Dans les coulisses de la série «De garde 24/7»
- UdeMNouvelles
Le 6 septembre 2023
- Mylène Tremblay
Pour sa neuvième saison, la série documentaire s’installe à l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal. En exclusivité, nous avons assisté au tournage d’un épisode sur la transmission des connaissances.
À Rome, on fait comme les Romains. À l’hôpital, on fait comme les médecins: on enfile une blouse et l’on se fait discrets, surtout quand on est munis de caméras, de perches et de micros et qu’on cherche à se fondre dans le décor!
En cette froide journée printanière, les membres de l’équipe de tournage de la populaire série documentaire De garde 24/7 s’apprêtent à capter l’essence des échanges entre patients et soignants, entre médecins et, bien sûr, entre résidents et patrons.
«Sacré-Cœur est un hôpital universitaire. C’était tout naturel d’y aborder le partage d’informations et d’expériences. Pour une rare fois, on tourne la caméra vers les résidents. On veut recueillir des bribes de discussion pour voir comment s’effectue le transfert du savoir-faire et du savoir-être en médecine. Il y a des choses qui ne s’apprennent pas dans les livres, mais en regardant les autres», résume la réalisatrice, Sasha Campeau, entre deux prises.
Tout au long de la matinée, munie d’un casque d’écoute et les yeux rivés sur un petit écran (comme journaliste, nous étions tenue de rester à l’extérieur des chambres pour préserver le plus possible l’intimité des patients), nous assimilerons nous aussi, en observant, ces notions complémentaires.
Informer les patients pour désamorcer l’anxiété
Pour mettre la machine en route, la réalisatrice s’entretient avec le Dr Kévin Jao, l’un des médecins-vedettes de la nouvelle saison de la série documentaire, à l’affiche dès le 7 septembre à Télé-Québec. L’oncologue, qui enseigne au Département de médecine de l’Université de Montréal, a un horaire chargé: suivi des patients hospitalisés à l’étage d’hémato-oncologie et évaluation des nouveaux cas le matin, consultations externes l’après-midi.
«Le défi, c’est de prendre le temps d’écouter chacun des patients. Même si je suis débordé, je ne veux pas qu’ils se sentent comme des numéros perdus dans le vaste système de santé», expose le Dr Jao.
En droite ligne avec l’approche du patient partenaire, selon laquelle le patient participe pleinement aux décisions thérapeutiques, l’oncologue ne tait pas d’informations sur le pronostic et établit toutes les avenues. «L'inconnu fait peur. Je donne l’heure juste et explique ce qui s’en vient. Mes patients savent clairement à quoi s’attendre et peuvent reprendre le contrôle de leur vie. Je veux qu’ils sachent que je suis un allié et que j'ai leur intérêt à cœur», confiera-t-il plus tard en entrevue.
Sous l’œil de la caméra, il offre une belle illustration de sa philosophie au chevet de Mme Bouadis. De sa voix frêle, la dame de 58 ans a donné son accord pour être filmée. Ses séances de radiothérapie pour traiter un cancer du poumon métastatique l’ont épuisée et la privent de l’usage de ses jambes. Elle souhaite poursuivre son traitement oral et finir ses jours à la maison, entourée de ses enfants. Le Dr Jao hésite: est-ce réaliste et sécuritaire? Cela ne va-t-il pas être trop lourd pour ses proches? Ne devrait-on pas envisager un cadre hospitalier comme le CHSLD ou la maison de soins palliatifs?
«Je concilie au mieux les besoins de mes patients avec la solution qui me paraît la plus appropriée, dit-il. Quand nos visions diffèrent, je cherche un compromis pour satisfaire tout le monde. Je trouve souvent la réponse en discutant avec mes pairs.»
Solliciter l’avis des collègues pour prendre de bonnes décisions
Hors champ de la caméra, il consulte sa collègue Danielle Grandmont, spécialiste des soins palliatifs et professeure adjointe de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’UdeM. «La transmission offre toute la richesse de l'interdisciplinarité, indique-t-elle en aparté. Souvent, le fait d’échanger peut aider à trouver des solutions. D'un côté, on doit tenir compte de la sécurité du patient, de l’autre de sa liberté. Dans le cas de Mme Bouadis, il a été établi qu'elle ne guérira pas. On peut viser une approche palliative à domicile, en accord avec ses valeurs et sa volonté.»
Aux dernières nouvelles, la dame était rentrée chez elle et son état était stable grâce aux bons soins de sa famille.
«Le transfert des connaissances est devenu prioritaire. Il faut s'assurer que les apprenants intègrent la communication dans leur pratique», observe le Dr Jao. La communication, mais aussi l’empathie et la façon d’interagir avec les patients et les membres du personnel sont des aspects qui s’apprennent par l’exemple, croit-il: «Le côté humain me tient à cœur. Les patrons qui m’ont le plus marqué sont ceux qui faisaient preuve de beaucoup d’humanité.»
Transmettre son expérience et sa passion à la relève
Trois étages plus bas, au service des urgences, Élodie De Coene officie sous l’œil bienveillant de la Dre Marie-Michelle Robert, professeure adjointe de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université. La résidente, qui entame sa deuxième année en médecine familiale et médecine d’urgence, est un peu intimidée par l’équipe de tournage, qui fait pourtant tout pour passer inaperçue!
Un homme arrive en ambulance. Son état est stable, mais son corps présente plusieurs lacérations. On distribue les tâches: une infirmière prend les notes, une autre fait les prises de sang. Un préposé fait glisser le patient sur la civière et lui met une chemise d’hôpital. Tout est en place pour l’évaluation.
La Dre Robert incite la jeune médecin à procéder. Celle-ci examine chaque parcelle de peau en décrivant à voix haute ce qu’elle voit. «La Dre Robert trouvait ce cas intéressant pour mon apprentissage. Elle m’a laissé le lead, évoque la résidente en entrevue. Le patient était calme. Pendant que je lui faisais des points de suture, je lui demandais s’il avait mal. La Dre Robert m’aidait à nettoyer et à irriguer les plaies, à pratiquer l’anesthésie locale… Elle me disait: “Élodie, tu fais bien ça, prends ton temps.”»
Plus tôt, sa patronne avait pris soin de lui expliquer le fonctionnement d’une salle de réanimation: le médecin qui procède à l'échographie se place à droite du patient, l'infirmière qui fait les prises de sang à gauche… «La transmission est ce qui fait qu’on va aimer ou non la pratique, qu’on sera un bon médecin ou pas, estime la résidente. En médecine, on doit être performant. Apprendre aux côtés d’un patron rude, qui ne nous ménage pas, c’est anxiogène. À la longue, ça joue sur la confiance en soi et sur l'envie d'apprendre et ça peut teinter notre relation et nos soins aux patients.»
Au passage, elle lance quelques fleurs à sa mentore: «Avec elle, on ne se sent pas jugé. C'est facile de lui poser des questions. On se dit: d’accord, je n'ai pas toutes les réponses, j’ai mes limites, mais je peux apprendre et continuer de m’améliorer.»
Le transfert des connaissances, c’est gagnant-gagnant
Si les étudiantes et étudiants voient en elle un modèle accessible, Marie-Michelle Robert apprend d’eux, car ils sont à la fine pointe des nouvelles études et des recommandations, rebondit-elle. «Je veux les amener toujours plus loin, dans le plaisir. Ils sont ici pour répondre à nos attentes, nous pour comprendre leurs besoins. Nous devons établir une relation de confiance rapidement pour leur donner la liberté d'agir en toute sécurité auprès de nos patients, qui demeurent sous notre responsabilité», mentionne-t-elle.
Ultimement, la série documentaire aura conduit la médecin d’urgence à réfléchir à sa profession et aux raisons qui la poussent à continuer. «On a le privilège de faire ce travail, mais on reste des êtres humains, avec des défis. J’aime enseigner, j’aime le contact avec les patients et le travail d’équipe. Le fait de mettre tout ça en mots devant la caméra a rallumé la flamme en moi. Oui, on attend aux urgences, oui le système de santé n’est pas parfait. Mais il y a plein de gens de cœur qui sont là pour prendre soin des autres», affirme-t-elle.
Voilà exactement pourquoi les protagonistes de la série ont conquis le Québec au petit écran: ils émeuvent avec leur grand cœur et enrichissent les esprits avec leurs explications! «Des patients arrivent à l'hôpital et vont dire au personnel soignant: je comprends ce que vous me dites, je l'ai vu dans De garde 24/7. On fait œuvre utile!» conclut la réalisatrice Sasha Campeau.