Ce que les Inuits savent depuis toujours

Jrène Rahm et Catherine Ego

Jrène Rahm et Catherine Ego

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Jrène Rahm et Catherine Ego présentent le livre «Inuit Qaujimajatuqangit: ce que les Inuits savent depuis toujours».

«Je suis une Autochtone d’ascendance crie. Mon grand-père maîtrisait la langue et participait aux cérémonies. Il possédait la douceur d’un velours tendre par une chaude journée de printemps. Il nous a enseigné bien des choses, à mes frères et à moi. Il nous a surtout appris à savourer l’humour et à prendre soin des gens. Ces apprentissages font désormais partie intégrante de moi, de mon rapport au monde. Ces apprentissages, et bien d’autres avec eux, je veux les transmettre à mes enfants.» Ainsi s’exprime Margo Greenwood dans le livre Inuit Qaujimajatuqangit: ce que les Inuits savent depuis toujours, dirigé par Joe Karetak, Frank Tester, Shirley Tagalik et Jrène Rahm. 

Cet ouvrage récemment traduit en français par Catherine Ego regroupe des témoignages d’aînés de diverses régions du Nunavut dans un esprit de transmission intergénérationnelle. Il permet ainsi de mieux comprendre les pratiques culturelles et les savoirs inuits.  

Jrène Rahm, professeure au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal, et Catherine Ego, chargée de cours en traduction littéraire à l’UdeM, ont répondu à nos questions. 

Comment s’est déroulé ce projet de compilation des savoirs inuits?

Dès le début de ce projet, la question de la transmission de ces histoires et savoirs s’est posée. La parole des Inuits ayant été délibérément cadenassée pendant plus d’une génération à cause des souffrances nées de la colonisation et des déplacements forcés, il était essentiel d’établir une confiance absolue dans le groupe. Ce climat de travail a pu être instauré grâce à l’immense bienveillance et au soutien respectueux de Joe Karetak et Shirley Tagalik, deux auteurs clés du livre. Il a fallu, en effet, prendre tout le temps nécessaire pour favoriser une guérison collective avant de s’aventurer plus loin dans l’expression des vécus et de ce qu’il restait des connaissances approfondies formant l’Inuit Qaujimajatuqangit. C’est alors que le processus de compilation de ces savoirs a pu commencer.  

Pourquoi avoir mis par écrit ces enseignements oraux?

S’ils ne sont pas couchés sur le papier ou correctement consignés d’une manière ou d’une autre, les enseignements oraux peuvent très facilement disparaître. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les aînés ont accepté de partager ainsi leur vécu et leurs connaissances par l’écriture. Ils souhaitaient également éviter la fragmentation de la philosophie de vie holistique de l’Inuit Qaujimajatuqangit et tenaient à raconter directement leurs expériences de vie au lieu qu’elles soient simplement rapportées ou résumées par quelqu’un d’autre.  

Ce projet a pu se concrétiser grâce à l’obtention du prix Inspiration Arctique. Son objectif était de revitaliser le mode de vie inuit afin que les forces intrinsèques de l’Inuit Qaujimajatuqangit apportent la guérison aux personnes et aux communautés qui peuplent actuellement le Nunavut et rétablissent en elles la résilience et l’autonomie indispensables à leur épanouissement. En définitive, cet ouvrage s’impose comme une source précieuse de connaissances pour les universitaires, les chercheurs, les éducateurs et les praticiens. 

Le livre décrit en avant-propos le processus d’émergence et de mise en forme des textes. Leur écriture s’est révélée exigeante, car elle a nécessité des traductions de plusieurs dialectes et formes syllabiques non standardisées. Une fois le sens et l’intention de chaque texte bien établis, il était soumis à une révision visant à contextualiser, préciser et enrichir l’information. Enfin, une rencontre entre les aînés et des allochtones a permis de peaufiner le manuscrit. C’est avec beaucoup d’humilité que nous avons ensuite pris en charge la traduction française, avec l’inestimable appui de Shirley Tagalik et Joe Karetak. Ici encore, nous voulions rendre ces récits et témoignages inuits accessibles au plus grand nombre, particulièrement aux Inuits du Nunavut et aux générations futures.  

Que signifie l’expression «Inuit Qaujimajatuqangit»?

L'Inuit Qaujimajatuqangit désigne les savoirs, savoir-être et savoir-agir inuits dans leur globalité, une vision du monde qui, bien qu’elle puisse diverger d’un groupe à l’autre sur certains points de détail, reste commune à tous les Inuits du monde circumpolaire. Par ailleurs, le terme renvoie à un ensemble de valeurs et de pratiques ainsi qu’à des manières d’être et d’envisager le monde dont l’importance et la pertinence transcendent le temps. Il s’agit donc de lignes directrices définissant une posture éthique, mais aussi la voie à suivre pour réussir dans la vie. L’Inuit Qaujimajatuqangit s’articule autour de quatre grandes lois culturelles, les maligarjuat – des principes qui tracent une éthique de l’être et de l’agir. Ces quatre lois sont: 1. travailler pour le bien commun, sans être motivé par le gain ou l’intérêt personnel; 2. entretenir des relations de respect avec toute personne, toute chose ou tout être croisé en chemin; 3. préserver l’équilibre et l’harmonie; 4. prévoir et planifier. 

Ces principes éthiques sont immuables et s’appliquent à tout le monde; dans la culture inuite, ils ont force de loi et les infractions aux maligarjuat représentent un danger pour tous et toutes. Les différents témoignages et récits reproduits dans le livre comportent des exemples précis de mise en pratique de ces principes. 

 

 

Comment peut-on tirer parti aujourd’hui des enseignements traditionnels inuits?

Loin d’être une vision du monde dépassée ou passéiste, l’Inuit Qaujimajatuqangit conserve toute sa pertinence pour atteindre l’harmonie et vivre dans le respect de tout ce qui nous entoure, vivant ou pas.  

L’Inuit Qaujimajatuqangit nous offre ainsi plusieurs notions clés susceptibles de nous guider dans nos décisions et nos actions, par exemple l’inunnguiniq, que les aînés évoquent abondamment dans le livre; il indique des pistes claires sur l’art inuit d’élever les enfants, un processus qui se poursuit tout au long de la vie.  

De plus, en cette période de grands bouleversements environnementaux, notamment climatiques, à l’heure où l’humanité s’interroge sur sa survie même, l’Inuit Qaujimajatuqangit témoigne d'un mode de vie plus respectueux du vivant, plus conforme au maintien de la vie dans toute sa diversité. 

En procurant des enseignements cruciaux sur la manière de bien vivre, l’Inuit Qaujimajatuqangit trace un trait d’union entre le passé et l’avenir. Individus et organisations peuvent s’en inspirer pour atteindre un meilleur équilibre en s’ouvrant à une vision du monde très différente de nos perspectives habituelles et qui se nourrit à des racines profondes attestant son intemporalité. Peut-être l’UdeM elle-même pourrait-elle s’appuyer sur l’Inuit Qaujimajatuqangit pour repenser ses approches. 

À propos de ce livre

Sous la direction de Joe Karetak, Frank Tester, Shirley Tagalik et Jrène Rahm, Inuit Qaujimajatuqangit: ce que les Inuits savent depuis toujours, Presses de l’Université du Québec, 2024, 324 p. 

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