La démocratie en a pris pour son rhume

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Le gouvernement prend des décisions à toute vitesse, sans consultation et, souvent, sans transparence. Résultat? La démocratie souffre après un an de pandémie, d’après deux experts de l’UdeM.

L’état d’urgence décrété le 13 mars 2020 pour 10 jours a été maintenu depuis. Il permet au gouvernement de prendre des décisions rapidement pour protéger la santé de la population comme imposer un couvre-feu, fermer des lieux de rassemblement et signer des contrats sans appels d’offres. Or, non seulement les débats sont passés à la trappe, mais les données sur lesquelles sont fondées les décisions sont rarement rendues publiques.

La transparence est pourtant capitale pour la démocratie, aux yeux de Bryn Williams-Jones, bioéthicien, professeur titulaire et directeur par intérim du Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

«Lorsque, dans l’intérêt général de la population, le gouvernement prend des décisions qui viennent contraindre de façon importante les libertés individuelles, il faut qu’il diffuse les données qui pourront convaincre les gens que ces limites à leurs libertés sont justifiées et nécessaires de façon qu’ils adhèrent à ce grand projet collectif de lutte contre la pandémie», mentionne-t-il.

Or, le chercheur constate que, très vite, le gouvernement a décidé de ne pas partager l’information. Un exemple: le port du masque. «Alors qu’on voyait que, dans plusieurs pays, les gens commençaient à le porter, le gouvernement ici a martelé pendant des mois que le masque n’était pas important et qu’il fallait s’en tenir au lavage des mains et à la distanciation physique, illustre-t-il. Mais on a servi ce discours parce qu’on n’avait pas suffisamment de masques N95 et d’équipements de protection individuelle pour les professionnels de la santé et qu’on avait peur que la population s’inquiète en l’apprenant.»

Récemment, plusieurs se sont questionnés sur la cohérence des décisions prises. «Pourquoi maintenir le couvre-feu? demande M. Williams-Jones. Est-il efficace? Pourquoi avoir permis les rassemblements dans les lieux de culte, mais pas au théâtre? Et le cinéma, c’est correct, mais on ne peut pas y manger de maïs soufflé. Peut-être que ces décisions sont justifiées, mais on ne voit jamais les données sur lesquelles elles sont fondées. Cela fait que les gens se font leur propre idée basée sur leur intuition et leur expérience.»

Manque de confiance

Bryn Williams-Jones

Bryn Williams-Jones explique ce refus d’aller vers la transparence par un manque de confiance du gouvernement envers la population. Or, il souligne qu’une logique d’autonomisation du citoyen est beaucoup plus efficace. «Pour qu’il devienne un véritable acteur, il faut avoir confiance en sa capacité à écouter, à comprendre et à agir. Ça a manqué et ça manque encore. L’attitude paternaliste du gouvernement est franchement agaçante et inefficace parce qu’elle suscite le désengagement de la population.»

Le bioéthicien déplore que le gouvernement n’ait pas réuni toutes les forces, y compris citoyennes et universitaires, pour prendre les meilleures décisions possible pour la société. Il est aussi déçu que les erreurs ne soient pas vues comme des occasions d’apprendre.

«Si, quand on constate des erreurs, on cherche les fautifs, les gens vont les cacher et l’on sera incapable de les corriger, indique-t-il. Mais lorsqu’on voit les erreurs comme des occasions d’apprendre et qu’on en cherche les causes, on peut trouver des solutions et s’améliorer. Là encore, pour créer un système apprenant, il faut de la transparence et de la confiance à l’égard de toutes les parties prenantes, que ce soit les cadres, les professionnels, le personnel soignant ou les individus.»

La pandémie étant loin d’être terminée, il est d’avis qu’il est toujours temps de changer de stratégie. «La confiance, c’est le nerf de la guerre en gestion de crise et elle demande de la transparence, affirme-t-il. Bien sûr, certains éléments doivent rester confidentiels pour des questions de sécurité nationale, mais ils devraient être des exceptions.»

Une vision réductrice de la démocratie

Christian Nadeau

Pour Christian Nadeau, professeur de philosophie politique à l’UdeM, la pandémie a mis en lumière certains problèmes, notamment une vision réductrice de la démocratie.

«La démocratie, ce n’est pas qu’avoir le droit de vote, dit-il. La réflexion commune et le débat public sont aussi importants pour arriver à des prises de décision collectives. Or, au moment où il faut prendre des décisions difficiles en ces temps de pandémie, on fait fi de la réflexion commune. C’est la preuve que ce qui compte vraiment, ce sont les décisions du gouvernement.»

En même temps, sur le terrain, des groupes se sont mobilisés même si les mesures sanitaires à respecter rendent leur travail plus ardu. «On l’a vu dans des quartiers, comme à Montréal-Nord, signale M. Nadeau. Sans attendre les autorités, des réseaux de solidarité ont agi pour éviter que la situation devienne hors de contrôle dans des communautés déjà vulnérables, notamment en raison de la promiscuité. Cette mobilisation est extrêmement importante et elle est liée à la santé démocratique. La démocratie vient avec une égalité de droits, mais qui, en réalité, n’est pas toujours présente.»

On pense par exemple au droit au logement ou à la santé. «Le droit à la santé va au-delà de l’accès aux soins, déclare Christian Nadeau. Il comprend l’accès à des espaces verts dans son quartier. Je ne vois pas comment une personne peut exercer son droit de vote si elle n’a pas de logement décent et qu’elle se demande comment elle fera pour manger le lendemain. Il devrait y avoir une mobilisation majeure des différentes sphères de la société pour que nous ne nous retrouvions plus dans une telle situation de vulnérabilité. Il faut cesser de voir la politique comme seulement une affaire de politiciens.»

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