Paul François: de la science-fiction aux mécanismes fondamentaux de la biologie

Paul François, professeur titulaire au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal

Paul François, professeur titulaire au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal

Crédit : Photo de courtoisie

En 5 secondes

Le biophysicien et bio-informaticien Paul François utilise des modèles de prédictions mathématiques pour comprendre le langage des cellules immunitaires et le développement embryonnaire.

Paul François est un grand amateur de science-fiction. Mais pas n’importe laquelle. «Ce que j'aime, c’est la science-fiction tournée vers la biologie et l'altérité, qui met en scène nos interactions avec des sociétés extraterrestres. Si l’on peut imaginer quelque chose dans le monde du vivant, c’est que ça doit exister quelque part», dit-il.

Explorer le jeu des possibles: telle est la passion qui anime le biophysicien jusque dans son laboratoire, où il s’affaire à créer des modèles mathématiques à l’aide d’outils informatiques pour mieux comprendre la biologie. En somme, il «apporte des réponses simples à des problèmes compliqués».

Le parcours même du nouveau professeur titulaire du Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal se résume tout entier à cette quête de simplicité en terrain complexe.

«Au début, j'ai fait des maths, mais ce n'était pas assez concret. Puis, je me suis tourné vers la physique pour trouver des applications directes. Mes nouvelles fonctions à la Faculté de médecine me permettent de m'ouvrir sur la biologie médicale et mon affiliation à Mila [Institut québécois d’intelligence artificielle] me met en interaction avec l'apprentissage automatique. Les récents progrès de l'intelligence artificielle peuvent nous renseigner sur des phénomènes biologiques et nous amener à mieux comprendre certaines maladies», expose celui qui a obtenu un diplôme d’ingénieur à l’École polytechnique de France, un doctorat en physique théorique à l’École normale supérieure (Paris) et un postdoctorat en bio-informatique à l’Université Rockefeller (New York).

Plusieurs études interdisciplinaires et transdisciplinaires menées à l’UdeM en sciences quantitatives – mathématiques, physique, apprentissage automatique, biologie, médecine – ont convaincu l’ancien professeur de physique de l’Université McGill de faire le saut au campus de la montagne, au sein du nouveau Centre d’innovation biomédicale, qui regroupe les chercheurs et chercheuses des cinq départements des sciences fondamentales de la Faculté de médecine de l'UdeM.

Décrypter le langage des cellules immunitaires

Adepte de la «fertilisation croisée» entre les disciplines, Paul François poursuit ses recherches sur l'immunité adaptative, qu'il a entreprises il y a plus de 10 ans. Comment le système immunitaire reconnaît-il les agents pathogènes? Quelles informations encode-t-il pour déclencher une réponse immunitaire? Une démarche scientifique issue d'interactions entre collègues a fait émerger de nouveaux modèles mathématiques. «Au départ, je ne comprenais pas le modèle de mon collaborateur Grégoire Altan-Bonnet, qui dirige le laboratoire d'immunodynamique à l'Institut national du cancer aux États-Unis [NCI]. En discutant avec lui, j'ai trouvé une façon de le simplifier pour rendre les données plus cohérentes», explique Paul François. 

En collaboration avec le groupe de Grégoire Altan-Bonnet, son équipe utilise maintenant une plateforme robotique combinée avec l'apprentissage automatique et des modèles mathématiques qui permettent de quantifier la réponse immunitaire. «Avec des cliniciens, dont Naomi Taylor du NCI, nous faisons des prédictions mathématiques sur les façons d'adapter les immunothérapies anticancers. Nos recherches pourraient donner lieu rapidement à des applications concrètes», espère-t-il.

Poisson japonais et développement embryonnaire

Un autre sujet de prédilection du chercheur est la modélisation mathématique du développement embryonnaire. «Il faut savoir qu’un oscillateur génétique [appelé horloge de segmentation] dirige la formation des segments, une vertèbre à la fois, sans trop que nous sachions comment. Je m'emploie à décrire ce phénomène d'un point de vue mathématique, notamment à partir d’une étude sur un poisson japonais qui se développe sous différentes températures, indique-t-il. Nos collaborateurs du Laboratoire européen de biologie moléculaire font varier les cycles de température dans le but de perturber la formation de ses vertèbres. Ces manipulations nous permettent de comprendre comment le corps prend forme, ce qui le perturbe et comment il réagit aux perturbations. S’il ne résiste pas, les maladies apparaissent.»

Ces recherches sont un prélude à d’autres expérimentations sur les différenciations cellulaires à partir d’embryons recréés dans des boîtes de Pétri par exemple. «Si nous parvenons à contrôler le développement embryonnaire, nous pourrons tester des traitements plus facilement», souligne le scientifique.

L'apprentissage automatique au service de la biologie

Un sous-groupe de son laboratoire travaille enfin sur des algorithmes d’évolution. «Nous avons conçu des outils informatiques pour simuler l'évolution des réseaux biologiques que nous avons appliqués entre autres au contrôle de la taille des cellules, dit-il. Ces modèles nous montrent que si les cellules sénescentes sont trop grosses, c’est parce qu’elles se divisent trop tard ou trop tôt; l’oscillateur qui contrôle le cycle cellulaire est défectueux.»  

Le professeur François souhaite que tous ces travaux incitent ses étudiantes et étudiants à briser les barrières entre les disciplines. «Je trouve que les jeunes d’aujourd'hui sont beaucoup plus ouverts à l'interdisciplinarité. Mon rôle, c'est de les aider à développer leurs goûts scientifiques et de les amener à réaliser des choses concrètes», conclut-il.