Écouter la voix des jeunes pour améliorer et adapter leur utilisation des médias sociaux
- UdeMNouvelles
Le 10 mai 2023
- Martin LaSalle
Au-delà de la limitation du temps d’écran des adolescents dans les médias sociaux, il importe de comprendre les éléments qui les influencent en allant vers eux, selon Emmanuelle Parent, de l’UdeM.
La présence des adolescents sur TikTok, Instagram, Snapchat et autres médias sociaux inquiète, puisque plusieurs recherches mettent en lumière les effets négatifs que l’exposition aux écrans peut entraîner sur leur bien-être.
Mais que sait-on des raisons qui incitent les jeunes à utiliser ces plateformes Web? Emmanuelle Parent en a donné un aperçu dans la présentation des résultats de ses travaux de recherche à l’occasion du 90e Congrès de l’Acfas.
Doctorante au Département de communication de l’Université de Montréal, elle a rencontré des adolescentes et adolescents de 14 à 17 ans afin de comprendre comment ils composent avec leurs relations sociales dans les médias sociaux ainsi qu’avec la panoplie de fonctionnalités offertes par ces applications sur lesquelles ils conversent, publient et «scrollent».
L’importance du contenu publié par ses amis et le «scrollage»
Après avoir effectué 19 entrevues avec les jeunes et mené deux groupes de discussion, Emmanuelle Parent a mis au jour différents éléments qui influencent le temps passé dans les médias sociaux qui leur permet de créer et maintenir leurs propres réseaux relationnels.
«Entre les champs d’intérêt personnels, les habitudes avec les pairs et le design de la plateforme, l’utilisation des médias sociaux varie chez les jeunes, qui s’exposent de toute façon à la ferme détermination des plateformes à vouloir amasser des données», précise-t-elle.
Les témoignages des jeunes lui ont aussi permis de relever cinq normes sociales à suivre pour se sentir dans le coup dans ses conversations et échanges dans les médias sociaux.
«Il faut être sensible à l’autre, être disponible en tout temps et adapter la fréquence de publication et la qualité du contenu selon le type de publication, énumère Emmanuelle Parent. Ensuite, il faut se présenter authentiquement conforme et, enfin, scroller dans les médias sociaux les plus populaires.»
Par ailleurs, les relations sociales entretenues par les conversations et les publications dans les médias sociaux ont une grande valeur aux yeux des jeunes.
«C’est notamment le cas lorsqu’ils reçoivent une rétroaction à la suite d’une publication, illustre Emmanuelle Parent. Le rapport de performance diffère d’un jeune à l’autre, mais une idée revient souvent, soit l’importance d’être personnellement satisfait du contenu partagé au-delà du regard des autres.»
Si la comparaison paraît inévitable – et que les réactions de certaines personnes ont plus de poids que d’autres –, les jeunes estiment majoritairement que «le but à atteindre est de limiter la comparaison», certains qualifiant les médias sociaux de «réseaux d’admiration [où tous ont] un petit côté voyeur».
À l’inverse, les fonctionnalités du média social, entre autres celles qui incitent les jeunes à faire défiler du contenu à l’infini, les affectent plus négativement. Ils et elles qualifient d’ailleurs certaines plateformes d’«addictives», plus particulièrement TikTok.
«Toutefois, le scrollage sur Instagram, YouTube ou TikTok contribue au façonnement de la norme sociale de différentes manières, en privilégiant par exemple le partage du contenu des pairs dans le fil d’actualité ou en recommandant des personnes à suivre autour de soi», nuance Emmanuelle Parent.
Pour des méthodes d’intervention plus globales
Nombreux sont les organismes qui recommandent des solutions visant l’autocontrôle pour réduire le temps que passent les jeunes dans les médias sociaux.
Mais selon la chercheuse, cette approche de prévention «éclipse les dynamiques collectives mises en lumière par les études en sciences sociales, qui rapportent les perspectives des adolescents, laissant entendre que les médias sociaux jouent un rôle important dans le maintien des relations sociales et l’expression personnelle».
Les pistes de solution que propose Emmanuelle Parent visent tant l’État, les entreprises et les organisations que les jeunes et leurs parents et amis.
«Par exemple, les gouvernements pourraient financer des initiatives de prévention et d’éducation, et les écoles ainsi que les groupes parascolaires pourraient instaurer des politiques de déconnexion ou des codes de conduite», avance-t-elle.
À l’autre bout du spectre, il paraît difficile d’exiger des jeunes qu’ils et elles diminuent leurs liens avec leur entourage qui sollicite leur présence. D’après la chercheuse, l’autocontrôle n’annihile pas les forces injonctives des normes sociales qui les poussent à se tourner vers les médias sociaux.
«Plutôt que d’agir sur une seule personne, on pourrait miser sur les dynamiques sociales en invitant les jeunes à avoir une conversation claire avec leurs amis et leurs proches, par exemple sur les délais de réponse attendus», ajoute celle qui est aussi directrice générale et cofondatrice du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne, qui offre notamment des ateliers d’autodéfense numérique.
Pour Emmanuelle Parent, il est surtout «important d’écouter les adolescents avec leur allégresse, leurs incertitudes et leurs contradictions afin d’intégrer davantage les questions sociales lorsqu’on veut mettre sur pied des interventions qui les concernent».