Télétravail et stress
- UdeMNouvelles
Le 31 janvier 2024
- Virginie Soffer
Sonia Lupien démystifie les idées reçues sur le stress et le travail dans son nouveau livre «Le stress au travail vs le stress du travail».
«Je n’ai pas été engagée par votre employeur pour écrire ce livre et vous convaincre de revenir travailler au bureau, que ce soit à temps plein ou en mode hybride. Aucune donnée scientifique actuelle ne permet de croire qu’un retour à temps plein au bureau est la solution», prévient Sonia Lupien, professeure de psychologie à l’Université de Montréal, dès les premières lignes de son nouveau livre: Le stress au travail vs le stress du travail.
Dans cet ouvrage captivant très richement documenté, la neuroscientifique spécialiste du stress vulgarise les dernières découvertes scientifiques sur le stress au travail. Elle nous explique pourquoi nous devons faire face à tant de stress au travail aujourd’hui et nous présente des solutions pour l'atténuer.
Nous lui avons donné la parole.
Pourquoi souffre-t-on tant de stress au travail aujourd’hui?
C’est la question à laquelle je tente de répondre dans ce nouveau livre. Nous travaillons moins d’heures et avons plus de vacances que nos ancêtres et, pourtant, les statistiques sur le stress au travail et ses effets néfastes sur la santé mentale ne cessent d’augmenter. La thèse que je présente est que l’organisation du monde du travail a subi des changements historiques à travers le temps – par exemple la révolution industrielle, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, l’avènement des nouvelles technologies, etc. – et chacune de ces transitions a apporté son lot de stress. En effet, on se rappellera que quatre caractéristiques d’une situation peuvent entraîner une réponse biologique de stress, soit la nouveauté, l’imprévisibilité, le manque de contrôle et la menace à la personnalité. Ainsi, chaque fois qu’on vit une transition, on vit un stress, car on est exposé à la nouveauté, l’imprévisibilité… Chaque grande transition dans l’organisation du travail vient donc avec son lot de stress, mais les causes de ce stress n’ont pas été éliminées. Le stress s’est donc accumulé à travers le temps et l’on se retrouve au 21e siècle plus fragilisé par le stress qu’on l’était au 20e!
Pourquoi le télétravail ne protège-t-il pas du stress?
Toutes les fois où je fais remarquer aux gens qui adorent le télétravail que ce dernier ne protège pas du stress, cela les fâche! Cette idée que le travail à la maison protège du stress vient des études scientifiques effectuées avant la pandémie et qui mesuraient essentiellement le stress AU travail, c’est-à-dire les facteurs présents dans l’environnement de travail – comme les collègues hostiles ou le trafic – qui augmentent le stress. Lorsque la pandémie est survenue et que les gens se sont retrouvés à temps plein à travailler chez eux, ils ont considéré que, puisqu’ils n’étaient plus exposés aux facteurs de stress présents au bureau, ils seraient protégés du stress. Or, les recherches faites après la pandémie ont montré qu’on s’est trompé sur l’origine du stress au travail. Les données indiquent que ce n’est pas l’endroit où l’on travaille qui stresse, soit le stress AU travail, mais plutôt la manière dont on travaille, c’est-à-dire le stress DU travail, et ce, qu’on se trouve au bureau, à la maison ou au sommet d’une montagne à Bali. C’est pour cela que le télétravail ne nous protège pas du stress.
Conseilleriez-vous de privilégier le travail hybride?
L’arrivée des nouvelles technologies, telles que le courriel, les messageries instantanées, Internet, etc., au début des années 1990 a amené les travailleurs et les travailleuses à constamment fragmenter leur attention, alors répartie entre différentes tâches, ce qu’on appelle l’attention fragmentée: le projet à écrire, le courriel qui vient d’entrer, la notification d’un message texte qui entre dans son cellulaire, etc. Les études montrent que c’est l’attention fragmentée qui provoque la surcharge mentale et qui accroît le risque de souffrir d’un épuisement professionnel. Et comme je l’ai souligné précédemment, notre attention est fragmentée autant à la maison qu’au bureau. L’inverse de l’attention fragmentée est le travail en profondeur, qui consiste à ne faire qu’une seule tâche à la fois, et ce, sans subir aucune interruption. Les études révèlent que le travail en profondeur est associé à une diminution du stress. Sur la base de ces données et de bien d’autres, les chercheurs proposent aux entreprises d’instaurer un mode de travail hybride structuré, qui consiste à séparer la semaine en blocs de travail de surface, où l’attention est fragmentée, et en blocs de travail en profondeur. Les études réalisées à ce jour sur le mode de travail hybride structuré montrent qu’il augmente la productivité tout en abaissant le stress. Ça vaut la peine de l’essayer!
À propos de ce livre
Sonia Lupien, Le stress au travail vs le stress du travail, Montréal, Éditions Va Savoir, 2023, 507 p.