Un vétéran de la psychiatrie tourné vers les jeunes d’ici et d’ailleurs

Vincenzo Di Nicola

Vincenzo Di Nicola

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S’inspirant de son vécu d’immigrant, le pédopsychiatre Vincenzo Di Nicola a créé le modèle de la thérapie familiale culturelle, qui élargit le cadre de la famille à sa culture.

Le Dr Vincenzo Di Nicola est né en Italie d’une mère célibataire, a grandi à Hamilton dans la langue de Shakespeare et pratique aujourd’hui à Montréal en français à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Il l’affirme d’entrée de jeu: son parcours professionnel est intimement lié à son histoire personnelle. Voilà pourquoi, à 69 ans, il se dévoue encore et toujours à la cause des enfants et de leur famille.

«Mon regard d’étranger m’a aidé à concevoir des outils pour mieux comprendre les personnes à travers le prisme de leur culture, de leur pays et de leur langue», souligne Vincenzo Di Nicola, professeur titulaire de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et président de la World Association of Social Psychiatry.

Cette philosophie, qui a donné naissance à la thérapie familiale culturelle (TFC), se reflète dans son travail au quotidien. Seul pédopsychiatre actuellement en poste à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr Di Nicola se présente comme un modèle d’adaptation pour les enfants issus de l’immigration. Il insiste sur l’importance de parler français pour s’intégrer à sa terre d’adoption, sans se couper de ses racines pour autant.

«À une mère qui dit “J’ai le droit de chauffer les fesses de ma fille”, je vais expliquer que, si cela peut paraître normal dans son pays, ici, ce n’est pas permis. Je vais l’accompagner pour trouver un compromis qui a un sens pour elle et qui est acceptable au Québec. J’aide les gens à s’adapter à leur nouvelle réalité», dit-il.

La famille porteuse d’une culture élargie

C’est au cours de ses résidences en pédiatrie et en psychiatrie à l’Université McGill qu’il s’est initié à l’approche culturelle à travers les travaux de Raymond Prince, pionnier de la psychiatrie sociale et transculturelle, et à l’approche familiale sous la conduite de la professeure milanaise Mara Selvini Palazzoli, sommité de la thérapie familiale.

Ses deux maîtres à penser vont faire naître en lui l’idée de bâtir des ponts entre les deux approches. «Je trouvais que beaucoup de familles multiethniques étaient victimes de préjugés et n’avaient pas les outils pour composer avec la différence. Cela m’a motivé à faire la synthèse de la psychiatrie sociale transculturelle et de la thérapie familiale», explique le pédopsychiatre.  

Son nouveau modèle, qu’il baptise «thérapie familiale culturelle», voit le jour en 1985 et propose une redéfinition fondamentale de la psychothérapie. Alors que la thérapie individuelle se focalise sur l’individu et que la thérapie familiale élargit le cadre pour inclure la famille et les personnes significatives de l’entourage, la thérapie familiale culturelle va plus loin: elle englobe aussi la communauté, la culture et la société dans laquelle la personne évolue pour mieux comprendre ses comportements et ses réactions. «La TFC ajoute la dimension culturelle à la thérapie familiale: la famille n'est plus considérée comme un système, mais en tant que culture», indique Vincenzo Di Nicola.

Un changement de paradigme

Cette thérapie est révolutionnaire en ce qu’elle replace l’individu dans son contexte et valorise les diversités culturelles au lieu de les pathologiser. «Si l’on ne fait pas ça, on risque de poser un surdiagnostic et d’offrir un traitement inadéquat et mal accepté par les familles», met en garde l’auteur du livre A Stranger in the Family: Culture, Families and Therapy.

Écrit en 1997, l’ouvrage se construit autour de trois niveaux relatifs au sentiment d’être étranger: la famille qui se sent étrangère dans la société; un membre de la famille qui se sent aliéné au sein de la structure familiale; et le thérapeute, étranger au milieu de la famille. Les cas cliniques recensés illustrent les outils de la TFC, par exemple la technique des spirales – on établit un contact respectueux avec les membres de la famille en restant ouvert à leur réponse, puis on se retire au besoin pour adapter sa façon de communiquer ‒ ou la traduction thérapeutique et culturelle, qui consiste à «traduire» un comportement au regard de la culture de l’individu, de sa famille et de sa communauté culturelle.

Les défis des familles immigrantes et de souche

Un an après la parution de son livre, en 1998, il entre en poste à la Faculté de médecine de l’UdeM avec le désir de travailler dans un centre affilié «où les besoins en santé mentale chez les jeunes sont les plus importants»: l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui dessert la population du quartier ouvrier d’Hochelaga-Maisonneuve. «J’ai grandi dans un quartier similaire. C’est un défi de comprendre les gens qui viennent d’ailleurs et les Québécois de souche qui doivent s’adapter aux fluctuations de leur environnement. J’ai beaucoup d’empathie pour les familles d’Hochelaga-Maisonneuve», mentionne-t-il.

Peu après son arrivée au centre hospitalier, il y crée une unité de psychiatrie qu’il dirigera pendant une vingtaine d’années avant que celle-ci soit transférée à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, en 2018. Sa pratique requiert de la patience et de l’ouverture. Et beaucoup d’humilité. «Je demande aux familles de m’instruire sur la réalité de leur pays et de leur culture. Les gens sont toujours très contents de raconter comment ça se passe chez eux. Au bout du compte, cette technique permet de mettre le doigt sur le bobo assez rapidement», estime le Dr Di Nicola.

Enseignée à la Faculté de médecine de l’UdeM, la TFC s’exporte aujourd’hui aux États-Unis, au Brésil, en Suède, en Belgique, en Italie et au Maroc.

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