Antonine Maillet, conteuse éternelle
- Revue Les diplômés
Le 9 décembre 2019
- Martin LaSalle
Son dernier ouvrage était à peine publié en mai dernier que, déjà, Antonine Maillet entamait la rédaction d’un nouveau livre. Âgée de 90 ans, l’auteure prolifique n’a pas écrit son dernier mot!
La quarantaine d’œuvres qu’elle a composées depuis la parution de Pointe-aux-Coques, en 1958, sont le fruit de son imaginaire foisonnant, alimenté par les nombreuses lectures et recherches qui ont fait d’Antonine Maillet une érudite spécialiste des grands auteurs de l’Antiquité et du Moyen Âge.
Il est toutefois un trait de caractère qui la définit par-dessus tout, au plus profond de son cœur acadien: la détermination.
Après avoir obtenu un baccalauréat et une maîtrise ès arts du Collège Notre-Dame d’Acadie, Antonine Maillet arrive à Montréal en 1961 pour étudier l’histoire et la littérature à l’Université de Montréal.
Elle y côtoie, entre autres, le futur cinéaste oscarisé Denys Arcand, ainsi que Stéphane Venne, qui deviendra un auteur-compositeur marquant de la chanson québécoise. «C’était l’époque des pionniers, dit-elle avec fierté. L’Université de Montréal m’a ouverte au monde!»
Debout et fière
Antonine Maillet se souvient notamment d’un professeur d’histoire qui s’est moqué de son accent après qu’elle se fut exprimée en classe. «C’était un très bon professeur, mais en bon partisan de l’indépendance, il s’en était pris à ceux des “provinces à morues” qui viennent faire la loi au Québec…»
L’étudiante pose alors un geste «typiquement acadien»: elle se lève et déclare avec aplomb: «Dans la vie, on a deux possibilités: on se cache ou on se défend. On ne peut pas être entre les deux!»
Au-delà de cette anecdote révélatrice de sa nature, Antonine Maillet garde un souvenir impérissable de son passage à l’UdeM, notamment de son professeur de littérature le jésuite Ernest Gagnon. «Il était mon directeur de thèse et il avait une vision très large de la littérature; il connaissait L’épopée de Gilgamesh!», un récit épique de la Mésopotamie faisant partie des œuvres littéraires les plus anciennes de l’humanité.
Sous sa supervision, elle rédige son projet de thèse, intitulé «Rabelais, le poète du géant», qu’elle soutient devant un jury: celui-ci rejette toutefois sa vision de l’auteur de Pantagruel et Gargantua. «Ce premier échec scolaire fut très dur, mais après réflexion, je peux dire que le jury avait raison», indique-t-elle avec philosophie.
Mme Maillet fait alors appel au professeur Luc Lacourcière, de l’Université Laval, qui la convainc de poursuivre son doctorat sous son aile, en conjuguant l’étude de Rabelais avec la tradition orale acadienne.
Pour les besoins de ses travaux de recherche, elle entreprend alors le tour de l’Acadie, où elle interviewe tous les aînés qu’elle rencontre. Elle découvrira que la langue acadienne comporte au moins 500 mots de l’époque de Rabelais, mais surtout elle fera le plein d’histoires qui nourriront ses œuvres futures.
«Toutes les histoires d’Acadie que j’ai racontées découlent de cette démarche de recherche, que j’ai entamée lors de mon passage à l’Université de Montréal et je dois beaucoup à ses professeurs», témoigne Antonine Maillet.
L’Acadie au bout de la plume
Née à Bouctouche, au Nouveau-Brunswick, Antonine Maillet était, de son propre aveu, une enfant turbulente. Dès l’âge de trois ans, elle se sauvait chez Alice, une voisine qui l’accueillait et lui racontait les histoires du Petit Poucet, du Chat botté, du Petit Chaperon rouge…
«Je trouvais la vie plate! Avec les histoires d’Alice, je pouvais mélanger les personnages – et rentrer moi-même dans les contes. Je créais des scénarios à l’infini! s’exclame-t-elle. J’étais encore enfant lorsque j’ai su que je voulais conter des histoires dans la vie.»
C’est au cours de ses études au Collège Notre-Dame d’Acadie que se révèle sa vocation. Éditrice du journal étudiant Bleuettes, elle écrit ses premières pièces de théâtre et son premier roman, Pointe-aux-Coques, dans lequel elle utilise le français acadien. «Lorsque j’ai reçu mon baccalauréat en 1950, nous n’étions que quatre filles parmi toute la cohorte de garçons, relate Mme Maillet. Mère Jeanne de Valois nous a alors dit à toutes les quatre: “L’Acadie n’existera peut-être plus dans 50 ans, mais si elle existe encore, ça va dépendre de vous, les femmes, parce que c’est vous qui assurerez l’éducation en Acadie.”»
Si Antonine Maillet a enseigné les lettres au même collège pendant quatre ans avant de s’en aller à Montréal, c’est certainement par la littérature qu’elle a contribué à la postérité de l’Acadie.
Après ses études à l’UdeM, sa vie sera faite de mouvements. En 1962, elle part à Paris poursuivre ses recherches sur Rabelais, puis elle revient au Nouveau-Brunswick et enseigne à l’Université de Moncton tout en approfondissant l’étude du folklore acadien en vue de l’obtention de son doctorat ès lettres de l’Université Laval en 1969. La même année, elle retourne à Paris, où elle ébauche ce qui deviendra La Sagouine, son œuvre phare.
Revenue à Montréal en 1974, elle devient professeure invitée à l’UdeM, en plus d’enseigner dans une école de théâtre et d’écrire à temps plein. Son retour à l’Université sera toutefois bref: devant le succès de La Sagouine, elle quitte l’enseignement l’année suivante afin de se consacrer exclusivement à l’écriture pour raconter celles et ceux qui ont forgé l’Acadie.
Sa plume lui vaudra de nombreuses récompenses, dont le prix Goncourt en 1979 pour Pélagie-la-Charrette. À ce jour, aucun autre auteur canadien n’a remporté la plus prestigieuse des distinctions littéraires françaises. Et c’est sans compter la trentaine de doctorats honorifiques – dont celui de l’UdeM en 2001 – qu’Antonine Maillet a reçus.
À 90 ans, l’âge n’a plus d’âge
Il y a six ans, Antonine Maillet a quitté sa maison d’Outremont, où elle a vécu 40 ans sur l’avenue qui porte son nom depuis 1979. Un déménagement qui l’a changée. En effet, ses personnages qui occupaient le grenier (attique, en acadien!) ne l’ont pas suivie. Dans sa nouvelle demeure du centre-ville de Montréal, il lui a fallu deux ans avant de se remettre à l’écriture.
«Je me suis créé un nouveau monde. Je me suis rendu compte que je me satisfaisais des personnages que j’avais avant, confie-t-elle. J’ai aussi accepté que l’âge est une richesse, que plus on vit, plus on a d’acquis: à 90 ans, l’âge n’a plus d’âge! Ma vie m’a surtout appris qu’on peut transformer une épreuve ou un échec en victoire; si l’on est compétent, qu’on a du courage et qu’on est tenace, on peut aller jusqu’au bout de ses rêves.»
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«À 90 ans, l’âge n’a plus d’âge! Ma vie m’a surtout appris qu’on peut transformer une épreuve ou un échec en victoire; si l’on est compétent, qu’on a du courage et qu’on est tenace, on peut aller jusqu’au bout de ses rêves», confie la romancière, qui a conservé son coeur d'enfant!
Crédit : Amélie Philibert