L'Université de Montréal: une histoire urbaine et internationale

La construction de l'UdeM en 1931

La construction de l'UdeM en 1931

En 5 secondes

Un ouvrage savant nous dévoile de multiples facettes jusqu’alors inconnues de l’histoire locale et de l’histoire internationale de l’UdeM. Une trajectoire complexe et non linéaire.

L’île Sainte-Hélène. «Isolé, quoique à deux pas de la ville, voilà le site idéal, où pendant huit mois chaque année nos étudiants, éloignés des désordres d’une ville cosmopolite, trouveront enfin la réalisation de la devise de l’université moderne: Mens sana in corpore sano.» C’est à cet endroit qu’aurait pu se construire l’Université de Montréal si les propos de l’architecte Henri Talbot-Gouin en 1919 avaient rallié les autorités concernées. Ou elle aurait pu être érigée dans le parc La Fontaine et être proche de l’hôpital Maisonneuve, qui aurait pu se transformer en hôpital universitaire.  

C’est ce qu’on apprend dans le riche ouvrage à paraître L'Université de Montréal: une histoire urbaine et internationale, coécrit par Micheline Cambron, professeure émérite du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, et par l’historien Daniel Poitras, diplômé de l’UdeM.   

Dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas, une table ronde autour de ce livre s’est tenue le 8 mai. 

Nous avons rencontré les deux coauteurs. 

Qu’est-ce qui vous a incités à écrire ce nouveau livre sur l’Université de Montréal?

Micheline Cambron: Nous avons écrit notre ouvrage à l'invitation de Guy Breton [recteur émérite de l’Université] et de son administration. Nous avons eu carte blanche pour aborder cette histoire comme il nous convenait. 

De nombreux travaux ont antérieurement été publiés sur des unités de l'Université – départements, instituts, centres de recherche –, un personnage, un évènement ou une avancée de l’UdeM, mais on n’avait pas nécessairement tenu compte de l'histoire globale de l'établissement. Seul le livre d’Hélène-Andrée Bizier, publié en 1993, avait une visée synthétique. Mais ce récit s'acheve en 1985 et la période 1960-1985 est peu développée. Je pense que l'Université désirait avoir un ouvrage scientifique qui raconterait son histoire jusqu'à aujourd'hui.  

Daniel Poitras: Le livre de Mme Bizier est plutôt institutionnel. Il se penche surtout sur les têtes dirigeantes et mise sur une trame évènementielle, mais sans aborder en profondeur la diversité des acteurs universitaires et l’extension parfois surprenante du milieu universitaire en dehors de ses murs, c’est-à-dire dans la ville et dans le monde. 

Vous avez intitulé votre livre «L’Université de Montréal: une histoire urbaine et internationale». Pourquoi avoir choisi ces deux angles?

Micheline Cambron: Cette orientation est en partie liée à nos champs de recherche. J'ai beaucoup travaillé sur Montréal et je me suis aussi intéressée aux réseaux internationaux, sur lesquels Daniel a également travaillé, tout en consacrant plusieurs travaux à la vie étudiante, à ses journaux et à ses initiatives. Mais nous ne nous attendions pas à ce que ces deux perspectives soient aussi riches, aussi englobantes. 

Une université joue toujours un rôle central dans une ville. Dans l'histoire, de par le monde, les universités sont toujours associées à des villes. L'ancrage est concret: il y a des étudiants qui sont dans la ville et qui la bousculent un peu à l'occasion. Cette dimension nous apparaissait déterminante. En même temps, le mot université le dit: c'est ce qui vise l'universel. Donc il paraissait difficile de ne pas s'attacher à l'ensemble des liens que l'Université a noués avec le reste du monde.  

Daniel Poitras: La ville et le monde sont reliés à travers l'Université, qui devient en quelque sorte un phare, un laboratoire, un récepteur-émetteur d'idées, mais aussi un carrefour pour des personnes venues d'ailleurs qui transitent par Montréal et qui parfois s'y installent, qu’il s’agisse d’étudiants, de chercheurs ou de visiteurs. À cet égard, l’Université a constitué un précoce milieu d’interculturalité au Québec, dès l’entre-deux-guerres et surtout à partir des années 1950. 

Vous écrivez ainsi une histoire sociale où vous sortez de l’ombre de nombreuses personnes.

Daniel Poitras: Oui, nous avons cherché à faire une plus grande place à celles et ceux qui ont été souvent laissés de côté dans l’histoire de l’Université. On peut penser notamment aux femmes, dont le rôle a été sous-estimé, aux étudiants étrangers, qui ont été d’extraordinaires passeurs culturels, au personnel de soutien et aux gens qui n’y ont pas étudié à temps plein, mais qui y ont suivi des cours sur place ou à distance. Sans eux, l’élargissement du champ d’action de l’Université, et sa prise en compte d’enjeux sociaux, aurait eu une bien moindre ampleur. 

Vous montrez que l’UdeM a été au cœur de mouvements sociaux bien avant le printemps érable.

Micheline Cambron: L'Université de Montréal a été dès son origine mêlée très étroitement aux différents mouvements sociaux. Même à une période qui nous paraît marquée par la hiérarchie religieuse, les interactions sont nombreuses, les gens se parlent. Il y a beaucoup d'échanges et cela montre que l'Université est très dynamique, très imprévisible aussi, contrairement à la réputation qu'on lui a faite d'être une université réservée à l'élite et perchée sur sa montagne. 

Daniel Poitras: La tension entre l’Université comme productrice d’élites et ses fonctions sociales plus larges est palpable dès le début de son histoire. Notons le rôle des étudiants, qui ont nourri cette tension en rappelant souvent aux administrations l’importance de l’engagement universitaire au-delà du campus et le rôle de l’Université dans les débats sociaux, mais aussi urbains et environnementaux. 

Vous soulignez l’ancrage de l’UdeM dans la société. On pense par exemple à la production de vaccins contre la tuberculose en 1926 dans les murs de l’établissement.

Micheline Cambron: Je pense que les universités qui existent dans la durée ont souvent la préoccupation de contribuer concrètement à la vie collective, même si cela peut être bridé par toutes sortes de circonstances. 

Les épidémies étaient une catastrophe: les étudiants et les professeurs, comme le reste de la population, étaient malades et en mouraient. C'était terrible, mais on a peu gardé le souvenir de ces contributions de l'Université qui témoignent pourtant de sa proximité avec la société québécoise. 

Vous allez ainsi à l’encontre des clichés qu’on peut avoir sur l’UdeM...

Daniel Poitras: Les clichés qu’on a sur l’UdeM changent avec le temps. Dans les années 1930, l'Université de Montréal était accusée par différents groupes et politiciens d'être un repère de communistes, d’athées et de juifs. Aujourd’hui, dans la mémoire collective, on se représente l'Université d’avant les années 1960 comme très religieuse, très catholique, très fermée! L’histoire nous montre que ce fut bien plus complexe. 

Micheline Cambron: On trouve dans les archives des documents qui révèlent des idées très inattendues. Ainsi, nous avons été ébahis de découvrir que, à titre de chancelier de l’Université au milieu du 20e siècle, le cardinal Paul-Émile Léger envisage à court terme la nomination d’un recteur laïque.  

Vous présentez une histoire de l’UdeM qui est loin d’être linéaire. Pouvez-vous nous en dire plus?

Daniel Poitras: L’Université s’est adaptée à des circonstances changeantes et ne s’est pas développée en ligne droite selon une planification à long terme.  

Par exemple, on commence à construire le pavillon Roger-Gaudry sur le mont Royal en 1930 pour l’achever seulement au début des années 1940. Dans les années 1960, l'Université est pressée de s’agrandir pour recevoir la vague de nouveaux étudiants issus du babyboum, mais elle doit improviser et s’accommoder de nombreuses incertitudes: l’argent promis par le gouvernement sera-t-il au rendez-vous? Comment l’époque d’émancipation des sixties transformera-t-elle l’Université? De quelle façon la création du réseau de l’Université du Québec influencera-t-elle sa mission?  

Micheline Cambron: On pourrait également prendre l’exemple de l’hôpital universitaire, qui était attendu dans les années 1920 et qui voit finalement le jour avec le CHUM [Centre hospitalier de l’Université de Montréal] des décennies plus tard. 

Pourquoi avoir organisé cette table ronde à l’occasion du 90e Congrès de l’Acfas?

Micheline Cambron: L’Acfas a été créée par un groupe de professeurs de sciences de l’Université de Montréal. Ce sont des acteurs qui ont joué un rôle différent des autres: ils n'ont pas misé sur les étudiants des collèges classiques, ils ont plutôt travaillé avec la Commission des écoles catholiques de Montréal et avec des écoles secondaires. Ils ont pensé et réalisé la mise en contact de Montréal et de la science grâce à des populations qui, en temps normal, n'avaient pas d'emblée accès aux études universitaires. De ce point de vue, l’Acfas est le couronnement d'un travail de fond dans la ville, et au sein de réseaux extrêmement complexes et très étendus, qui témoigne à la fois de l'intérêt pour la science que les Montréalais nourrissent à partir des années 1920 et de la pugnacité de ces acteurs universitaires qui ont décidé qu'il fallait que Montréal soit une ville où la science se développe. 

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