Évasion fiscale dans la rénovation au Québec: les consommateurs face à leurs choix

Qu’est-ce qui pousse vraiment les Québécois à accepter de ne pas payer les taxes lors de travaux de rénovation ou, inversement, à respecter la loi? 

Qu’est-ce qui pousse vraiment les Québécois à accepter de ne pas payer les taxes lors de travaux de rénovation ou, inversement, à respecter la loi? 

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Mylène Mailhot a exploré les mécanismes décisionnels complexes de l’évasion fiscale en rénovation résidentielle dans son projet de recherche présenté au 92e Congrès de l’Acfas.

Le secteur de la rénovation résidentielle au Québec est un terrain fertile pour l’évasion fiscale: les offres alléchantes de travaux réalisés au noir – ou sans payer de taxes – placent souvent les consommateurs dans une zone grise où la légalité côtoie la tentation. 

Mais qu’est-ce qui pousse vraiment les Québécois à accepter de ne pas payer les taxes lors de travaux de rénovation ou, inversement, à respecter la loi?  

La doctorante Mylène Mailhot, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, a exploré ces mécanismes décisionnels complexes dans son projet de recherche dont elle a dévoilé les principaux résultats à l’occasion du 92e Congrès de l’Acfas.

Décisions «à chaud» ou «à froid»? Deux systèmes en jeu qui se côtoient

Mylène Mailhot

Mylène Mailhot

Crédit : Courtoisie

Afin de comprendre pourquoi certains consommateurs s’engagent dans une conduite d’évasion fiscale, Mylène Mailhot s’est inspirée des travaux en psychologie cognitive.  

Son hypothèse? Les décisions ne sont pas uniquement rationnelles, et l’analyse des données tirées d’entretiens de groupe avec 23 consommateurs ayant sollicité des entrepreneurs montre que deux systèmes coexistent et que leur activation dépend de multiples facteurs. 

«On oscille entre deux systèmes: un intuitif et un autre plus réfléchi, plus calculé», dit-elle.   

Par exemple, les propriétaires de condominiums ont tendance à privilégier une approche «à froid». Pourquoi? Les contraintes légales des syndicats de copropriété, qui exigent factures et autorisations, les poussent à réfléchir avant d’accepter des offres de travaux sans taxes. À l’inverse, les propriétaires de maisons unifamiliales agissent plus souvent «à chaud», semblant prêts à contourner les règles fiscales et à ne pas demander d’autres soumissions.   

Mais ce n’est pas tout. L’étude, réalisée en collaboration avec des chercheurs et chercheuses de l’Université de Sherbrooke et de l’Université de Montréal, révèle que, bien plus que l’appât du gain, ce sont des facteurs émotionnels, sociaux et contextuels qui influencent ces choix. 

«L’urgence des travaux pousse les consommateurs à prendre des décisions intuitives, tandis que des sentiments comme l’équité sociale peuvent justifier le non-paiement des taxes, illustre Mylène Mailhot. Certains se disent que les taxes sont trop élevées ou que le système est injuste.»

Expériences passées, type d’entrepreneur… des facteurs déterminants

Si les émotions influencent le choix d’éviter ou non de payer des taxes lorsqu’on fait faire des rénovations, l’histoire personnelle et le contexte jouent également un rôle majeur.  

La doctorante a ainsi mis en lumière quatre facteurs clés qui pèsent dans la balance: le type de propriété, les expériences passées, le profil de l’entrepreneur et la nature des travaux.   

Les expériences passées des donneurs d’ouvrage sont révélatrices. «Ceux qui ont déjà évité de payer des taxes et pour qui l’expérience a été positive sont plus enclins à répéter le comportement, explique-t-elle. Ils perçoivent le risque comme acceptable.» Inversement, les consommateurs sans expérience ou ayant vécu des situations négatives – comme des travaux mal exécutés – se tournent vers des entrepreneurs respectueux de la loi.   

À cet égard, le profil de l’entrepreneur est aussi pris en considération. Si les consommateurs soupçonnent un réseau de travail au noir, ils activent leur système décisionnel «à froid» et cherchent des solutions légales. Mais lorsqu’il s’agit d’un ami, d’un parent ou d’une connaissance, la dynamique change. «La transaction est perçue comme un échange de services et non comme de l’évasion fiscale», souligne la chercheuse. 

Enfin, la nature des travaux entre en ligne de compte au moment de faire un choix. Pour des réparations urgentes, les consommateurs agissent souvent «à chaud» et acceptent de ne pas payer les taxes. En revanche, pour des travaux complexes nécessitant une expertise – dont l’électricité ou la plomberie –, ils ont besoin de factures, notamment pour des remboursements d’assurance, et optent pour la légalité.

La prévention et la sensibilisation comme cibles de solution

Les résultats de cette étude ouvrent, selon Mylène Mailhot, la voie à des solutions concrètes pour lutter contre l’évasion fiscale dans le secteur de la rénovation. Elle propose entre autres un encadrement plus rigoureux des travaux effectués dans les maisons unifamiliales, où les contrôles sont moins stricts que dans les condominiums. 

Et au-delà des mesures légales, la sensibilisation pourrait s’avérer efficace. «Il faut miser sur le bien commun et la responsabilité sociale, indique la chercheuse. Des campagnes de prévention pourraient cibler les normes sociales en rappelant que l’évasion fiscale prive la collectivité de ressources essentielles.» 

Selon elle, l’évasion fiscale dans la rénovation résidentielle n’est pas qu’une question d’argent.  

«C’est un phénomène multifactoriel, où les émotions, les expériences passées et les contextes sociaux jouent un rôle central, conclut Mylène Mailhot. Décortiquer ces mécanismes permet de mieux comprendre les comportements des consommateurs afin d’aller au-delà de la seule répression pour agir sur les perceptions, les normes et les incitations et, ultimement, lutter plus efficacement contre ce fléau.»  

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