La mort, ce terreau fertile pour la créativité

Puisant dans sa propre trajectoire teintée de syncrétisme culturel, Martyna Kander, doctorante en recherche-création au Département des littératures de langue française, travaille à la rédaction d’un roman qui s’intéresse à la question géographique de la mort.

Puisant dans sa propre trajectoire teintée de syncrétisme culturel, Martyna Kander, doctorante en recherche-création au Département des littératures de langue française, travaille à la rédaction d’un roman qui s’intéresse à la question géographique de la mort.

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Comment vit-on avec nos morts? Une doctorante en littérature propose une réflexion identitaire, géographique et culturelle de la mort.

«Dans une ère où les migrations sont facilitées, comment pouvons-nous transporter nos morts avec nous? Est-ce que la mémoire suffit? Faut-il leur faire une place dans notre imaginaire, dans le monde physique?»

Voilà quelques-unes des questions qui habitent Martyna Kander, doctorante en recherche-création au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal.

Dirigé par les professeures Catherine Mavrikakis et Olga Nedvyga, son projet la mène à explorer les thèmes de l’identité, de l’appartenance, du divers, de la mémoire, de l’enracinerrance – un mot-valise inventé par l’écrivain haïtien Jean-Claude Charles qui entremêle «enracinement» et «errance», donc origines et migrations.

Ce concept résonne particulièrement chez l’étudiante: elle est née en Pologne, a une grand-mère ukrainienne et une autre lituanienne, a grandi en Italie, parle français et habite actuellement à Montréal.

Puisant dans sa propre trajectoire teintée de syncrétisme culturel, Martyna Kander travaille à la rédaction d’un roman qui s’intéresse à la question géographique de la mort.

«L’enterrement est un rite aussi vieux que l’humanité, peut-être parce que nous avons l’habitude de géolocaliser nos morts. Mais qu’arrive-t-il quand nous avons des liens dans plusieurs pays et cultures? Comment pouvons-nous rester proches de nos morts?» s’interroge l’auteure.

Dans son œuvre de fiction, la protagoniste – une orpheline d’origine italienne qui s’établit à Montréal – réfléchit à son passé, aux proches qu’elle a perdus, mais aussi aux femmes des siècles précédents qui ont contribué à la construction de son identité.

Une réflexion qui prend racine dans les Caraïbes

Pour alimenter son œuvre, Martyna Kander étudie parallèlement la représentation de la mort sous la plume d’auteurs originaires du Mexique, d’Haïti et d’autres pays des Caraïbes.

«Dans la littérature caribéenne, il est très fréquent de trouver dans la narration des personnages morts qui participent à l’histoire de différentes façons. En fait, ce sont des personnages “non morts”, puisqu’ils se comportent et ont une voix comme ceux qui sont bel et bien vivants», indique-t-elle.

La doctorante précise que, pour la plupart des écrivains, les personnages non morts restent «en vie» tant que leurs proches se souviennent d’eux. Pour d’autres, toutefois, ces personnages interviennent auprès des vivants même s’ils n’ont pas de liens familiaux ou entretenu de rapports préalables avec eux, démontrant une autonomie et une volonté au sein même du monde des morts.

Une perspective féministe et engagée

En rédigeant sa thèse, Martyna Kander constate également qu’il n’est pas rare de voir dans la littérature caribéenne des protagonistes rencontrer des femmes de leur famille mortes il y a bien longtemps et qui portent en elles toute la mémoire de l’esclavage par exemple. «C’est une violence fondatrice qui perdure de façon voilée dans les mécanismes néocoloniaux», croit-elle.

Il y aurait également une place toute particulière accordée à la violence faite aux femmes et incarnée par la mémoire des ancêtres disparues. «Le féminicide rappelle que la mort peut devenir un instrument de pouvoir et d’injustice. Les mortes incitent alors à la lutte, au changement», dit l’étudiante. Ce recours à la mort et au féminisme dans les œuvres des Caraïbes stimule Martyna Kander, qui y voit une façon novatrice et enrichie de se raconter.

«La mort est un mystère impossible à percer et penser les morts comme des vivants est une façon créative et nécessaire de résister à leur disparition à tout jamais. La science dit “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”. Et la littérature répond à cette intuition humaine qui est celle de considérer que la réalité est plus vaste que celle que nous pouvons seulement toucher», conclut-elle.

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