COVID-19: beaucoup de gens vivent un deuil inachevé

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  • Le 10 mars 2021

  • Martin LaSalle
Les règles sanitaires ont grandement atténué la possibilité, pour les proches, de se préparer à la mort, de pouvoir remercier la personne et de lui dire au revoir, une étape qui permet de mieux vivre son deuil.

Les règles sanitaires ont grandement atténué la possibilité, pour les proches, de se préparer à la mort, de pouvoir remercier la personne et de lui dire au revoir, une étape qui permet de mieux vivre son deuil.

Crédit : Getty

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À défaut d’avoir pu pratiquer les rituels funéraires, un nombre important de personnes qui ont perdu un proche pendant la pandémie sont contraintes de reporter leur deuil, selon Jean-Marc Barreau.

En raison de la pandémie de COVID-19, plus de 10 500 personnes ont perdu la vie au Québec, sans compter celles qui sont décédées d’autres causes. Or, les proches n’ont pu les accompagner dans leurs derniers moments ni vivre les rituels associés aux funérailles.

Aussi, bon nombre de familles endeuillées ont dû «suspendre leur deuil sans avoir pu l’amorcer réellement», constate Jean-Marc Barreau, professeur à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

Un an après le début de la crise sanitaire, celui qui a déjà travaillé auprès de personnes mourantes dans des unités de soins palliatifs souligne que «le deuil appelle des rituels enracinés dans le temps pour le surmonter et, lorsqu’il n’est pas marqué rapidement par un rituel, le deuil est absent, sinon différé».

Citant la professeure de l’UdeM et sociologue Céline Lafontaine, Jean-Marc Barreau précise que, dans une société qu’on dit «postmortelle» – une culture qui occulte trop souvent la mort –, ce facteur culturel amplifie le phénomène du deuil reporté.

«Il se produit une sorte de sidération ou d’indifférence involontaire qui laisse les familles endeuillées souvent dans une posture de déni de la mort, indique-t-il. Cela exige un accompagnement professionnel et interdisciplinaire solide afin d’éviter qu’un jour ou l’autre ces familles souffrent trop.»

Car il estime qu’un simple élément de la vie, comme un souvenir ou une image, peut précipiter le deuil. «Il faut alors que notre société soit dotée des ressources nécessaires pour faire face à cette terrible réalité.»

Une source de tensions familiales

Nathalie Viens

Pour Nathalie Viens, les règles sanitaires ont grandement atténué la possibilité, pour les proches, «de se préparer à la mort, de pouvoir remercier la personne, de lui dire au revoir et d’apaiser la relation», une étape qui permet de mieux vivre son deuil.

«Et normalement les rituels funéraires – qui ont été extrêmement limités depuis le début de la pandémie – permettent de marquer le décès, de réaliser que la personne est morte et aussi d’avoir le soutien de la communauté, d’honorer la mémoire du défunt… Ne pas pouvoir se réunir est dur pour les endeuillés», ajoute la formatrice et coordonnatrice des formations sur le deuil à la Chaire Jean-Monbourquette sur le soutien social des personnes endeuillées.

De plus, parce qu’elle oblige les familles à choisir qui sera présent aux funérailles, la pandémie peut provoquer des tensions entre les proches.

«Lorsque les cérémonies sont terminées, le décalage de rituel entre les personnes qui y étaient présentes et celles qui n’ont pu y assister peut entraîner chez ces dernières un sentiment d’injustice sur les plans psychologique, social et spirituel», mentionne Jean-Marc Barreau.

«Par ricochet, les personnes souffrent aussi du deuil anticipé, ajoute-t-il. Leurs proches sont décédés tellement vite – sans qu’elles aient pu les accompagner – qu’elles se sont vues mourir avec eux, en quelque sorte! Il y a ici une question de société qui se pose au chapitre de l’accompagnement de nos mourants.»

Pour des rituels bimodaux

Jean-Marc Barreau

Jean-Marc Barreau estime que, après la crise, il sera essentiel de repenser nos rites de vie «pour redonner à notre société le sens de la vie, des rituels qui puissent réamorcer la quête de sens et donc qui puissent anticiper la complexité de tout deuil».

Celui qui mène actuellement un projet de recherche en collaboration avec la Corporation des thanatologues du Québec a aussi constaté que, en raison des mesures sanitaires contraignantes, 70 % des familles qu’il a interrogées souhaitent reporter les funérailles de leur défunt malgré le fait qu’elles souffrent d’être privées d’obsèques en bonne et due forme.

L’une des pistes de solution que son étude met au jour et qu’il a présentée à la Corporation consiste à proposer des rituels dans un mode bimodal: permettre à un certain nombre de personnes d’assister physiquement aux funérailles et à d’autres d’y prendre part à distance. Cette formule hybride rend possibles l’expression des témoignages de sympathie et la reconstitution d’un certain corps social nécessaire aux étapes du deuil.

Pour l’heure, certains salons funéraires sont prêts à tenter l’expérience, d’autres moins. Tout comme les familles consultées, d’ailleurs.

«Organiser des funérailles bimodales, comme c’est très fréquent en Asie, permet une communion entre des membres du corps social en personne et en numérique: ce mode innovant favorise des rituels performatifs en termes de résolution du deuil», précise le professeur Barreau, ajoutant que, «au regard de la culpabilité, de l’anxiété et du sentiment d’injustice vécus par les familles endeuillées, nous sommes là dans un moindre mal nécessaire».

Un autre aspect positif de cette proposition réside dans la dimension de la mémoire: la cérémonie pouvant être enregistrée et rendue accessible aux proches du défunt, il leur est possible alors «de recréer la mémoire de ce qui s’est passé pour continuer le travail du deuil».

Mais au-delà de tout, Jean-Marc Barreau souhaite qu’il y ait un débat de société «sans tarder autour de notre rapport à la mort en temps de pandémie: elle est arrivée si brutalement et elle gruge tellement l’horizon de l’incertain qu’elle place certaines familles endeuilllées en mode de survie».

Il faut soutenir les personnes endeuillées

Que faire lorsqu’un ami ou une amie, un proche ou un collègue vit un deuil?

«Il faut se manifester, lui offrir ses condoléances et son soutien, que ce soit en ouvrant la conversation sur le deuil ou en lui cuisinant des plats, conseille Nathalie Viens. Il ne faut surtout pas l’ignorer de crainte de déranger: les endeuillés sont souvent victimes de solitude parce que leur entourage ne sait pas comment agir ou quoi dire.»

Mme Viens recommande surtout d’écouter avec bienveillance «plutôt que de tenter de donner des conseils ou, pire, de minimiser la peine».

Chaque deuil est unique et l’annonce du décès provoque «un état de sidération normal qui vise à protéger la personne contre un trop grand choc: ça implique une désorganisation temporaire qui se dissipe à mesure qu’on s’approprie l’évènement en le racontant à soi et aux autres».

Pour aider ceux et celles qui ont perdu un être cher, l’équipe des formations de la chaire Jean-Monbourquette sur le deuil a produit un Guide pour les personnes endeuillées en période de pandémie, qui est accessible gratuitement. «Publié dès le début de la pandémie, le Guide propose des outils et des stratégies qui visent à soutenir la résilience et à éviter les complications du deuil», conclut Nathalie Viens.

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