Une symphonie de terreurs
- UdeMNouvelles
Le 30 octobre 2024
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Ils peuvent évoquer des présages de mort, des apparitions spectrales ou des créatures tapies dans les ténèbres. Mais pourquoi certains sons nous plongent-ils dans un état d’alerte?
Le son strident d’un violon dissonant. Un murmure fantomatique. Un cri dans la nuit. Un ricanement maléfique. Un grondement sourd dans le lointain. Le hurlement du vent. Autant de bruits inquiétants qui retentissent dans les films d’horreur et les maisons hantées et qui parviennent à nous glacer le sang.
Pourquoi certains sons arrivent-ils à accroître nos battements cardiaques et à nous hérisser les poils, alors qu’ils ne sont pourtant que des vibrations? Comment parviennent-ils à nous terrifier, comme si un danger rôdait autour de nous?
La psychoacoustique peut nous aider à y voir – ou entendre – plus clair. Cette discipline, à l’intersection de la physique et de la psychologie, explore la façon dont les ondes sonores sont perçues par notre système auditif et interprétées par notre cerveau.
Et Caroline Traube, professeure à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, s’y intéresse.
Une «couleur» de son particulière
En psychoacoustique, explique la musicienne et ingénieure de formation, on peut évaluer le timbre ou la qualité du son, qui va de brillant à sombre. Un timbre associé à la joie sera en général «brillant», énergique, harmonieux et plus riche dans les hautes fréquences. Or, ces hautes fréquences peuvent aussi susciter la peur ou la terreur en raison de leur ressemblance avec les cris humains. Dans ce cas, le timbre sera plus dissonant.
Susciter des émotions par le son
En psychologie, les émotions peuvent être définies selon un système à deux axes: le niveau d’activation physiologique et la valence (le caractère positif ou négatif de l’émotion). Par exemple, la joie est généralement caractérisée par une valence positive et un haut niveau d’activation, tandis que la tristesse présente une valence négative et un degré d’activation plus faible.
La manière de moduler le son en musique est très semblable à la façon de moduler la voix dans un contexte d’expression des émotions. «La musique peut ainsi transmettre des émotions en imitant les caractéristiques acoustiques des vocalisations humaines affectives. En ce qui concerne la peur, des études ont montré que la musique des scènes effrayantes dans les films présente souvent un caractère “criard”, une tonalité naturellement alarmante», dit Caroline Traube.
On peut ainsi penser à des coups d’archet agressifs sur un accord dissonant et dans le registre aigu du violon, comme lors de la fameuse scène de la douche du film Psychose, d’Alfred Hitchcock.
Des sons graves et menaçants
Ensuite, les timbres plus «sombres», rugueux et davantage campés dans les basses fréquences peuvent aussi provoquer la peur. «On se rapproche dans ce cas-là du grognement, de quelque chose de volumineux et caverneux», souligne la professeure.
Ici, les basses fréquences peuvent effrayer parce qu’elles intimident et donnent l’impression que quelque chose d’imposant nous guette. La hauteur d’un son va en effet déterminer la «grosseur» perçue de ce son.
«Dans l’aigu, on perçoit les sons comme denses et petits, alors que des sons graves sont perçus comme larges et volumineux. Ce n’est donc pas un hasard si c’est plutôt le timbre grave des violoncelles et des contrebasses qui est utilisé pour évoquer l’approche d’un gros requin menaçant, comme dans l’ouverture du film Les dents de la mer», indique Caroline Traube.
Des sons étranges et fantomatiques
Dans un tout autre registre, les sons produits par le thérémine – l’un des plus anciens instruments de musique électronique qui se joue sans être touché – sont souvent employés pour évoquer le mystère des maisons hantées et l’étrangeté des extraterrestres dans les films de science-fiction(voir vidéo).
«Le timbre électronique de cet instrument est pur tout en se rapprochant du timbre de la voix. La caractéristique distinctive du son du thérémine, c’est la modulation particulière de la hauteur en des contours d’intonation qui rappellent une lamentation humaine», précise la musicienne.
Cette similitude signalerait au cerveau un danger potentiel pour soi, mais également pour autrui, ajoute-t-elle. C’est dès lors l’empathie ou le phénomène de «contagion émotionnelle» qui engendre un sentiment de peur.
En résumé, qu’ils évoquent un grondement menaçant ou un cri d’angoisse, les sons peuvent nous apeurer, puisqu’ils activent une réponse primitive, un genre de mécanisme de défense contre les agressions.