Briser les tabous liés à la maternité

Caroline Boileau, «Elle m'a dit», 2021

Caroline Boileau, «Elle m'a dit», 2021

En 5 secondes

Pour mettre des mots sur la violence autour de la naissance, le Centre d'exposition de l'UdeM présente «Réappropriations: acte 1», de Heidi Barkun, Caroline Boileau et Kimberley de Jong.

Donner la vie: un des moments les plus merveilleux qui soient dans l’imaginaire collectif. On en viendrait presque à oublier les expériences traumatiques, la violence obstétricale et les accouchements difficiles qui jalonnent parfois le parcours des parents.

Des moments de souffrance, de détresse, d’épuisement intense, de douleur, d’incompréhension qui peuvent être mêlés de joie, d’émerveillement et de bonheur. Pour saisir cette palette d’émotions fluctuantes, la Chaire McConnell en recherche-création sur la réappropriation de la maternité de l’Université de Montréal a fait appel à trois artistes en résidence: Heidi Barkun, Caroline Boileau et Kimberley de Jong. Leurs œuvres médiatiques sont présentées virtuellement jusqu’au 30 juin dans l’exposition Réappropriations: acte 1.

Faire entendre les voix de celles qu’on n’entend pas

«Si t’es pas contente, je vais te faire accoucher maintenant!» Ces paroles d’une extrême violence ont été adressées par une infirmière à Karla à la toute fin de sa grossesse, alors qu’elle voulait savoir pourquoi elle devait passer une troisième échographie si ce n’était pas obligatoire et que sa grossesse se déroulait bien. Culpabilisée, elle s’y est soumise. Elle s’est sentie très seule dans une position d’extrême vulnérabilité, dépossédée du pouvoir de disposer librement de son corps.

Dans l’œuvre (M)other, Kimberley de Jong restitue à Karla sa parole, tout comme celle de Sara, Louis-Elyan, Brianna, Isabelle et Caroline. Elle a demandé à ces danseuses et ce danseur de témoigner de leur histoire personnelle de parentalité et de se mettre littéralement à nu.

Caroline Boileau a également rencontré des femmes pour qu’elles parlent pour une première fois «de l’histoire de leur corps, du désir d’enfant à la grossesse, de l’accouchement à la maternité avec tous les deuils potentiels et présents à chacune de ces étapes». À partir de cette trentaine de témoignages, elle a réalisé Elle m’a dit, une courte vidéo loufoque, déconcertante et par moments terrifiante, en prise de vue image par image. Sur l’une d’elles, on entend «Elle m’a dit “Attachée sur la table, je sentais tout, c’était un cauchemar”».

Heidi Barkun a aussi mené des entretiens. Ayant réalisé qu’il n’existe aucune définition quant à l’abus concernant la procréation médicalement assistée (PMA), elle a redonné la parole à des personnes qui ont suivi un processus de PMA. Son œuvre Témoins s’ouvre sur ce témoignage de Geneviève: «Il faut le dire. En fait, il faut dire ce que ça implique. C’est pas pointer personne, c’est pas rendre coupable personne. C’est-à-dire que, il faut en parler. Il faut que quelque chose soit fait.»

Réhumaniser les femmes qui ont été dépossédées de leur corps

Les trois artistes dénoncent chacune à leur manière la prise de possession du corps des femmes par le corps médical.

Kimberley de Jong a choisi de travailler avec des danseuses dont le corps a été transformé par la grossesse. C’est leur outil de travail lui-même qui a changé. Chacune se le réapproprie et se meut dans l’espace pour raconter son histoire personnelle.

Avec humour, Caroline Boileau montre un personnage grotesque qui danse avec un éventail de sacs accroché à ses vêtements. «Ces multiples pochettes sont conçues selon les instructions présentées dans La mère canadienne et son enfant, une publication de 1949. Ce guide expliquait comment préparer des sacs avec des journaux pour les déchets biologiques dans le cas d’un accouchement à la maison», dit la commissaire de l’exposition Marianne Cloutier. Derrière ce monstre se trouve bien une femme.

Quant à l’œuvre d’Heidi Barkun, elle se présente d’abord comme une série de dossiers médicaux impersonnels composés de sigles inconnus et de numéros. Puis, on se rend compte rapidement que derrière chaque numéro se cache un être vivant, que derrière chaque acronyme se cache une partie de son intimité. On comprend ainsi que «30 EEB, 50+ EEM» signifie que la patiente a subi 30 échographies endovaginales de base et plus de 50 échographies de monitorage. «En arrivant dans une clinique de fertilité, nous sommes bombardées par toutes sortes de mots inconnus, puis par de multiples examens très invasifs», mentionne Heidi Barkun.

Enquêter sur l’histoire vécue

Koala en peluche jamais utilisé

Koala en peluche jamais utilisé

Crédit : Heidi Barkun

Le travail d’Heidi Barkun a des allures d’enquête. À côté de mots glacials se trouvent des photos d’artéfacts se présentant comme des pièces à conviction. Traces matérielles d’expériences vécues, elles portent chacune un lourd poids émotionnel. On découvre ainsi un koala en peluche qui n’a jamais pu être utilisé.

Quant à Caroline Boileau, elle multiplie les références historiques et renvoie à un passé où l’on connaissait mal les corps des femmes. Ses découpages proviennent ainsi d’anciens livres d’anatomie. Elle nous fait également voyager, au son des hululements des chouettes et des hiboux, à une époque où certaines femmes et sages-femmes étaient assimilées à des sorcières. Ces bruits ne sont pas uniquement ceux du passé, confie-t-elle.

Un travail transformé par la pandémie

Sélectionnées à la suite d’un appel de projets en 2019, les trois artistes en résidence devaient initialement présenter leurs recherches-créations au Centre d’exposition de l’Université de Montréal. Mais la pandémie a bouleversé ces projets. «Ces contraintes ont finalement été un moteur de créativité pour les artistes. Pour Heidi Barkun, ç’a été l’occasion d’explorer un nouveau support avec le Web. Ces imprévus ont aussi permis à Kimberley de Jong de tourner ces vidéos dans le Centre d’exposition, qui était vide à ce moment-là. Caroline Boileau a également filmé certaines scènes de sa vidéo au même endroit», souligne Marianne Cloutier.

Une exposition qui va se poursuivre en présentiel

Les trois artistes en résidence continuent de travailler sur leur projet. Après l’acte 1 viendra un acte 2!

Heidi Barkun est d’ailleurs en recrutement pour la prochaine étape de son projet sur l’abus en PMA. Si vous souhaitez y participer, vous pouvez lui écrire à info(at)heidibarkun.com.

Après le mois de juin, l’exposition va devenir itinérante dans trois bibliothèques de l'Université de Montréal. Des conférences et des tables rondes avec les artistes seront prévues pour joindre un plus large public.

Visiter l'exposition

L’exposition est en ligne sur le site internet du Centre d’exposition de l’Université de Montréal jusqu’au 30 juin: https://www.centre-expo-udem.com/reappropriations-acte1-projets.

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