle de l’épigénétique dans l’évolution et la capacité de résilience des espèces est un domaine de recherche en plein essor, précise la diplômée de l'UdeM. L’épigénétique s’intéresse à l’ensemble des processus qui interviennent dans l’expression ou la non-expression des gènes.» 

«Si l’on imagine que le génome est un livre contenant toutes les instructions pour créer un être vivant, l’épigénétique est le programme qui dicte quelles parties du livre doivent être utilisées et à quels moments», illustre-t-elle. 

Et l’un des mécanismes de l’épigénétique est la méthylation de l’ADN. 

«La méthylation – qui est une modification chimique de certaines des bases azotées de l’ADN – est une forme de contrôle épigénétique qui est couramment étudiée chez les vertébrés, ce qui n’est pas le cas pour les invertébrés et encore moins pour les vers annélides, ajoute Maéva Perez. La méthylation est un mécanisme d’acclimatation qui permet aux organismes vivant dans des habitats aux conditions imprévisibles et variables d’être plus résilients aux changements environnementaux.»  

Survenant surtout dans les régions régulatrices des gènes, la méthylation empêche ceux-ci de s’exprimer.

Trois espèces de vers marins à l’étude

Deux des trois espèces de vers marins étudiés, vivant à proximité d'une source thermale à quelque 2500 m de profondeur.

Crédit : Courtoisie

Dans ses recherches, Maéva Perez a examiné trois espèces de vers présents dans les grands fonds marins, soit Paraescarpia echinospica, Ridgeia piscesae et Paralvinella palmiformis.  

Les spécimens ont été repêchés par des ingénieurs qui, durant une expédition en haute mer, pilotaient à distance un robot rattaché au bateau de recherche par un câble long de plusieurs kilomètres. À l’aide d’un bras muni d’une pince, le robot a capturé les invertébrés, dont la taille varie de 10 à 30 cm – certains atteignant jusqu’à 1,5 m. 

Grâce à une nouvelle technologie qui fait appel à l’intelligence artificielle, l’ADN et les marques de méthylation qui y sont associées peuvent être séquencés en même temps.  

«Détecter la méthylation requiert habituellement un traitement chimique de l’ADN qui est coûteux et compliqué, mentionne-t-elle. Nous avons démontré que les technologies de séquençage de troisième génération, qui sont toujours utilisées dans les projets de séquençage de génomes, donnent également des informations très précises sur l’état épigénétique de l’ADN.»

Une méthylation différente de celle des vertébrés

La méthylation a deux fonctions parallèles: rendre silencieuse l’expression du gène et stabiliser le rendement. Dans ce dernier cas, les enzymes qui permettent de transformer l’ADN en ARN se trompent parfois et produisent un ARN incomplet. Les cellules sont alors en mesure de reconnaître cet ARN incomplet et de l’éliminer, ce qui entraîne toutefois une perte d’énergie. 

«Or, chez les vers marins étudiés, la méthylation s’effectue plus souvent dans le corps du gène, contrairement à ce qui se produit chez les vertébrés, où la méthylation s’opère dans les régions de contrôle de l’ADN, explique Maéva Perez. Cela semble donc favoriser l’expression des gènes plutôt que leur répression.» 

Ainsi, lorsque la pression hydrostatique augmente sur ces vers, elle a pour effet de changer la forme des protéines et de les rendre moins efficaces. Mais le profil de méthylation des trois espèces d’annélides indique que les fonctions associées à la réparation ou à l’élimination des protéines malformées semblent être spécifiquement ciblées pour une régulation à la hausse.  

«Cela laisse supposer que la régulation épigénétique par la méthylation de l’ADN pourrait être un mécanisme adaptatif qui sert à contrebalancer les effets de la pression hydrostatique au fond de l’océan», poursuit-elle.

Des écosystèmes à étudier et à préserver

Pour Maéva Perez, les sources hydrothermales et les suintements d’hydrocarbures qu’on trouve dans les grands fonds marins constituent des écosystèmes de choix pour étudier les rôles écologiques et évolutifs de la méthylation de l'ADN, puisque les conditions environnementales y sont très variables dans le temps et l’espace. 

Dans son postdoctorat qu’elle vient d’amorcer à Hong Kong, elle entend continuer d’étudier la méthylation de l’ADN d’autres espèces de vers marins et se pencher sur leur phylogénie, c’est-à-dire l’étude de leur évolution et de leurs liens de parenté. 

«On ne sait pas encore comment ces vers se sont retrouvés au fond des océans, mais on pense qu’ils viennent de la surface et qu’ils ont colonisé les profondeurs il y a plusieurs millions d’années, conclut-elle. Leur phylogénie n’est pas encore résolue et ce sera ma mission, en y associant des éléments de paléo-océanographie, car les écosystèmes dans lesquels ils vivent sont reliés à nous!»

Pour le meilleur et non pour le pire...

L’étude complète de Maéva Perez a été publiée en août dans la revue Molecular Biology and Evolution sous le titre «Third-Generation Sequencing Reveals the Adaptive Role of the Epigenome in Three Deep-Sea Polychaetes».

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