Quelles dynamiques agissent dans les migrations animales et les infections parasitaires?
- UdeMNouvelles
Le 10 novembre 2023
- Martin LaSalle
La professeure Sandra Binning, de l’UdeM, et des collègues ont créé un modèle qui permet de prédire les mécanismes de migration de différentes espèces animales attribuables à la présence de parasites.
Que ce soit pour trouver de la nourriture, se reproduire, réduire la compétition, échapper aux prédateurs ou fuir l’hiver, la migration est un mécanisme de survie de nombreuses espèces animales.
Qu’il s’agisse d’un mammifère, d’un oiseau, d’un poisson ou d’un insecte, l’animal qui migre est exposé aux parasites des habitats qu’il fréquente tout en étant apte à limiter les risques d’infection pour lui-même et pour ses congénères.
Afin d’établir les dynamiques qui sont à l’œuvre dans les migrations et les infections parasitaires, la professeure Sandra Binning, du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, et sa collègue Allison Shaw, de l’Université du Minnesota, ont effectué une revue des études empiriques sur le sujet pour ensuite créer un modèle qui permet de comprendre les infections parasitaires découlant des comportements migratoires de certaines espèces.
Le fruit de leur travail, auquel a pris part la doctorante Marie Levet de l'UdeM, a été récemment publié dans la revue Ecology Letters.
Des migrations en déclin
La diversité et la complexité inhérente des comportements migratoires et leur rôle indispensable dans l'écologie et la survie de nombreuses espèces ont été largement étudiés. Toutefois, la migration des animaux diminue à l’échelle mondiale en raison des changements climatiques et de la destruction de nombreux milieux naturels.
«Les solutions pour atténuer ces pertes sont claires – accroître la protection de l’environnement, maintenir la connectivité écologique et réduire la déforestation par exemple –, mais dans de nombreux cas, nous manquons de données sur les facteurs qui favorisent ou entravent le comportement migratoire en premier lieu», explique Sandra Binning.
Des infections parasitaires plus ou moins virulentes selon les migrations
Collaborant depuis 10 ans, Sandra Binning et Allison Shaw ont élaboré différentes théories relatives à la migration récupératrice – qui peut permettre de guérir d’une infection parasitaire – et à la façon dont les parasites peuvent influencer la migration elle-même.
Et la revue d’études qu’elles ont menée avec le soutien de Marie Levet leur a permis de faire certains constats.
«D’une part, la majorité des études se focalisent sur la finalité de la migration – comme la reproduction ou l’hivernation –, mais elles négligent les phases de transit, bien qu’elles soient des éléments essentiels de la dynamique de l’infection lors des mouvements d’hôtes», indique Sandra Binning.
D’autre part, elles ont noté qu’il existe une diversité de résultats selon les études.
«Dans certains cas, l’intensité de l’infection chez les migrants est supérieure ou inférieure à celle chez les individus d’une même espèce qui ne migrent pas, tandis que, dans d’autres, elle peut être plus ou moins importante à mesure que les individus migrent», ajoute l’experte en recherche de terrain.
Différents types de comportements migratoires
La revue d’études a permis de relever une grande diversité de comportements migratoires en lien avec les parasites, certains sur de longues distances, d’autres sur des distances plus courtes.
Ces comportements ont été regroupés en trois grandes catégories, soit la migration récupératrice, la migration de fuite et la migration d’élimination.
La migration récupératrice permet à l’animal de se remettre d’une infection existante, tandis que dans la migration de fuite, il quitte un environnement contaminé.
«Par exemple, chez les grands cervidés d’Europe et d’Amérique du Nord, on constate qu’ils se dirigent vers des latitudes plus nordiques pendant l’été, ce qui leur permet d’échapper aux tiques qui élisent domicile dans les environnements plus au sud, ou encore ils se déplacent vers des altitudes plus élevées», illustre Sandra Binning.
Dans le cas de la migration d’élimination, l’individu est à ce point infecté qu’il ne parvient pas à se rendre à destination, protégeant ainsi les autres individus de son espèce de la contamination.
Les chercheuses ont aussi mis au jour un biais taxinomique de la recherche dans ce domaine.
«Les mammifères et les oiseaux sont surreprésentés dans les études en comparaison des poissons, des reptiles et des insectes – qui sont beaucoup plus nombreux à migrer et dont on a peu étudié les comportements migratoires, exception faite des papillons monarques», poursuit Sandra Binning.
Selon elle, il importe d’en apprendre davantage sur les migrations d’insectes en raison du rôle vital qu’ils jouent dans la chaîne alimentaire.
Un modèle prédictif pour comprendre les perturbations migratoires
Les chercheuses ont ainsi élaboré un modèle évolutif unifié à partir des données de leur revue d’études.
«Notre modèle combine les mathématiques et la biologie et il repose sur une approche écologique plus complexe, qui intègre notamment la distance parcourue lors de la migration, l’intensité de l’infection parasitaire tout au long de la migration et le nombre d’individus qui ne migrent pas», mentionne Sandra Binning.
Puisqu’il permet de saisir la complexité des schémas de mouvements observés à travers un ensemble d’espèces migratrices, ce modèle «sera particulièrement utile aux scientifiques qui souhaitent prévoir plus rapidement les modifications des mouvements migratoires, des maladies et les conditions environnementales changeantes auxquelles nous sommes de plus en plus confrontés», conclut-elle.