Le travail, c’est la santé?
- Revue Les diplômés
Le 7 décembre 2017
- Martine Letarte
Stressant, exigeant et essoufflant, le travail? Possible…
L’adage populaire le dit, les études sur le sujet aussi: le travail, parce qu’il contribue au bien-être des individus, joue un rôle important dans la santé des populations. «Le travail est une source importante de valorisation et de motivation, en plus d’apporter un sentiment de contribution à la société et d’être une source de sens pour les personnes», déclare Alain Marchand, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et directeur de l’Équipe de recherche sur le travail et la santé mentale. Un rapport publié en 2012 par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec révèle d’ailleurs que la détresse psychologique est davantage l’affaire des gens sans emploi que des salariés. Mais près d’un salarié sur quatre vivrait tout de même de la détresse psychologique! Une situation qui inquiète les organisations… et qui coûte une fortune à la société. Pour mieux mesurer l’ampleur du phénomène, le chercheur a récemment mené, avec ses collègues de l’UdeM Pierre Durand, Victor Haines, Sonia Lupien, Andrée Demers et Vincent Rousseau, auprès de plus de 2000 travailleurs issus de 63 milieux de travail, l’étude SALVEO sur la santé mentale en entreprise. Verdict? Près de 24 % des travailleurs souffriraient de détresse psychologique, 12 % d’épuisement émotionnel, 6 % présenteraient des symptômes de dépression et 4 % des signes d’épuisement professionnel.
Une maladie sexiste
La détresse psychologique ne frappe toutefois pas les hommes et les femmes de manière égale. Déjà, dans les années 70, une étude indiquait que les femmes étaient plus sujettes aux problèmes de santé mentale que les hommes, notamment parce qu’elles étaient confinées dans le rôle peu reconnu et souvent frustrant de femme au foyer. Les hommes pouvaient être valorisés par leur travail à l’extérieur de la maison.
Près de 45 ans plus tard, ces inégalités de sexe subsistent. D’après l’étude SALVEO, plus de 26 % des travailleuses disent éprouver de la détresse psychologique. Chez les travailleurs, la proportion tourne autour de 21,5 %.
Cet écart n’est pas sans faire réagir Jaunathan Bilodeau, qui vient de terminer sa thèse de doctorat en sociologie sur le sujet à l’Université de Montréal. Il explique ces inégalités par le fait que les femmes seraient d’abord davantage soumises aux contraintes liées à la famille et compteraient moins sur les ressources pour les aider que les hommes. «Le travail interférerait donc plus souvent avec leurs responsabilités familiales, ce qui contribuerait à une plus grande détresse psychologique», mentionne-t-il. De plus, lorsque des problèmes touchent les enfants, les mères seraient plus vulnérables que les pères si ces problèmes débordent sur le travail. Plus bas dans la hiérarchie, les femmes auraient aussi moins de choix que les hommes dans la manière d’exécuter leur travail. Enfin, le jeune chercheur souligne que la monoparentalité, davantage associée aux femmes qu’aux hommes, est un autre facteur qui peut augmenter la détresse psychologique.
Mais la situation n’est pas plus rose du côté des hommes. «Lorsque la famille empiète sur le travail et que quelque chose ne va pas bien, les femmes répondent d’ordinaire par la détresse psychologique, alors que les hommes vont plutôt tomber dans la consommation d’alcool», note M. Bilodeau.
Lorsque le bien-être se dégrade
Loin d’être toujours, ou uniquement, liée à l’environnement de travail, la détérioration de la santé mentale des travailleurs peut tout de même être alimentée par certains facteurs au sein de l’entreprise. M. Marchand cite en exemple «le peu d’autonomie au travail, une faible utilisation des compétences, une charge de travail élevée et un horaire imprévisible. Le manque de soutien de ses collègues et de son superviseur ainsi qu’une culture organisationnelle axée sur le contrôle sont des facteurs de stress qui peuvent amener une dégradation de la santé mentale», relève-t-il.
Pour Sonia Lupien, professeure au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, ces situations renvoient à quatre grandes catégories de stresseurs: le manque de contrôle, l’imprévisibilité, la nouveauté et la menace à l’égo. Lorsque le cerveau détecte l’une de ces menaces, il active le système endocrinien: celui-ci stimule la production d’hormones de stress qui permettent au corps d’avoir l’énergie nécessaire pour faire face à cette menace.
Cependant, chacun répond différemment aux agents stressants. «Certaines personnes réagissent davantage à la nouveauté et à l’imprévisibilité, alors que d’autres seront plus sensibles au manque de contrôle ou à la menace à l’égo, fait observer la triple diplômée de l’UdeM (1987, 1989, 1993), auteure du livre Par amour du stress. Il y aura toujours des facteurs de stress, mais l’important, c’est de reconnaître quand on est stressé, de comprendre pourquoi et d’apprendre à mieux gérer son stress. Les gens veulent se débarrasser du stress, mais sans stress, c’est la mort.»
Du diagnostic à l’intervention
Attention, le stress ne doit pas devenir un mode de vie! Parce que si le corps demeure de façon prolongée en situation de contrer une menace, il risque de s’épuiser. D’où l’importance pour les employeurs d’intervenir pour éviter que leurs employés souffrent de stress chronique.
Sonia Lupien leur suggère d’établir un organigramme du stress au sein de leur entreprise en questionnant de façon confidentielle les employés. Pour savoir si leur travail les stresse, s’ils estiment qu’il y a beaucoup d’éléments imprévisibles et nouveaux, s’ils sentent que leur égo est menacé ou encore s’ils ont l’impression d’avoir le contrôle sur leur vie professionnelle.
«Si 80 % des employés d’un service disent sentir que leur égo est menacé au travail, il y a fort à parier qu’un gestionnaire soit dans une dérive autoritaire, remarque-t-elle. Dans une autre unité, le problème peut être plutôt l’imprévisibilité. Il faut ensuite investiguer pour découvrir quelle est la source du problème.»
«Puis il faut accepter les conclusions, dit Alain Marchand, et entreprendre les actions nécessaires pour amener des changements et retrouver des conditions qui favorisent une bonne santé mentale au travail.»
La santé mentale au travail en quelques chiffres
- Les problèmes de santé mentale coûtent plus de 50 milliards de dollars chaque année à l'économie canadienne. C'est l'équivalent de presque 1400 $ par Canadien.
- 47 % des travailleurs canadiens estiment que leur emploi est l'élément le plus stressant de leur quotidien.
- Au cours d'une semaine normale de travail, 500 000 Canadiens s'absentent de leur poste en raison de problèmes de santé psychologique.
Chiffres issus de la Commission de la santé mentale au Canada et d’Emploi et Développement social Canada.