Les babyboumeurs québécois sont-ils vraiment détachés de la religion?

Entre attachement culturel, quête spirituelle, rejet assumé ou retour au sacré, le livre fait le portrait d’une génération dont la relation au catholicisme reste, qu’on le veuille ou non, un point de repère.

Entre attachement culturel, quête spirituelle, rejet assumé ou retour au sacré, le livre fait le portrait d’une génération dont la relation au catholicisme reste, qu’on le veuille ou non, un point de repère.

En 5 secondes

L’anthropologue Géraldine Mossière présente le livre «Portraits de la modernité (non) religieuse: quelques confidences de baby-boomers au Québec».

On dit souvent que la génération des babyboumeurs a tourné le dos à la religion, propulsant le Québec dans la modernité lors de la Révolution tranquille. Mais est-ce si simple? Géraldine Mossière, anthropologue et professeure à l’Institut d'études religieuses de l’Université de Montréal, est allée à leur rencontre pour recueillir leurs récits de vie, dévoilant une réalité bien plus nuancée. Entre attachement culturel, quête spirituelle, rejet assumé ou retour au sacré, son livre fait le portrait d’une génération dont la relation au catholicisme reste, qu’on le veuille ou non, un point de repère. 

Nous nous sommes entretenus avec l’auteure de Portraits de la modernité (non) religieuse: quelques confidences de baby-boomers au Québec. 

Pourquoi avez-vous écrit ce livre? Qu’est-ce qui vous a motivée à explorer la religiosité des babyboumeurs franco-québécois?

Il est communément admis que le Québec a rejeté la religion en se modernisant et que c’est la génération des babyboumeurs en particulier qui a consacré cette transformation. Or, peu d’études se sont réellement penchées sur cette idée reçue. Par ailleurs, les enquêtes empiriques que j’ai réalisées jusqu’à présent sur la diversité religieuse au Québec m’ont amenée à penser que la réalité était plus nuancée. C'est d’ailleurs ce que montrent les statistiques: en 2021, 54 % des Québécois s’identifiaient au catholicisme et seulement 27 % se disaient sans religion! Comment interpréter ces chiffres?  

Mon équipe et moi sommes donc allées à la rencontre de babyboumeurs [entendre ici des Québécois de souche française et catholique installés au Québec depuis plusieurs générations] pour recueillir leurs récits de vie et mieux comprendre comment leurs trajectoires religieuses se sont articulées au processus de sécularisation qu’a connu le Québec depuis la fin des années 1960. Par exemple, dans quelle mesure la vague hippie des années 1970 a-t-elle influencé leurs comportements religieux? Nous voulions aussi comparer ces parcours avec des biographies modernes typiques. Comment les pratiques et les croyances ont-elles évolué au gré des évènements et des aléas de la vie: quel répertoire mobilise-t-on pour donner un sens à la maladie, au chômage, à une naissance quand on est babyboumeur au Québec? Nous avons rencontré 43 personnes, autant de femmes que d’hommes, avec qui nous avons mené des entretiens ethnographiques en profondeur et nous avons pu rencontrer la moitié d’entre eux deux fois.  

Comment les parcours religieux ou spirituels des babyboumeurs se distinguent-ils de ceux des générations précédentes?

On peut dire que, si leurs parents ont été les promoteurs de la Révolution tranquille et de la modernisation du Québec, les babyboumeurs en ont été les artisans. En effet, la génération des babyboumeurs présente un profil particulier au sein de la société québécoise, car elle a été éduquée et socialisée dans le petit catéchisme ultramontain de l’après-guerre, c'est-à-dire un catholicisme assez littéraliste et conservateur; la catéchèse par exemple était apprise par cœur sous forme de questions-réponses. Puis cette population a connu la vague de libéralisation qui a submergé la province, tant sur les plans social et politique que sur celui des mœurs familiales et sexuelles et elle a aussi vu le retrait de l’Église catholique des affaires publiques à la fin des années 1960. Elle a donc vécu ce vent de renouveau et d’ouverture qui a balayé le Québec –  qu’on pense à l’Expo 67, aux Jeux olympiques de 1976 –, le tout alors que la société canadienne se diversifiait en termes culturels – avec les nouvelles lois migratoires de 1967 et le multiculturalisme – en ouvrant de nouveaux horizons en matière de culture et de spiritualité.  

On a coutume de penser que c'est à ce moment-là que la plupart des Québécois se sont éloignés de l’Église, mais il s’agissait plus d’une critique du clergé que de la religion. Puis les discussions sur la nation québécoise et, plus récemment, les débats sur la présence des minorités religieuses au Québec, la laïcité et le patrimoine religieux – on se souvient de la discussion entourant le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale – ont amené cette population à réfléchir à son héritage identitaire, notamment catholique. Il semble donc que, si l’on veut comprendre le processus de modernisation du Québec et ses effets sur le paysage religieux, culturel et social de la province, c’est sur cette génération qu’il faut se pencher.

Quels sont les six profils que vous présentez dans votre livre?

Plusieurs tendances ont émergé des récits que nous avons recueillis, mais ce qui m’a le plus étonnée, c’est l’omniprésence d’un discours sur le catholicisme. Même les personnes qui se disent le plus farouchement athées ont quelque chose à dire sur l’Église. Pour cette génération, le catholicisme demeure une référence par rapport à laquelle on se définit. Les six catégories de babyboumeurs que nous avons établies selon nos données gravitent donc autour de cette variable. On trouve les croyants catholiques qui ne pratiquent pas et, à l’inverse, les non-croyants qui sont sensibles à l’esthétique des rituels catholiques comme la messe de minuit, les retraites dans des monastères. Il y a également des personnes qui se disent spirituelles, mais pas religieuses et d’autres qui se sont éloignées du catholicisme avant d’y revenir en redécouvrant le sacré. Évidemment, plusieurs de nos répondants se disent athées, leur désenchantement les ayant orientés vers la science, la nature ou la ferveur nationaliste. Enfin, nous avons rencontré des individus agnostiques, c'est-à-dire qui doutent et qui entretiennent avant tout des valeurs humanistes. 

Chacun de ces profils fait l’objet d’un chapitre dans lequel je commence par décrire le parcours d’un répondant ou d’une répondante, avant de proposer une analyse de sa trajectoire religieuse, c'est-à-dire de la façon dont il ou elle donne un sens à ce parcours. Même si le début de l’ouvrage situe la recherche dans le corpus de connaissances plus vaste portant sur les trajectoires de vie, j’ai écrit ce livre pour qu’il intéresse un public large. Selon moi, la recherche atteint son objectif si les babyboumeurs qui le lisent s’y retrouvent. 

À propos de ce livre

Géraldine Mossière, Portraits de la modernité (non) religieuse: quelques confidences de baby-boomers au Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2024, 180 p.  

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