À deux endroits à la fois
- UdeMNouvelles
Le 5 avril 2023
Schéma représentant la diffusion d'une particule (sans masse, changement d’impulsion p_2 à p_4) à partir d'une particule massive dans une superposition quantique spatiale non locale (forme d'onde à deux bosses) par l'échange d'un graviton (transfert d’impulsion q).
Crédit : Richard MacKenzie et Manu ParanjapeUne étude de l’UdeM révèle qu’un champ gravitationnel ne permettrait pas de déterminer où une particule qui a été scindée en deux se trouve en termes de mécanique quantique.
Quiconque possède un diplôme d’études secondaires connaît la loi universelle de la gravitation de Newton: en vertu de cette loi, la force de gravité est inversement proportionnelle au carré de la distance qui sépare une masse d’une masse gravitationnelle. Et de nos jours, presque tout le monde a également entendu parler de la mécanique quantique grâce à l’avènement de l’informatique quantique, que même le premier ministre du Canada est en mesure d’expliquer.
Le fascinant comportement des systèmes quantiques tient au fait qu’ils peuvent permettre à un élément d’assumer simultanément deux états (sinon plus). Ainsi, une particule ayant une masse au repos positive («particule massive») peut se retrouver à deux endroits simultanément. Cela ne relève pas de la science-fiction: en effet, les interféromètres atomiques disposent régulièrement des atomes de césium ou de rubidium selon des configurations telles que l’état quantique de l’atome est scindé et présent en deux endroits, ces deux endroits pouvant être éloignés l’un de l’autre jusqu’à plusieurs centimètres.
De tels états sont très sensibles à la gravitation, ce qui a donné lieu à la mesure la plus précise que les scientifiques ont pu faire du champ gravitationnel terrestre, correspondant à 1/1015 à titre d’exemple. Mais la question est la suivante: quel champ gravitationnel une particule massive crée-t-elle dans un tel état quantique?
Pour répondre à cette question, les physiciens des particules de l’Université de Montréal Richard MacKenzie et Manu Paranjape travaillent depuis 2012 de concert avec leur collègue Urjit Yajnik, de l’Indian Institute of Technology Bombay, en Inde, bénéficiant d’une bourse de coopération Québec-Maharashtra accordée par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec.
Avec de nombreux étudiants et étudiantes et d’autres collaborateurs et collaboratrices, ils ont produit un important corpus de recherches en physique théorique des particules, et leur étude la plus récente, qui vient à peine d’être publiée dans Physical Review Letters, la revue de l’American Physical Society, pose cette question: quel est le champ gravitationnel d’une masse dans une superposition quantique spatialement non locale? Leur découverte surprenante est la suivante: alors qu’il ne permettrait pas de savoir qu’une particule massive est scindée et présente en deux endroits à la fois, le champ gravitationnel semble ne provenir que d’un seul endroit, au vu de la position moyenne de la particule massive.
Pour en venir à cette conclusion, l’équipe s’est penchée sur les expériences en matière de diffusion menées par d’autres physiciens des particules, comme dans le Grand collisionneur de hadrons, expériences qui ont visé à scruter l’intérieur même des atomes, des noyaux et d’autres particules subatomiques. Les expériences de diffusion profondément inélastique réalisées à la fin des années 1970 ont également démontré la présence de quarks dans le noyau et confirmé la théorie de l’interaction forte, soit la chromodynamique quantique.
«Il nous semblait évident que nous devions calculer le comportement de la diffusion gravitationnelle d’autres particules par rapport à la particule massive spatialement non locale, dit Manu Paranjape. Ce calcul permettrait de sonder la nature du champ gravitationnel créé par la particule massive non locale. Ce faisant, nous avons établi de façon très nette que la diffusion se comporte comme si la particule massive se retrouvait dans sa position moyenne et non comme s’il existait une demi-particule à chacun des deux endroits distincts sur le plan spatial. En vérité, ce résultat était plutôt inattendu.»
Intervient maintenant la phase ardue du travail, soit la vérification expérimentale des calculs théoriques des scientifiques.
«Pour le moment, le champ gravitationnel d’un atome donné est beaucoup trop faible pour qu’il puisse être observé de manière expérimentale, même avec les détecteurs de champs gravitationnels les plus sensibles, soit les interféromètres atomiques, souligne Richard MacKenzie. Cependant, il est du domaine du possible de mesurer le champ gravitationnel d’un ensemble d’environ un milliard d’atomes.»
Bien qu’il représente beaucoup moins qu’un microgramme de matière, ce nombre d’atomes équivaut à peu près à celui qui intervient dans l’état quantique à l’échelon macroscopique correspondant à ce qu’on qualifie de condensat de Bose-Einstein. Il serait possible de façonner une superposition spatialement non locale d’un condensat de Bose-Einstein d’une telle taille, ce qui permettrait de créer des champs gravitationnels mesurables.
Si la théorie des scientifiques pouvait être vérifiée expérimentalement, «les résultats seraient spectaculaires», déclare Manu Paranjape. Nous vous invitons donc à demeurer à l'affût de cette question… quel que soit l’endroit où vous vous trouvez.
À propos de cette étude
L’article «What is the gravitational field of a mass in a spatially nonlocal quantum superposition?», par Urjit Yajnik et ses collègues, a été publié le 7 mars 2023 dans Physical Review Letters.
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Jeff Heinrich
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