Étudier l’incidence des rituels funéraires en présentiel et en virtuel sur le deuil

Jean-Marc Barreau émet l’hypothèse que les émotions associées au deuil ne sont pas sollicitées de la même manière selon que le rituel est virtuel ou en présentiel.

Jean-Marc Barreau émet l’hypothèse que les émotions associées au deuil ne sont pas sollicitées de la même manière selon que le rituel est virtuel ou en présentiel.

Crédit : Getty

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Réalisée en collaboration avec l’entreprise funéraire Magnus Poirier, une étude explore l’importance des rituels en présentiel et en virtuel dans la prise en charge du deuil et de ses émotions.

Durant la pandémie, les nombreuses personnes qui n’ont pas pu accompagner leurs proches dans leurs derniers moments ni vivre les rituels associés aux funérailles ont été contraintes de reporter leur deuil, explique Jean-Marc Barreau, professeur à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

Afin d'évaluer l’importance des rituels en présentiel et en virtuel dans la prise en charge de deuils compliqués, le chercheur a entrepris un projet de recherche sur le sujet en s’associant les étudiants de maîtrise et de doctorat de l’UdeM Josianne Barrette-Moran, Catherine Nyabita Mambiko, Susanne Emery, Anaïs Ciaran et Étienne Yuma.

Subventionné par le Fonds de recherche du Québec – secteur Société et culture, ce projet est réalisé en collaboration avec l’entreprise Magnus Poirier. Il se concentre particulièrement sur un service que l’entreprise a créé: Dernier regard. Il est ainsi proposé aux familles endeuillées de voir une dernière fois le visage ou une autre partie du corps de la personne décédée, cela dans la plus stricte intimité. Cet été, l’équipe de recherche va mener des entretiens avec des personnes qui ont fait appel à ce service. Son but: mieux comprendre comment celui-ci les a aidées à vivre leur deuil.

Voir une dernière fois la personne défunte

Jean-Marc Barreau

Jean-Marc Barreau

Crédit : Courtoisie

Dernier regard est un service qui est né du constat que l’entreprise Magnus Poirier et ses dirigeants ont fait du besoin criant d’un ultime vis-à-vis entre les personnes endeuillées et la dépouille de la personne défunte. «Jadis les gens vivaient leur deuil à la maison. La personne décédait en général chez elle, son corps était préparé et présenté habituellement à la famille dans son lit. Les gens venaient et se recueillaient près du défunt à domicile. Au matin des funérailles, on déposait le défunt dans son cercueil et l’on procédait ensuite à la cérémonie», déclare Marie-Josée April, directrice des services thanatologiques chez Magnus Poirier.

L’entreprise ne propose pas un retour en arrière, mais plutôt cet espace privé où les familles peuvent se réunir, se recueillir, amorcer leur deuil. Le corps est ainsi placé dans un lit médical. «Cela permet de mettre en relief la grandeur de ce moment, avec tout le respect et la dignité qu’il exige. Cela offre un temps, un lieu pour passer un instant auprès de la dépouille du défunt», dit Jean-Marc Barreau.

D’autres émotions liées à une cérémonie virtuelle

Il existe également un apport du rituel virtuel du deuil. En effet, aujourd’hui, il est possible de tenir des cérémonies virtuelles. En Corée du Sud par exemple, plusieurs complexes funéraires proposent des rituels uniquement avec un support numérique. Dès lors, on peut déposer un bouquet de fleurs virtuel à l’occasion de l’anniversaire du défunt.

Près de nous, à Montréal, des immigrants peuvent recourir à des téléphones intelligents afin de suivre les funérailles d’un parent se trouvant sur un autre continent. Mais alors, qu’en est-il du processus de deuil? Cette technologie permet-elle de vivre son deuil? Quels effets a-t-elle sur les émotions liées au deuil?

Dans sa recherche, Jean-Marc Barreau émet l’hypothèse que les émotions associées au deuil ne sont pas sollicitées de la même manière selon que le rituel est virtuel ou en présentiel. Et que dire des rituels bimodaux? «Sur un support numérique, c’est la dimension quantitative qui sollicite les émotions du deuil: l’image, le mouvement, la taille de la pièce. Mais en présentiel, c’est la dimension qualitative qui prime, avec des sens comme le toucher, la vue de détails particuliers», souligne-t-il.

Qu’apporte le fait d’être dans un même lieu physique? Cette formule favorise-t-elle le travail du deuil? Est-ce que des cérémonies en présentiel peuvent avoir une portée plus grande? C’est ce que va étudier le groupe de recherche conduit par le professeur Barreau.

Quand la présence physique aide à la mobilisation des émotions

«Pour qu’une émotion liée au deuil puisse être mobilisée, elle a besoin d'un point d’ancrage. S’il n’est pas là, l’émotion est orpheline, elle se cherche un objet de substitution. S’il n’y a pas d'objet qui se propose à elle, elle sera beaucoup plus complexe à structurer. Ainsi, lors d’un décès brutal, si la famille ne peut faire face à la réalité de la personne aimée qui disparaît, le deuil sera plus compliqué», indique Jean-Marc-Barreau.

La recherche désigne plusieurs facteurs qui rendent un deuil compliqué. Mais elle n’a que peu ou pas mis en avant le facteur émotionnel. «Que dire de la tristesse, du désespoir? Certaines fois de la colère? Il est certain que toutes ces émotions et d’autres encore ont besoin d’être apaisées, sinon, à l’insu de l’endeuillé, elles nourrissent le deuil compliqué. Il est frappant d’observer que certaines familles vont demander à voir la dépouille, car émotionnellement, c’est une nécessité. Et si la mort a été brutale et que la dépouille n’est pas présentable, les thanatopracteurs vont “travailler” une partie du corps pour que les familles puissent la voir, peut-être même la toucher. Les émotions ont besoin de factuel», mentionne Jean-Marc Barreau.

Mieux comprendre l’apport de la présence physique

Pour mieux comprendre les différentes émotions liées au deuil, Jean-Marc Barreau et son équipe rencontrent des familles qui ont bénéficié du service Dernier regard. Ils font ainsi une série de trois entretiens semi-dirigés. Un premier entretien a lieu dans le mois où le service a été sollicité, un autre trois mois après et un dernier six mois plus tard.

Dans le questionnaire proposé aux participants, il est par exemple demandé si le service leur a permis de voir ou de ressentir quelque chose qui les a apaisés.

Le projet du professeur Barreau se poursuit tout l'été. Si vous avez perdu un être cher et avez profité du service Dernier regard et que vous souhaitez participer à l’étude, vous pouvez contacter josianne.barrette-moran(at)umontreal.ca.