Des démographes expliquent comment naît une population

  • Forum
  • Le 23 avril 2021

  • Mathieu-Robert Sauvé

En 5 secondes

Hubert Charbonneau présente le livre «Naissance d’une population», qu’il a dirigé aux Presses de l’Université de Montréal.

«Les prêtres des XVIIe et XVIIIsiècles n’auraient pas imaginé ce que les actes, qu’ils rédigeaient quotidiennement et consciencieusement, révéleraient deux à trois siècles plus tard», écrit le démographe Hubert Charbonneau, professeur émérite de l’Université de Montréal, dans Naissance d’une population, qui vient de paraître aux Presses de l’Université de Montréal. En effet, si les registres paroissiaux servaient principalement à la mise à jour des sacrements des ouailles, ils deviendront de précieux documents historiques pour les chercheurs. Il faudra attendre plus de deux siècles avant que des démographes en explorent l’immense richesse en créant le Programme de recherche en démographie historique (PRDH). Toujours utile, cette base de données évolutive permet d’améliorer nos connaissances sur de multiples éléments historiques, de l’effet de l’allaitement sur la fécondité à la propension naturelle à donner naissance à des jumeaux.

En fait, c’est la naissance d’une population qui se trouve ainsi consignée dans une base de données qui fait l’envie de chercheurs du monde entier. Avec une équipe d’auteurs, le professeur Charbonneau révise et améliore un classique des sciences sociales paru d’abord en 1987. Il répond à nos questions.

Avec votre ouvrage, les lecteurs assistent carrément à la naissance de la population québécoise. Comment est-ce possible?

Nous avons d’abord rassemblé les actes de baptême, de mariage et de sépulture des 45 plus anciennes paroisses du Québec, qu’on appelait alors la Nouvelle-France. Ces paroisses existaient dès le 17siècle et comptaient environ 15 000 personnes vers 1700. On connaît leurs unions et leurs descendants. À cet arbre généalogique se sont ensuite greffées les innombrables ramifications des familles qui se sont formées par la suite, soit les actes de 600 paroisses avant 1875. Dans aucun autre pays du monde, on ne peut avoir une telle source d’information sur les fondateurs d’une population.

Le PRDH est un des premiers grands centres de recherche en sciences sociales de l’Université de Montréal. Comment a-t-il vu le jour?

C’est l’intérêt manifesté par des généticiens de Baltimore qui est à l’origine de sa création. Ils avaient remarqué que les Canadiens français avaient vécu en quelque sorte comme dans un laboratoire démographique à ciel ouvert et ils savaient que l’Église avait gardé les traces de cette aventure. Mon collègue Jacques Légaré et moi-même, ainsi que Bertrand Desjardins qui se joindra à nous quelques années plus tard, avons proposé de s’approprier cette riche source d’information. Nous croyions que c’était aux Québécois de mener des recherches sur cette population. Nous avons obtenu du financement pour lancer le projet et ce financement s’est poursuivi sans discontinuer depuis.

Fondé en 1967, le PRDH a suivi l’évolution des technologies, en particulier en informatique. Nous avons connu les bonnes vieilles cartes perforées, puis les disquettes et les cédéroms. Aujourd’hui, les informations sur la population québécoise, des origines jusqu’à l’année 1850, sont stockées sur des disques durs. On parle, pour la période antérieure à 1860, de 3,5 millions d’actes que le public peut consulter en ligne.

Qu’avez-vous appris sur la gémellité?

Que parmi les accouchements multiples des pionnières il y avait un tiers de jumelles, un autre tiers formé de deux garçons et un dernier tiers de jumeaux mixtes. Il y avait environ un pour cent de naissances multiples – dont quelques triplets. En dépit des taux de mortalité infantile effroyables, cela nous en apprend sur la fécondité naturelle. Nous avons pu établir un lien entre la durée de l’allaitement au sein et la fécondité. Grâce à des études récentes sur la physiologie du post-partum, on sait que la période d’aménorrhée d’environ six mois attribuée aux pionnières correspond à une durée d’allaitement moyenne de six à neuf mois.

Ce chapitre sur les grossesses multiples est d’ailleurs un ajout à la version originale de Naissance d’une population. J’en profite pour dire que nous avons réuni huit auteurs pour cet ouvrage; mon nom est sur la couverture, mais c’est un travail d’équipe.

À qui s’adresse votre livre?

C’est un livre savant, disons-le. Il s’adresse donc de manière prioritaire à la communauté scientifique. Mais il peut être lu par les personnes qui s’intéressent à la démographie. Vous savez, la généalogie demeure un loisir très populaire au Québec; j’ai été régulièrement invité à présenter le PRDH à des assemblées de membres d’associations de généalogistes amateurs. Notre ouvrage comporte justement en annexe la liste des quelque 3000 pionniers avec, pour chacun, le nombre de descendants avant 1730.

En savoir plus

Hubert Charbonneau (dir.), Naissance d’une population: les Français établis au Canada au XVIIsiècle, Les Presses de l’Université de Montréal, 2020, 376 p., 39,95 $ (version électronique: 27,99 $).

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