QUATRE SAISONS DANS UN JARDIN DE DÉPOLLUTION
Une équipe de chercheurs en biologie végétale travaille à la mise au point d’un procédé naturel de décontamination des sols faisant appel aux meilleurs bioréacteurs qui soient: les plantes. Notre équipe l’a suivie pendant quatre saisons, à partir de la plantation printanière jusqu’à l’analyse en laboratoire des matières végétales, l’hiver suivant.
LA PRÉPARATION DU TERRAIN
Le sol est encore gelé lorsque l’équipe de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) de l’Université de Montréal dépose ses pelles, bêches, râteaux et masses aux abords d’un terrain vague à l’angle de la 3e Avenue et de la rue Ontario Est, dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. Nous sommes au début avril. Le lieu où s’affairent les botanistes est contaminé par l’industrie pétrochimique toujours présente dans les environs, comme en témoignent les immenses réservoirs de pétrole visibles à l’horizon. C’est ici qu’on sèmera et transplantera des dizaines de milliers de propagules de végétaux afin qu’ils accomplissent une mission bien spéciale: décontaminer le sol. On appelle ce procédé «phytoremédiation», du grec phyton («plante») et du latin remedium («remède»). C’est, étymologiquement, la plante qui soigne le sol.
En vertu d’une entente conclue avec la Ville de Montréal en 2015 et financée à hauteur de 780 000 $, l’Université de Montréal a carte blanche pour mener jusqu’en 2020 des expériences à quatre endroits présentant différents profils de contamination. «Notre objectif est de trouver les meilleures combinaisons possible entre les espèces végétales, les techniques de plantation et l’entretien des cultivars pour documenter une méthode simple de décontamination mettant à profit les forces de la nature», explique Michel Labrecque au cours d’une entrevue sur place.
Le projet a une dimension citoyenne, puisque les résidants du quartier ont été informés de l’évolution des travaux à toutes les étapes. «Certains terrains étaient devenus des dépotoirs à ciel ouvert. Nous avons donc accueilli ce projet à bras ouverts», mentionne la mairesse de l’arrondissement, Chantal Rouleau.
L’homme qui plantait des arbres
Comme dans la nouvelle de Jean Giono, les plantes peuvent reconquérir les terres les plus arides. Michel Labrecque explique que, sur un terrain pollué, leurs racines absorbent les contaminants industriels. Après quelques années de ponction, le sol pourrait retrouver son état naturel.
LA PLANTATION
Diverses techniques de plantation et plusieurs variétés de cultivars sont expérimentées par les chercheurs. Dans certains secteurs, l’humus est si compacté qu’il faut percer le sol à coups de masse. Les racines se fraient malgré tout un chemin.
Saupoudrer des mycorhizes
Neuf plantes sur 10 comptent sur des champignons invisibles pour accélérer leur croissance: les mycorhizes. Pour les botanistes de l’Université de Montréal, ce sont des partenaires indispensables. On profite de l’expérience pour tester différentes associations. Les chercheurs saupoudrent ici des substrats mycorhiziens au moment d’enfoncer les boutures dans le sol.
ENTRETIEN DU TERRAIN
«En plus de l’aspect scientifique, la participation citoyenne au projet de recherche m’apparaît particulièrement intéressante», déclarait Clarisse Liné, de l’Université de Toulouse. Mme Liné était à Montréal à l’occasion de la 14e Conférence internationale sur les phytotechnologies, tenue du 25 au 29 septembre 2017. Une centaine de congressistes avaient répondu à l’invitation des organisateurs de se rendre sur quatre terrains où les plantes ont été utilisées dans divers projets de décontamination des eaux et des sols, dont l’installation de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles.
Tout l’été, des spécialistes en géographie, microbiologie, mycologie et botanique ont été mis à contribution. Mais on a aussi fait appel à une architecte de paysage diplômée de l’UdeM, Myriam Lapierre, qui a orchestré l’agencement des divers végétaux employés. «Plutôt que de planter les arbres en rangs linéaires, elle a conçu un design complexe qui a transformé le lieu en un véritable jardin tout en respectant les exigences d’un bon design expérimental. Ça a beaucoup contribué à l’acceptabilité sociale du projet», commente Michel Labrecque.
«Nous ne venions jamais dans ce lieu à moitié abandonné. Avec les aménagements, c’est devenu un espace vert où l’on aime venir marcher», dit Francine Legault, qui a élevé ses deux enfants dans cet arrondissement, où elle vit depuis 40 ans.
La mairesse de l’arrondissement, Chantal Rouleau, a félicité les chercheurs pour leur volonté d’intégration: «Je suis ravie de la collaboration avec les chercheurs de l’Université de Montréal, qui ont transformé ce terrain aride et gris en un espace vert tout en contribuant à l’avancement des connaissances.»
Quand le roseau s’invite
Les terrains expérimentaux ne sont pas à l’abri des plantes exotiques envahissantes. Le phragmite (Phragmites australis), qu’on appelle familièrement «roseau commun», s’est imposé dans les milieux humides où l’on testait les capacités dépolluantes de plusieurs espèces végétales. On a dû déployer beaucoup d’efforts pour contenir l’invasion du phragmite, qui aurait possiblement colonisé tout l’espace disponible.
PRÉLÈVEMENTS ET MESURES
Pendant tout l’été, Cédric Frenette Dussault a coordonné l’équipe comptant jusqu’à sept personnes à temps plein qui entretenaient les plantations et notaient la croissance des végétaux. Au terme de la période végétative, les chercheurs ont récolté les précieuses tiges et leurs feuilles. «Notre plus grande surprise, c’est que nos arbres ont poussé dans un sol pauvre jusqu’à une hauteur d’un mètre environ dès la première année; nous avons bon espoir d’obtenir des résultats intéressants en matière de décontamination», confie le postdoctorant.
À la suite d’analyses, les chercheurs pourront déterminer lesquelles des plantes ou des combinaisons de plantes s’avèrent les plus efficaces pour décontaminer les sols. «On s’attend à voir apparaître des spécialistes, soit des génotypes plus doués pour tel ou tel métal lourd – plomb, cuivre, zinc –, alors que d’autres montreront leurs forces dans la dépollution organique, soit l’élimination de dérivés de produits pétroliers.»
Une surprise dans la terre!
Au début de l’été, les chercheurs ont enfoncé une bûche dans le sol pour tester sa capacité à s’enraciner. À la fin de la saison estivale, trois mois plus tard, ils l’ont exhumée et ont constaté que plusieurs racines avaient réussi à croître. «La capacité d’adaptation des végétaux est tout à fait exceptionnelle, mentionne Michel Labrecque. Nous avons même remarqué que, lorsque la plante est fortement stressée, elle produit des molécules impossibles à observer autrement. Nous cherchons des moyens de les recueillir; qui sait ce qu’elles pourraient nous apprendre?»
RÉSULTATS
Nous sommes en plein milieu de l’hiver, mais le climat n’affecte pas les chercheurs, qui manipulent en tout confort les matières végétales recueillies durant la précédente saison d’expérimentation. Dans le laboratoire du Centre sur la biodiversité, annexé au Jardin botanique de Montréal, Cédric Frenette Dussault retire d’un support une éprouvette remplie au quart d’un liquide jaunâtre. Cette solution laisse voir, après séchage, broyage et trempage dans un bain d’acide, le substrat provenant de divers cultivars de saules et de peupliers recueillis sur le terrain expérimental. Après son analyse par spectrométrie de masse, il révélera les qualités antipollution de ces biofiltreurs naturels que sont les végétaux. À l’aide de leurs racines, qui agissent comme des pailles dans cette mixture de contaminants, les variétés de saules et peupliers ainsi que les autres espèces végétales utilisées sauront aspirer les polluants et épurer les sols.
L’équipe s’approprie depuis 2016 un nouvel hectare sur un terrain accordé par la Ville de Montréal aux chercheurs de l’IRBV. À terme, le projet permettra l’enracinement de végétaux sur quatre hectares contaminés. «Nous bâtissons sur les succès d’une année pour mieux déterminer l’approche de l’année suivante», indique Michel Labrecque.
La phytoremédiation demeurera une solution de décontamination à long terme (les végétaux sont à l’œuvre de 5 à 10 ans au moins), mais pourrait être la voie de l’avenir et à faible coût pour traiter les milliers de terrains contaminés du pays.
Une partie de l'équipe du banc d'essai en phytoremédiation de l'IRBV.
De gauche à droite: Michel Labrecque, botaniste chercheur; Cédric Frenette Dussault, chercheur postdoctoral; Patrick Benoist, gestionnaire de projet; Frédéric Pitre, botaniste chercheur; et Esther Lapierre-Archambault, étudiante-chercheuse à la maîtrise.
Ne figurent pas sur la photo: Yves Roy et Hafssa Kadri, techniciens.